Tribunal de Meaux : Un réseau de trafiquants de drogue démantelé à Villeparisis

Publié le 25/02/2022

Le procès a duré neuf heures. En dépit d’une instruction approfondie à l’audience, il fut difficile de se forger une opinion tranchée. La faute en revient à l’enquête, basée sur des surveillances et des écoutes, et non sur des saisies. Les prévenus de trafic de cannabis seront fixés sur leur sort le 28 février.

Tribunal de Meaux : Un réseau de trafiquants de drogue démantelé à Villeparisis
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

C’est devenu une habitude, dans les tribunaux de la région parisienne. La « politique du chiffre » et les objectifs fixés en matière de réponse pénale, dont la nécessité de célérité, ont « consacré » les audiences de comparution immédiate. A l’information judiciaire qui s’imposait pour caractériser des faits complexes, se substitue de plus en plus souvent le traitement accéléré des infractions (1).

Les chambres correctionnelles de Meaux, en Seine-et-Marne, n’échappent pas à cette pratique qui se généralise dans les juridictions surchargées d’Île-de-France. Et tant pis si l’affaire, telle celle étudiée vendredi 18 février, n’apparaît ni « simple » ni « parfaitement établie », le minimum requis si on se dispense d’une instruction. D’où le sentiment d’inachevé qu’a laissé son examen.

Train de vie « luxueux », incompatible avec le chômage

 Cinq prévenus sont déférés en comparution à délai différé, le temps pour eux de préparer leur défense et, aux expertises génétiques et bancaires, de « parler ». Mehdi, 33 ans, et Abdelhafid, 47 ans, se présentent libres à la barre. Dans le box, Nassim, 29 ans, a enfreint son contrôle judiciaire : interdit de séjour à Villeparisis, il y a été arrêté alors qu’il chargeait un véhicule volé sur une dépanneuse. Il a été incarcéré le 17 janvier. Tous trois sont poursuivis pour acquisition, détention, cession, transport, usage de drogue et participation à une association de malfaiteurs. Les deux aînés répondent aussi d’importation de cannabis de Belgique ; Mehdi est au surplus soupçonné de blanchiment du trafic.

Son épouse Sylvie*, 35 ans, se tient à sa gauche. Ensemble bleu marine qui souligne sa finesse, longue chevelure noire nouée dans le dos, elle répond de « non-justification de ressources par personne en relation avec l’auteur (supposé) du trafic de stupéfiants ». En cause, un train de vie « luxueux » quand le couple est au chômage. En perquisition, les policiers ont saisi ses sacs Vuitton et Chanel. Enfin, comparaît Hanane*, 31 ans, salariée dévouée d’une institution pour enfants handicapés. Son erreur ? Prêter son logement à son cousin Nassim, qui y a entreposé de la drogue. La voici présumée « nourrice ».

Les voyages à Dubaï et aux Maldives

Le dossier contre eux est ouvert en 2020 quand les policiers de Meaux, qui surveillent deux trafiquants (condamnés l’an dernier) découvrent, via des écoutes téléphoniques, l’implication d’un certain « Maxime ». Il utilise des appareils prépayés, des puces belges, françaises, échange via l’application cryptée Signal, parle de « beuh » et de « bonnes retbas » (barrettes de shit), semble « donner des directives ».

Le 1er novembre 2020, « Maxime » joint des contacts alors qu’il embarque à l’aéroport de Roissy sur le vol EK76 d’Emirates, à destination de Dubaï (Émirats arabes unis). Alertée, la police aux frontières identifie Maxime et une correspondante : Mehdi et sa femme Sylvie. Ils volent vers le paradis du shopping et prolongeront leur séjour aux Maldives. Coût des voyages secs à ces dates : 3 800 €. La formule tout inclus choisie alourdit la facture. Sur place, ils ne dépensent pas un dollar. L’accusation conclut « qu’ils ont tout payé cash ». Une écoute révèle que Sylvie s’est vantée « de placer de l’argent à Dubaï ». A la barre, elle rectifie : « J’ai menti, pour frimer. » Soit.

La présidente Isabelle Verissimo : « – A l’époque, vous gagnez 2 000 € par mois, votre mari est au chômage. Comment financez-vous ces voyages ?

– J’ai dépensé 1 050 € avec ma carte bleue. Et on avait économisé…

– A Dubaï, aux Maldives, vous n’avez aucun frais ?

– Non. Tout était inclus. »

L’explication, insatisfaisante, est du pain bénit pour la procureure. En plus des sacs de marque, Sylvie rembourse l’emprunt d’une Mini Cooper, son mari roule en Mercedes GLC à 42 000 €. « Elle appartient à mon cousin », jure-t-il. Lequel, sans ressources, la finance en leasing sous couvert d’une société fantôme et se contente, lui, de circuler en Renault Kangoo.

Des allers-retours en Belgique et des milliers de pochons

 Au retour de vacances, le couple ne se méfie pas. « Maxime » disparaît de la procédure au profit de Mehdi. Les écoutes et la surveillance rapprochée conduisent à Abdelhafid et Nassim. Chez le premier, on coupe et on vend, estiment les enquêteurs. Au domicile de Hanane, où le second « amène des filles », prétexte-t-il auprès de sa cousine, on stocke la marchandise. Si les éléments contre Mehdi paraissent tenir la route, y adhérant d’autant plus qu’il est sorti de cellule en 2020 après sa condamnation à quatre années de prison pour trafic de 8,9 kilos de cocaïne, les charges contre Abdelhafid et Nassim semblent plus ténues.

Certes, ce dernier est trahi par des conversations litigieuses. A l’audience, « le galérien de Villeparisis », tel qu’il se définit, admet « bricoler un peu » mais réfute le trafic. Son ADN décelé sur un sac d’1,4 kilo de résine ? « On m’a confié un stock une semaine. » Abdelhafid, oncle de Mehdi, reconnaît « beaucoup fumer » et « dépanner des amis ». Chez lui, ont été trouvés 43 grammes de résine, des boîtes de conditionnement, cinq balances de pesée et des milliers de pochons.

Ces éléments font-ils de lui « le trafiquant chevronné » que l’on décrit ? A voir. Ses fréquents allers-retours en Belgique ? Il y travaille. Plus étranges sont ceux de Mehdi, tout aussi réguliers : « J’y vais voir mon père, j’ai des parts dans son restaurant », précise-t-il. Sylvie en est la gérante – activité qu’elle exerce en plus d’être étudiante en droit des affaires, niveau master ; elle espère devenir magistrate. Les juges et la procureure sourcillent.

Revient maintenant à Hanane de s’expliquer. Prévenue de détention et de cession sans que soit produite une preuve, la jeune mère en doudoune est perdue. Elle élève seule ses trois filles, s’occupe depuis neuf ans d’enfants handicapés, et ne sait pas ce qu’elle fait à cette barre. Nous non plus.

100 € par mois au supermarché mais des congés luxueux

 Les personnalités sont abordées. Rien de particulier, si ce n’est la grisaille de l’existence de Nassim, petit délinquant au bras estropié, la dépression d’Abdelhafid, jamais condamné, qui se bat pour voir ses enfants. Mehdi a été incarcéré deux fois, puis chômeur de longue durée ; il est aujourd’hui couvreur. Contre lui, la procureure Filliol est sévère. Ses alias – Maxime et Dos – ressortent d’écoutes démontrant « qu’il est le boss, cela ne fait aucun doute ». Ses fréquentations quotidiennes de points de deal et des adresses épiées à Villeparisis, à Tremblay-en-France, « démontrent qu’il n’allait pas à la boulangerie ou au café, ainsi qu’il le prétend ». Elle ne croit pas en sa version – « j’étais chez mon oncle pour fumer un joint et regarder la série “Les Marseillais” à la télé » – ni en l’origine de l’argent : « Il dépense 100 € par mois au supermarché mais prend des congés difficiles à s’offrir même avec un salaire, dort dans des hôtels luxueux et roule en Mercedes ! ». Elle en requiert la saisie, et une peine de trois ans ferme avec mandat de dépôt à la barre.

Néanmoins, elle abandonne les qualifications d’association de malfaiteurs et importation, « insuffisamment caractérisées », comme pour Abdelhafid et Nassim. Parce qu’on « ne juge pas un trafic mais des trafiquants », elle sollicite deux ans de prison dont moitié de sursis contre Abdelhafid, deux ans ferme contre Nassim. Hanane est menacée de dix mois avec sursis, 120 heures de travail d’intérêt général (son travail ne l’est-il pas ?), et Sylvie, de six mois avec sursis et confiscation des sacs, jusqu’au Louis Vuitton qui sert à transporter les couches de ses jumeaux.

« Un trafiquant, lui ? Regardez ses yeux, ils respirent le malheur ! »

 Quatre avocats parisiens, appelés au secours, vont essayer de gommer les fâcheuses impressions ou de s’engouffrer dans les failles de l’enquête. Me Jean-Laurent Panier intervient pour Hanane. Depuis 13h30, il est assis au banc des parties civiles, un symbole : « Je me prenais pour une victime (…) Arrivé léger comme une plume, je finis indigné » par « un raisonnement hypothético-déductif. » L’accusation a, selon lui, « déféré sa cliente afin de coincer son cousin Nassim ». Il demande une relaxe.

Me Margot Pugliese, toujours talentueuse, se tient au côté d’Abdelhafid et plaide avec émotion : « Un trafiquant, lui ? Regardez ses yeux, ils respirent le malheur ! Il est désemparé. » Elle évoque ses conditions de vie, trois ans de bataille procédurale pour voir ses enfants, l’assistante sociale qui l’aide, ses dettes, son travail d’homme à tout faire dans un restaurant. Les écoutes « ne tirent pas le portrait d’un trafiquant mais d’un usager », insiste-t-elle, regrettant « l’absence de garde-fous contre l’interprétation arbitraire de la police ». Elle implore d’extraire Abdelhafid « de la toile d’araignée ».

Me Joseph Hazan, défenseur de Mehdi et Sylvie, tente de tailler à la serpe le dossier. Sa démonstration, volontairement technique, égare ceux qui ne disposent pas des procès-verbaux. Il est question de dates, d’horaires, des points de deal et d’investigations mal menées, « une insulte à votre probité de juges ». Il espère la relaxe de Mehdi et de son épouse.

A 22h10, alors que débute la 9e heure du procès, Me Steeve Ruben se lève pour Nassim : « Il gérait l’approvisionnement de Normandie-Niemen (un secteur de deal à Villeparisis, Ndlr) et blanchissait ? Mais où est le schéma du trafic ? Des semaines de surveillance pour conclure que le sac de sport transporté une fois contenait des stups ? La police s’en dit “persuadée” ? Waouh, il est très sérieux, ce dossier ! Pourquoi ne pas l’avoir interpellé ? » Rappelant que sa Renault saisie a été réglée avec l’indemnité de l’accident qui lui a coûté un bras, que l’argent bloqué provient de sa paie de postier, il souhaite leur restitution. Quant à la peine, « je préfère un aménagement sous bracelet plutôt qu’un coup de matraque sur la tête ».

Seuls Mehdi et Sylvie prennent la parole en dernier : « Ne me jugez pas sur mon casier, j’ai changé. Je suis un autre homme », dit-il. « Il est un bon père, il travaille dur », ajoute-t-elle.

Suivant les instructions du garde des Sceaux, qui invite les magistrats à ne plus travailler la nuit, la présidente Isabelle Verissimo suspend l’audience juste avant 23 heures. Le jugement sera rendu le 28 février. Les prévenus s’en vont sous la pluie glacée ; Nassim retourne au centre pénitentiaire de Meaux.

 

*Les prénoms ont été changés

(1) Lorsqu’une infraction est commise, plusieurs voies procédurales sont possibles. Si l’affaire est simple et ne nécessite pas d’investigations particulières, le suspect passe en comparution immédiate à l’issue de sa garde à vue. Le jugement est le plus souvent rendu immédiatement. Si les faits sont complexes, une enquête préliminaire est ouverte sous la seule direction du parquet. Celui-ci peut décider qu’une instruction par un juge s’avère nécessaire, c’est toujours le cas en matière de crime et parfois de délit, notamment pour les dossiers financiers. Un juge d’instruction est alors désigné avec de larges pouvoirs d’enquête.

Tribunal de Meaux : Un réseau de trafiquants de drogue démantelé à Villeparisis
Me Margot Pugliese  (Photo ©I. Horlans)

 

 

Le trafiquant de drogue condamné à deux ans de prison(mise à jour du 4 mars 18h00) Initialement prévu le 28 février, le jugement du tribunal correctionnel de Meaux a été rendu le 4 mars. Mehdi, poursuivi pour trafic de stupéfiants à Villeparisis (Seine-et-Marne) entre le 1er janvier 2020 et le 19 octobre 2021, a été condamné à deux ans de prison, dont moitié avec sursis assorti d’une mise à l’épreuve jusqu’en 2024. Le mandat de dépôt ayant été décerné à l’audience, il a quitté la salle menotté, entre trois policiers.Abdelhafid, soupçonné des mêmes délits (acquisition, détention, cession, transport et usage), est sanctionné de 18 mois de prison avec sursis. Leur ami Nassim quittera, lui, le centre pénitentiaire dans la soirée et portera un bracelet électronique durant neuf mois. Un sursis simple, d’une durée identique, lui est également infligé.Quant aux deux femmes, elles ont été « relaxées au bénéfice du doute ». Cela signifie que, sauf recours, leur dossier gardera trace de leur passage devant la juridiction meldoise.

 

X