Tribunal de Meaux : Vague de misère humaine à l’audience correctionnelle

Publié le 09/03/2022

De l’un des hommes à qui il a porté assistance le 28 février, l’avocat Jean-Christophe Ramadier a parlé de « grand fracassé de la vie ». Il aurait pu employer l’expression à l’égard d’autres prévenus. Le tribunal de Meaux a été submergé, durant quatre heures, par un flot de détresse.

Tribunal de Meaux : Vague de misère humaine à l’audience correctionnelle
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Malik, 40 ans, est incarcéré depuis 19 jours. Il a mangé à sa faim et dormi au chaud. D’ordinaire, il vit dans sa vieille Fiat Punto sur le parking d’un centre commercial en Seine-et-Marne. Cela fait quatre ans qu’il y stationne à côté de la tente de son frère, handicapé à 80 %. Ils se douchent chez leur sœur, qui les aide autant que possible. Elle est là, lundi 28 février, à la 1ère chambre correctionnelle de Meaux où se déroule le procès de Malik.

Le 7 février à Chelles, il est sur son parking, la musique à fond. Il cuve son whisky, finit son petit joint pour oublier l’hospitalisation de son frère. Il y a « une embrouille plus loin », l’arrivée de policiers en civil. Il est sommé de baisser le son, de quitter sa voiture. « J’étais alcoolisé, j’ai eu peur, je ne savais pas qui c’était », assure Malik, tordant ses mains qui virent au rouge violacé. Ainsi explique-t-il son attitude irréfléchie.

« A ma sortie de prison en 2018, j’avais tout perdu »

 Les six chefs de prévention résument la suite des événements : rébellion, refus de se soumettre à des tests, port d’arme blanche (une serpette pour couper son bois l’hiver), défaut d’assurance, conduite en état d’ivresse (il était à l’arrêt) et mise en danger d’autrui. Il nie farouchement la dernière infraction : « Non, je n’ai pas foncé sur le brigadier R., j’ai juste enclenché la première. Je n’ai eu le temps ni de bouger la voiture ni de me débattre ! » Le procureur Piat conviendra que « ce n’est pas l’affaire du siècle ».

Néanmoins, Malik a été emprisonné, sans doute à cause de son casier qui révèle 12 condamnations. Il a été facteur durant dix ans, puis il a sombré dans la délinquance : « A ma sortie de prison en 2018, j’avais tout perdu. Mon travail, mon logement, ma compagne. Je me suis retrouvé SDF. Et là, ma Fiat est à la fourrière. J’ai toute ma vie dedans… »

« Il faut vous ressaisir », recommande le procureur. Il abandonne la mise en danger du policier, requalifie le port d’arme en transport, sollicite une amende de 100 € pour défaut d’assurance, requiert trois mois de prison.

En défense, Me Jean-Christophe Ramadier insiste sur « l’extrême précarité d’un homme qui, à 40 ans, habite dans sa bagnole, qui a une serpette pour faire du petit bois et se chauffer ». Il préfèrerait « une main tendue » à « ce grand fracassé de la vie ». Peut-être un placement à l’extérieur, une semi-liberté « qui l’aiderait à avancer, à retrouver une utilité sociale. Sa sœur et ses tantes sont là, elles l’aideront. Vous savez bien que ce sont toujours les femmes qui maintiennent les hommes à flots ».

Quinze minutes plus tard, l’avocat est exaucé : six mois de sursis renforcé, deux ans de mise à l’épreuve, une amende de 150 €. « Merci, Madame le juge », crient les tantes, la sœur et Malik. Puis il ajoute : « Et ma Fiat, je vais pouvoir la récupérer ? »

« J’espère qu’on ne vous offre pas un cadeau empoisonné »

Johan, lui, a 39 ans et 37 mentions à son casier. Soupçonné de sept délits, vols avec dégradation en récidive, détention et usage de stupéfiants, il est emprisonné depuis le 11 février. Son procès est fixé au 18 mars. Hélas pour lui, il ne supporte pas la détention. Aussi sollicite-t-il sa remise en liberté. Au large dans son blouson blanc, cheveux en bataille, les yeux qui roulent comme une boule de flippeur, il avoue tout : « Je reconnais, j’ai déconné », dit-il à la présidente Teyssandier.

Le tribunal porte à son crédit le fait qu’il assume ses actes. Toutefois, dans la colonne du passif, apparaissent plusieurs problèmes. Passé maître dans l’appropriation de biens d’autrui dès 2002, son appartement ressemblait à « la caverne d’Ali Baba » lorsqu’il a été arrêté. Enfin, il est schizophrène et conduit des poids-lourds sous l’emprise de cocaïne et cannabis. Beaucoup pour un seul homme.

Johan assure aller mieux. S’il a dérapé le 10 février, date des infractions, il se dit « stabilisé. J’avais raté trois injections ». Ses médicaments l’ont remis d’aplomb. La juge le sermonne : « Vous ne pouvez pas être cocaïnomane, schizophrène, et au volant d’un camion. C’est incompatible. » « Oui, bien sûr ! », rétorque Johan du ton ferme de l’évidence.

Il consomme des stupéfiants pour supporter le chaos de son passé : placé à l’âge de six mois, il a retrouvé sa mère 17 ans plus tard, juste avant qu’elle ne meure. La suite est à l’avenant, les incarcérations se sont succédé. Puis, miracle, il s’est découvert une passion pour le transport au long cours.

Le procureur estime déraisonnable de laisser Johan repartir sur les routes, le jugeant « extrêmement dangereux ». Il requiert le maintien en détention jusqu’au procès. « C’est difficile de me faire confiance, plaide Johan, sans avocat. Mais je le jure, je veux me réinsérer. » A l’issue du rapide délibéré, il est libéré : « – Si vous ne revenez pas le 18, c’est la prison, prévient la présidente.

– Je serai là à 100 % !

– J’espère qu’on ne vous offre pas un cadeau empoisonné… »

Dès sa levée d’écrou, Johan pointera au commissariat, verra le psychiatre et fournira des analyses d’urine. Il est content.

Le tribunal se plonge maintenant dans le dossier d’Achref, Tunisien de 30 ans. Père d’un bébé de cinq mois, il refuse de se soumettre à l’OQTF, sigle redouté par les étrangers en situation irrégulière : obligation de quitter le territoire français. Il aurait dû rentrer chez lui en avril 2021. Mais la misère l’attend au pays, il aime son fils, sa compagne, alors il s’accroche.

Le tribunal ne peut pas gérer toute la détresse du monde. Achref est donc maintenu en prison en attendant que soit programmé son départ, avec une interdiction de revenir à Paris jusqu’en 2024.

Tribunal de Meaux : Vague de misère humaine à l’audience correctionnelle
Me Jean-Christophe Ramadier au tribunal judiciaire de Meaux le 27 août 2021 (Photo : ©I. Horlans)
X