Tribunal de Meaux : Un lourd passé ne constitue pas la preuve d’un nouveau délit

Publié le 25/09/2024

Francis* se serait trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Il était dans un fourgon volé faussement immatriculé qui a fui devant la police. Si ses explications sont sinueuses, le dossier, lui, tient mal la route. Peut-on condamner à cause d’un casier judiciaire chargé ? Non, ont répondu les juges du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne).

Tribunal de Meaux : Un lourd passé ne constitue pas la preuve d’un nouveau délit
Tribunal de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 En chambre des comparutions immédiates, sont déférés des prévenus qui ont été pris la main dans le sac et reconnaissent les faits reprochés. C’est la majorité de ces mis en cause vite jugés, souvent en à peine une heure dans la foulée de leur garde à vue de deux jours. Mais il arrive que les forces de l’ordre n’aient pas la possibilité d’approfondir l’enquête en si peu de temps et que le parquet poursuive sur la base d’un bref procès-verbal. À Francis*, 21 ans, le procureur avait proposé, le 14 septembre, une CRPC (procédure de reconnaissance préalable de culpabilité ou « plaider-coupable »). C’eût été commode : on résolvait une affaire en faisant porter le chapeau au seul interpellé. Le jeune a refusé la CRPC : « J’ai dit non, je voulais m’expliquer devant vous et être franc », indique-t-il avec aplomb aux magistrats.

Francis répond de refus d’obtempérer aux sommations policières à Meaux le 12 septembre, de conduite à vitesse excessive, d’usurpation de plaques d’immatriculation et de recel en récidive d’un fourgon volé.

« La police a vu des Africains. C’est un peu vague ! »

 Il lui est reproché d’être l’un des hommes qui « s’affairaient à l’avant et à l’arrière » d’un Renault Trafic affichant 320 000 kilomètres au compteur, et dont il fallait changer les plaques. Quand ils ont aperçu les policiers de la BAC, ils sont remontés à bord, les autres dans une Golf, et ont filé. Zigzags, feux rouges grillés, immobilisation de la vieille camionnette contre le break de la Brigade anticriminalité. « Un commissaire a déposé plainte, arguant que le break a été heurté. Or, le PV ne mentionne pas l’accident et il n’y a aucune déclaration de sinistre », relève en préambule l’avocat de Francis.

La présidente Lemoine vérifie. Effectivement. Premier point acquis.

Le deuxième est soulevé par le prévenu : « J’étais le passager d’un ami qui avait toute ma confiance. Il était venu me chercher pour l’aider à charger des gravats sur un chantier à Amiens. J’ignorais que le fourgon était volé, je n’ai jamais vu les fausses plaques, les autres n’avaient pas de cagoules. Comment j’aurais deviné l’embrouille ? La police a vu “des Africains” [aux abords du camion]. C’est un peu vague ! Pourquoi ce serait moi ? »

S’il était passager et innocent, pourquoi détaler comme un lapin après que le Trafic est resté bloqué ? Il a finalement été arrêté devant son immeuble. « J’étais dans l’adrénaline (sic). J’ai eu des problèmes avec des policiers l’an dernier, l’un d’eux m’a cassé le nez ! J’ai eu peur. »

« Je veux faire des grandes choses dans le légal »

La juge : « Pourquoi partir de Meaux à 1 h 30 du matin pour aller déplacer des gravats à Amiens ?

– Pour éviter les bouchons. Et parce qu’il y avait six heures de boulot.

– Pourquoi garder le silence en garde à vue ?

– Je n’ai pas confiance [en la police]. »

Et « balancer » les autres était inenvisageable.

Autoentrepreneur, il dispose de 1 500 à 1 600 € par mois en vivant chez ses parents. « Que vous aurait rapporté ce travail à Amiens ?

– 100 euros. Je fais un peu d’intérim pour être mieux payé.

– 100 € pour six heures de travail ? C’est de l’exploitation !

– De l’exploitation ? ! En usine, c’est 6 € de l’heure !

– Mais vos parents vous logent et vous nourrissent, cela vous laisse un bon salaire, non ?

– Pour moi, il n’y a pas de bon salaire. Je suis quelqu’un qui a de l’ambition. Je veux faire de grandes choses dans le légal.

– Jusque fin octobre 2023, vous avez été placé en détention à domicile sous bracelet électronique. Je note un grand nombre d’incidents…

– Oui, ça m’a posé de gros inconvénients dans ma vie. »

Certes. C’est globalement le problème de tous les assignés à résidence dont la plupart n’outrepassent pas leur périmètre autorisé ; Francis semble rétif à ses obligations légales.

Déjà condamné, notamment pour association de malfaiteurs

 La présidente énumère les infractions sanctionnées et portées à son casier judiciaire : rébellion, conduite sans assurance, vol en réunion, association de malfaiteurs, déjà une peine de sursis révoquée. La procureure voit, en ses dénégations, « un tissu de mensonges » et insiste : « En matière pénale, les procès-verbaux font foi. » Elle s’interroge : « Quand il a été arrêté, il ne portait pas son téléphone. C’est curieux d’aller travailler sans pouvoir être joint… Il voulait sans doute prendre des précautions. »

Le parquet requiert un an de prison ferme avec mandat de dépôt, et 300 € d’amende en répression de la vitesse excessive.

« Est-on certain qu’il conduisait ? Non », rétorque son défenseur. « Y a-t-il des caméras de vidéosurveillance qui l’ont filmé en train de toucher aux plaques ? Non. Qui précisément “s’affairait”, on a une description, excepté “une veste noire” ? Non. Les policiers peuvent se tromper, comme lorsque leur commissaire dit que le fourgon a heurté le break de la BAC… »

Le tribunal en convient. Francis « est relaxé de l’intégralité des faits », sans même que soit précisé « au bénéfice du doute ». Le passé d’un délinquant n’est pas un motif suffisant pour se dispenser de prouver qu’il a récidivé. Il a eu raison de refuser le « plaider-coupable ».

 

* Prénom modifié   

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