Tribunal de Meaux : « Une coïncidence de Dieu » réunit deux voleurs à 4h35 du matin
Oussama et Rami, des Algériens sous injonction de quitter la France, en récidive de multiples délits, auraient pu choisir la simplicité : avouer les vols commis en milieu de nuit dans des rues de Serris (Seine-et-Marne). Préférant embobiner les magistrats du Tribunal de Meaux avec un conte à dormir debout, ils ont achevé l’an 2023 en prison.

Est-ce l’effet prolongé des psychotropes, achetés sous le manteau Porte de la Chapelle à Paris, qui semble propulser les deux prévenus à des années-lumière du box vitré de la 1ère chambre correctionnelle du palais de justice de Meaux ? Oussama, doté de plus de poils de barbe que de cheveux, a 30 ans et l’air hébété de qui traîne son existence comme un boulet depuis des lustres. Rami, 20 ans, plane tout autant. Efflanqué, brun à mèches blondes, il caresse délicatement son petit bouc et fixe ses juges sans paraître les voir. Il s’accroche à cet horizon plane, tel l’homme qui regarde la mer.
Assistés d’un interprète, les deux Algériens répondent de vol aggravé par deux circonstances (en réunion et par effraction) en récidive, et font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Il est aussi précisé qu’Oussama est la cible « d’une procédure en cours au Portugal », dont on ne saura rien. Arrivé en 2003 à Paris, il vivote d’un département à l’autre d’Île-de-France, gagne son pain en fouillant les poubelles la nuit. À l’aube, il revend son butin sur les marchés. Rami, lui, ne s’épuise pas à la tâche. À l’aide de ses alias, il a multiplié les condamnations pour vols aggravés dès 2021 : grâce au fichier des empreintes, il a fini par être confondu en un seul et même auteur de moult délits, qu’il reconnaît.
« C’est du Gucci de Clignancourt »
C’est du reste sous un de ses pseudonymes, « Soufiane S. », que Rami s’est identifié auprès des policiers qui l’ont arrêté rue de Lagny à Serris, à 4h35 un lundi matin. Il était dans la voiture d’un riverain, « à cause du froid », explique-t-il, sans cependant parvenir à justifier la présence à côté de vélos chapardés dans un jardin voisin. « Je les ai découverts en même temps que la police », essaie-t-il, prémices d’un échange relevant du grand n’importe quoi. La présidente Cécile Lemoine : « Que faisiez-vous à cette heure-là en Seine-et-Marne ?
– J’attendais l’ouverture du RER. J’étais venu voir ma copine.
– Pourquoi ne pas dormir chez elle ?
– Elle habite chez ses parents.
– On ne sait même pas qui elle est…
– Je crois qu’elle s’appelle Héléna.
– Et la bague trouvée sur vous ?
– Un souvenir de ma mère.
– Comme la gourmette au prénom de Dylan ?
– Elle appartient à un ami rappeur.
– Et vos vêtements siglés Gucci ?
– À mon beau-frère, il est riche.
– Vous êtes sûr ?
– Ouais, enfin, c’est du Gucci de Clignancourt. »
Soit le nom d’un célèbre marché où les articles de contrefaçon sont légion.
La suite est à l’avenant. Sanctionné de plusieurs mois de prison à Versailles (Yvelines), Créteil (Val-de-Marne), Paris et Bobigny (Seine-Saint-Denis), il a été libéré en juillet 2023, et placé en centre de rétention en attente de son expulsion. L’Algérie n’a pas validé son rapatriement.
Rami : « Alors, je suis parti en Suisse pour y demander l’asile.
– Et êtes revenu en France en dépit de l’OQTF… De quoi vivez-vous ?
– J’ai rapporté de l’argent de Suisse, j’y ai mes frères.
– Pourquoi prenez-vous du Rivotril [antiépileptique] et du Lyrica [contre les douleurs neuropathiques] ?
– J’ai perdu un doigt.
– Vous avez des ordonnances ?
– J’en ai eues. Maintenant, je me fournis Porte de la Chapelle. »
Soit au marché noir. Ces médicaments addictifs, dont l’usage est détourné, sont désormais délivrés sur prescription sécurisée limitée à six mois.
« J’ai découvert deux valises pleines d’outils, ça m’a choqué ! »
Oussama aussi se drogue au Rivotril et au Lyrica, dont le simple cachet de 2mg peut atteindre 3 €. « J’ai eu un accident. Depuis, j’ai mal à la poitrine », avance-t-il. À son tour, il est soumis à l’interrogatoire. Sa présence à 4h35 dans la rue perpendiculaire à celle où opérait Rami, à trois maisons d’écart, loin de Paris, avec un sac à dos plein de vêtements et des outils volés ?
– Je me suis dit qu’en banlieue, avec les fêtes, la période serait propice. J’ai découvert deux valises pleines d’outils, ça m’a choqué que des gens jettent tout ça ! Je n’arrivais pas les porter, tellement elles étaient lourdes.
– En garde à vue, [Rami] a dit ne vous avoir jamais vu. Pourtant, vous avez été condamnés ensemble pour vol avec effraction en juillet 2022 à Créteil…
– Disons que ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas croisés.
– Vous étiez donc par hasard dans le même secteur en pleine nuit ?!
– … »
Rami vole à son secours : « Mais oui ! C’est une coïncidence de Dieu ! »
Comme ses collègues du siège, la procureure Marguerite de Saint-Vincent est convaincue de la mauvaise foi des complices, et Dieu n’y est pour rien. « Ils sont seuls dans deux rues désertes, séparés de quelques mètres, avec des objets volés et reconnus par un riverain comme étant les individus qui se sont introduits chez lui », résume-t-elle. « L’accumulation de peines par [Rami], en récidive de récidive de récidive », l’incite à requérir un an ferme avec maintien en détention. Et « l’incarcération immédiate » d’Oussama, au casier judiciaire moins chargé, durant dix mois.
Me Claire Vinh San, commise d’office en défense, plaide « la précarité » de ces hommes et en appelle à « l’humanité de la justice, qui n’est pas obligée de les incarcérer ». Rami appuie le propos de l’avocate : « Oui, ça règlera pas les choses si on va en prison. »
Certes. Compte tenu de leur misère, de l’absence de domicile, du manque de travail et de l’impossibilité d’appliquer les OQTF, l’Algérie n’accordant plus de laissez-passer consulaires depuis neuf mois, le retour prochain de Rami et d’Oussama devant un tribunal entre dans le domaine du possible. Mais les juges ont estimé que, peut-être, ils se reprendront en main, serait-ce par le sevrage de psychotropes. Ils ont suivi les réquisitions, y compris l’interdiction de paraître en Île-de-France pendant trois ans, et simplement réduit la peine d’Oussama à six mois au lieu de dix.
Référence : AJU412534
