Tribunal de Meaux : « Trop jeune », la surveillante pénitentiaire a « cédé au chantage »

Publié le 31/03/2023

Lorsqu’elle a accepté de « passer des colis » dans l’enceinte de la prison de Meaux (Seine-et-Marne), Sophie* avait 22 ans. Elle était stagiaire, se sentait « seule, trop faible » pour résister aux criminels qu’elle gardait. Alors elle a enfreint la loi et le regrette sincèrement.

Tribunal de Meaux : « Trop jeune », la surveillante pénitentiaire a « cédé au chantage »
Salle d’audience au tribunal judiciaire de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Une fois encore, elle est seule. Ni parent ni ami, pas même un avocat pour l’assister. La 3e chambre correctionnelle du tribunal de Meaux est déserte, ce mercredi 22 mars. Sophie* est préservée des commentaires qui auraient pu accueillir sa confession. Ses aveux ressemblent à cela : un douloureux et profond repentir. En février 2020, elle avait posé des mots sur les erreurs l’ayant conduite à commettre des délits. Les policiers avaient trouvé dans son casier une lettre inachevée, avec une phrase en suspens. La jeune fille n’avait pas réussi à tout expliquer par écrit. Toutefois, à l’époque, Sophie reconnaissait déjà la prévention : remise irrégulière d’objets à des détenus par personne chargée de leur surveillance, corruption passive et violation du secret professionnel.

À la barre, la prévenue blonde et longiligne les confirme. D’une voix claire, posée, parfois légèrement enrouée quand un sanglot bute contre la glotte, elle ne se cherche pas d’excuses. Au contraire, elle dit sa « honte » d’avoir été celle « qui accordait des faveurs » – la réputation qu’elle s’est forgée en quelques mois d’exercice.

Les pressions de caïds du grand banditisme parisien

 Sophie l’ignore mais, pour une fois dans sa courte vie difficile, elle a de la chance. Les quatre magistrats qui lui font face, Isabelle Verissimo, les juges assesseurs et le procureur adjoint Éric de Valroger, savent écouter et faire preuve d’humanité. Si ce dernier estime à raison que ce « dossier signalé » est « grave », il peut modifier sa perception de l’affaire au fil des débats.

Sophie raconte son parcours : « Je voulais exercer dans la justice. J’ai passé un brevet de sécurité, obtenu un CAP de gestion des conflits puis intégré l’Administration pénitentiaire (AP) sur concours ». Stagiaire au centre de Meaux-Chauconin, elle y croise des « longues peines » qui « flattent [son] physique », la trouvent « fofolle », la hèlent par son prénom alors que ses collègues sont appelés « surveillant(e) », précisent connaître son adresse, finissent par évoquer sa mère atteinte d’un cancer et dont elle s’occupe.

« Je vivais une période très compliquée, nous avions des soucis financiers, je subissais les pressions de X. et Y. », caïds du grand banditisme parisien. « Je n’étais pas à l’aise, je ne faisais partie d’aucun clan, j’étais toute seule dans mon coin. Quand le chantage a commencé, je n’en pouvais plus. » La voix faiblit. La présidente Verissimo : « Nous ne sommes pas là pour vous faire la morale, ni [dans le cadre] du disciplinaire. » La juge indique que le téléphone de la prévenue a révélé « des messages démontrant sa grande souffrance au travail ».

 « Je me sentais plus sale que contrainte »

Sophie poursuit : « On me demandait quand je travaillais de nuit car alors, je serais postée au mirador. J’ai fini par céder, réceptionner quatre paquets scotchés » lancés de l’extérieur, « sans les ouvrir ». « – Vous ne saviez donc pas ce qu’ils contenaient ?

– On m’avait dit que c’étaient des téléphones. Je les ai tâtés, il n’y avait pas d’arme.

– Combien avez-vous été payée ?

– 200 € pour un colis. Ensuite, je n’ai plus accepté d’argent. J’avais honte. Je me sentais plus sale que contrainte. Je savais que ça finirait par se savoir, que si j’arrêtais, ils me dénonceraient. »

Ce qu’il s’est produit. Il lui est aussi reproché d’avoir informé des détenus de la date de fouille des cellules. « Si on me harcelait, c’est parce que j’étais faible. Je craignais aussi le jugement de ma famille ». Craintes fondées : plus personne ne lui parle, sauf sa mère. Sophie regrette son « manque de courage. J’aurais dû monter plus haut dans la hiérarchie, à la direction. J’ai cru que ça ne changerait rien… J’étais trop jeune pour ce métier. »

« Ces parachutages empoisonnent les prisons »

Désormais, la jeune femme est « épanouie », même si de graves problèmes de santé perturbent son quotidien et que le cancer de sa mère « est encore là ». Radiée de la pénitentiaire, elle conduit des bus. Jugée deux ans après son interpellation, elle est réinsérée, vit en province « auprès de maman que j’aide toujours ». Elle photographie des animaux, ne sort pas. Sophie est seule. Depuis le 14 février 2020, elle respecte son contrôle judiciaire.

De tout cela, le procureur adjoint va tenir compte. Rappelant que la peine encourue s’élève à dix ans de détention, M. de Valroger insiste sur les liens de confiance « extrêmement importants » qui unissent les agents de l’AP à la justice : « Vous avez remis des colis à des personnes condamnées pour des faits criminels. Ils pouvaient renfermer des explosifs, les conséquences auraient été dramatiques. Ces parachutages empoisonnent les prisons. »

Cependant, le parquetier convient de « la personnalité fragile » de Sophie, sans force psychologique nécessaire pour tenir tête à des truands. « Vous avez aujourd’hui tous les atouts dans les mains, une vie honnête, je ne suis pas inquiet », dit-il. Aussi requiert-il une peine « équilibrée » de trois ans avec sursis simple, d’inéligibilité jusqu’en 2028 et d’interdiction définitive d’exercer en prison. Auparavant, et par trois fois, les juges l’avaient incitée à formuler une demande de non-inscription de la sanction au bulletin n° 2 du casier judiciaire, destiné aux employeurs. Sophie avait alors demandé cette faveur. Le procureur « ne s’oppose pas » à ce qu’on la lui accorde.

« Je m’excuserai toujours », conclut-elle. Trente minutes plus tard, elle est condamnée à deux ans de sursis simple exclus du B2, est inéligible durant 24 mois, et n’exercera plus jamais au sein de l’AP. Elle repart seule vers sa province où l’attendent sa mère et son bus.

* Prénom modifié

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