Tribunal de Meaux : Ulrich, l’OQTF et l’escorte fantôme
Entre le Centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne, et l’avion à destination de la Côte d’Ivoire, l’escorte policière a mystérieusement disparu. Ulrich, 22 ans, n’a donc pas quitté la France comme il en avait l’obligation après une série de cafouillages.
Depuis le meurtre de la petite Lola, 12 ans, dont le corps fut retrouvé dans une malle rue d’Hautpoul (XIXe arrondissement de Paris) le 14 octobre en soirée, chaque citoyen connaît la définition du sigle OQTF : obligation de quitter le territoire français. Signifiée le 21 août 2022 à Dahbia Benkired, la jeune Algérienne suspectée d’avoir violé et tué l’adolescente, cette mesure d’éloignement d’étrangers n’est pas du ressort du juge judiciaire mais des préfets. Priés de « faire du chiffre », ils n’ont guère le temps de se pencher sur les situations particulières.
L’OQTF dite « de 30 jours » délivrée contre Dahbia Benkired lui accordait un mois pour partir volontairement de France. Délai qu’elle n’a hélas pas respecté, comme la moitié des personnes expulsables laissées libres qui ne peuvent pas payer leur billet retour. L’impossibilité d’assigner un policier derrière chacun leur permet de disparaître.
Ulrich, jeune électricien qui vivait en famille près de Paris depuis l’âge de 15 ans – il en a 22 –, n’a pas eu ce choix : la préfecture des Hauts-de-Seine a assorti son OQTF d’un placement au CRA du Mesnil-Amelot, un des 25 Centres de rétention administrative (deux autres seront livrés en 2023).
« Le premier procès-verbal raconte le contraire du second »
Le jeune homme en survêtement Nike gris perle à bandes jaunes place ses derniers espoirs en la justice. Déféré en comparution immédiate devant la 1re chambre correctionnelle de Meaux, il répond du refus de se soumettre à l’exécution de l’arrêté d’expulsion deux jours plus tôt. Le 2 novembre, il a quitté le CRA où il était retenu depuis deux mois, sous escorte policière, direction l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Il devait y prendre le vol de 14 h 30 vers Abidjan, ancienne capitale de la Côte d’Ivoire. Placé dans la cellule d’attente, il a refusé d’en sortir. Personne n’a pu l’y contraindre car l’escorte avait disparu ! L’avion a décollé sans lui. Premier cafouillis qui a généré deux explications par la police aux frontières (PAF) : « Le premier procès-verbal rapporte le contraire du second », révèle son avocat commis d’office, Me Ludovic Beaufils. L’un est donc biaisé. « Si l’on avait vraiment voulu le renvoyer en Afrique, il suffisait de s’en donner les moyens. »
Ulrich y est né en juillet 2000, il n’a jamais connu sa mère, a été balloté de foyers en familles d’accueil, jusqu’à ce que son père, établi en France avec sa cadette, lui propose de les rejoindre en 2015. En situation régulière, il a passé un bac professionnel d’électricien. Et en 2020, tout s’est gâté.
L’apparition de la pandémie de SARS-CoV-2 suivie des confinements ont entraîné le ralentissement, voire la fermeture, de services préfectoraux. Le jeune homme a plusieurs fois tenté de renouveler son titre de séjour : « J’ai tous les récépissés de mes demandes, dit-il aux magistrats, pourtant je n’ai jamais eu une réponse ! Toute ma famille est ici, je ne compte pas la quitter. Je ne connais plus personne, en Côte d’Ivoire… »
« Vous trouvez judicieux de fumer du cannabis dans la rue ? »
On comprend qu’il n’y a que des mauvais souvenirs. Puisqu’il a un métier, un toit, les preuves des tentatives de régularisation, qu’est-ce qui cloche ? Ulrich n’est pas totalement blanc-bleu. Il a fait l’objet de trois ordonnances pénales pour usage de stupéfiants sanctionné par des amendes. Il admet « un dérapage à force de ne rien faire » durant la crise sanitaire. Toutefois, il veut « améliorer [sa] situation ». « Il faut vous en donner les moyens, lui conseille la présidente Cornelia Vecchio. Vous trouvez judicieux de fumer du cannabis dans la rue ? » « Non », convient-il en soupirant, d’autant que c’est à cause des effluves qu’il a été contrôlé. Le bureau des étrangers des Hauts-de-Seine n’a relevé aucune trace de ses requêtes en 2020 et 2021, en dépit des accusés de réception. Autre anomalie. Il est expédié au CRA. Son recours est déclaré irrecevable par le juge administratif, aussi débordé que la PAF et les préfectures aux effectifs sous-dimensionnés*.
Alors que faire d’Ulrich, si décidé à rester en région parisienne qu’il a aussi refusé deux fois de se plier au test PCR obligatoire pour réintégrer la Côte d’Ivoire ? Aux yeux de la procureure Marlène Leroy, « le serpent se mord la queue » : pas de papiers, pas de travail, et vice versa. Elle ne voit qu’une solution : l’interdiction du territoire jusqu’en 2024, laps de temps qui lui permettra de combler « un dossier lacunaire ».
« Madame la procureure a raison, il l’est ! rebondit Me Beaufils. Mais qui l’a instruit ? La préfecture, qui a deux ans de retard ! Il est arrivé à 15 ans, il vit chez son père avec sa petite sœur, offre des garanties. Optez pour un contrôle judiciaire avec l’obligation de travailler et se soigner pour arrêter le cannabis. S’il ne respecte pas ces conditions, alors il sera expulsé. »
À l’issue d’un long délibéré, les juges se rangent à l’avis du défenseur. Ils accordent à Ulrich le droit de compléter son dossier discutable, et pas juste de son fait. Dès lors, il pourra postuler dans une entreprise. Condamné à six mois de sursis, il sera sous surveillance pendant deux ans. « À vous de saisir cette chance », recommande la présidente Vecchio. Le jeune homme opine, remercie. Il va enfin sortir du CRA et rentrer chez son père.
* Lire à ce sujet l’avis rendu le 8 octobre 2021 par le député (LR) Pierre-Henri Dumont
Référence : AJU330508