Tribunal de Meaux : Un trafiquant de drogue condamné à six ans de prison ferme

Publié le 05/11/2024

Igor affichait des signes extérieurs de richesse ne correspondant pas aux minima sociaux qu’il perçoit sans vergogne. Déjà condamné 22 fois, cet homme de 42 ans était surveillé par les gendarmes de Coulommiers, en Seine-et-Marne, qui avaient « sonorisé » son logement. Au tribunal de Meaux, il a tenté de justifier le contenu explicite des écoutes. En vain.

Tribunal de Meaux : Un trafiquant de drogue condamné à six ans de prison ferme
Salle d’audience au Tribunal judiciaire de Meaux (Photo : I. Horlans)

 À Poitiers (Vienne), un règlement de comptes lié au narcotrafic n’avait pas encore provoqué la mort d’Anis, 15 ans, gravement blessé jeudi 31 octobre, victime collatérale comme quatre autres mineurs. En Ardèche, Nicolas, un rugbyman de 22 ans, n’avait pas succombé à sa blessure après la fusillade devant une discothèque le 1er novembre sur fond de rivalité entre dealers. Et un homme de 19 ans n’avait pas été tué peu après, en représailles aux événements de la nuit.

Les magistrats du tribunal de Meaux, réunis le 30 octobre pour juger Igor, n’ont pas été influencés par ces drames pour sanctionner lourdement « le fournisseur et gestionnaire », selon les mots de la substitute Dreyfus, d’un quartier commerçant de Coulommiers, où circulent cannabis et cocaïne. À son côté, libre à la barre, Youcef, 18 ans, un « petit » à son service.

À l’issue d’un débat pittoresque, et en dépit de dénégations farfelues, Igor, 42 ans dont 12 en prison, a regagné la cellule où il loge depuis le 12 juillet. Youcef, 18 ans et dans les vapes, remis en liberté après un été en détention, a bénéficié d’une « dernière chance ».

« Tu roules en Mercedes alors que je suis au RSA ! »

 La présidente Cécile Lemoine a consacré huit minutes à la lecture des 23 délits retenus. Pour résumer : trafic de drogue en récidive par Igor, parfois par Youcef, possession d’articles de luxe contrefaits. Et deux heures à celle d’écoutes enregistrées par la brigade de recherches. Informée des activités d’Igor en janvier, elle a sonorisé son appartement le 11 mars : il se méfiait de ses téléphones, semait les enquêteurs quand il ravitaillait en trottinette ses points de deal.

Encadré de son escorte, le prévenu admet « être un peu parano. J’ai pris 12 ans, ça a laissé des séquelles ». Chemise rayée, crâne rasé, ton haut perché, il est piégé par sa voix « très spécifique, au timbre particulier », indique la parquetière. Malgré cela, Igor assure que le va-et-vient chez lui ne permet pas de lui imputer les propos captés. Et quand il est coincé, il ne se rappelle pas les avoir tenus, ou trouve une parade.

Exemple, lorsqu’il reproche à son ex-compagne, la mère de ses enfants, de « rouler en Mercedes alors que je suis au RSA. Les condés sont pas cons ! Une bagnole à 35 000 € pour 500 de RSA, tu vois le problème ? » Riposte : « La Mercedes est à mon ami Rachid. » La clé de contact était cachée dans la mousse de son canapé ? Qu’importe. Rachid, dans la salle, est déterminé à la récupérer. Il a désigné une avocate.

« J’avais envie de lui mettre deux coups de fusil ! Bam-Bam ! »

 Tandis que Youcef bâille à la barre et masse son dos courbaturé, le tribunal poursuit la lecture des écoutes. La présidente : « “Les petits, entend-on, on les fait monter et ils trahissent”. Qui sont ces petits ? Les jobbers pour qui vous avez des mots très durs ?

– Je ne sais pas. C’est pas moi qui parle.

– Et “les voitures de condés” qui vous inquiètent ?

– Je ne me souviens pas.

–  La conversation avec Yaya autour de la beuh, la C [cocaïne], l’argent, des recharges ?

– Je ne connais pas de Yaya.

– Vous dites : “J’étais à la mosquée, j’avais envie de lui mettre deux coups de fusil. Bam-Bam !” Cela vise qui ?

– Ça m’arrive d’avoir des litiges…

– Et cette phrase : “Je vais vous tirer dessus, bande de fils de pute ! Je vais décalquer vos mères.”

– Ah bon ? Je me rappelle pas. Ça doit pas être moi.

– Quand vous craignez que les forces de l’ordre “craquent les messageries Telegram et Signal”, ce n’est pas vous non plus ?

– Non. Je ne les utilise pas. »

Igor, dont la caractéristique est aussi de placer douze « fils de pute » dans une conversation d’une minute, nie toute agressivité : « Les gendarmes me font passer pour un méchant, mais je ne suis pas un monstre. J’ai du cœur ! Il y a vingt ans, j’étais sans foi ni loi, mais à 42 ans, je suis plus méchant. J’ai pas été que malhonnête. »

Démonstration : « J’ai construit deux puits d’eau au Népal, je fais du bien. Et j’organise des barbecues pour les jeunes.

– Oui, sur les écoutes, vous évoquez “les morfalous de la cité”… »

Une corde pendue à son balcon « par peur du feu »

Pour expliquer son train de vie, Igor raconte une histoire à dormir debout : il a vendu trois montres pour 85 000 € à sa dernière sortie de prison. Et la corde pendue à son balcon, qu’il n’a pas utilisée car le GIGN a été rapide ? « J’ai peur du feu. Et il y a eu trois séquestrés dans ma famille, des gens en veulent à mon argent. » Cela ne l’empêche pas de laisser seule sa fille de 5 ans, la nuit, si on lui passe une commande : « Non, je descends juste fumer la chicha dans ma cave, je veux pas d’odeurs chez moi. »

Ainsi de suite.

Au tour de Youcef. Bien sûr, il ne connaît pas Igor, n’a jamais travaillé pour lui bien qu’il détienne la clé d’un box où l’aîné a stocké de la drogue – elle a laissé des traces – et qu’il plante « son siège pliant pour dealer au centre commercial, sur le territoire du gestionnaire ». S’il a vendu du shit durant dix mois, « c’était pour quelqu’un d’autre ». Majeur depuis peu, doté d’un casier portant cinq mentions, il a bénéficié d’un sursis avec interdiction de séjour à Coulommiers, où il a été vu : « C’est pas ma faute, si les policiers hallucinent. Fallait m’arrêter s’ils étaient sûrs d’eux », objecte-il mollement.

Des journées à 800 €, un kilo de cannabis filtré pour 6 300 €

La substitute résume son état : « Les stupéfiants vous grillent le cerveau ! » Elle en sait assez sur « ce petit qui a accès aux cachettes » d’Igor et refuse de balancer : « Je comprends. » Elle requiert deux ans de prison, dont huit mois ferme, la révocation d’un sursis de quatre mois, 3 000 € d’amende. Il pourra effectuer l’année ferme sous bracelet chez ses parents.

S’agissant d’Igor, dont l’enquête a démontré « des journées à 800 €, un kilo de cannabis filtré [vendu] 6 300 € », elle convient que, « depuis sa dernière détention, il s’est professionnalisé. Il ne met plus ses Rolex ». Mais « je suis convaincue qu’il fournit les petits ». Elle rappelle « qu’il a accès aux armes de guerre » (précédemment saisies), « que le psychiatre l’a décrit impulsif, avec une haute opinion de lui-même et une certaine dangerosité ».

Léa Dreyfus requiert six ans ferme, un maintien en détention, une amende de 10 000 €, et la confiscation de « la Mercedes de Rachid ». Elle révèle que, « dans une autre des voitures à son nom, on a saisi 12 000 € en cash ». Cette affaire de blanchiment sera jugée ultérieurement.

Les avocats de la défense ne convaincront pas le tribunal. En début de nuit, il choisit de suivre les réquisitions, doublant toutefois l’amende d’Igor.

Rachid s’en va dépité. Il ne récupèrera pas la Mercedes.

Plan