Tribunal de Meaux : « Vous êtes conscient que les petites filles violées ont mal ? »
Le jeune homme de 24 ans qui a téléchargé, détenu, diffusé des photos et vidéos de fillettes abusées sexuellement, qui avoue « [son] appétence pour les enfants de 3 à 12 ans », pour les violences « incestueuses », est livide, tétanisé. Il implore les magistrats du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) de ne pas l’envoyer en prison.
Le 11 octobre, Kevin avait sollicité un délai pour préparer son procès. Son défenseur, Me Jean-Christophe Ramadier, vice-bâtonnier de Meaux, avait souhaité une expertise psychiatrique éclairant sur le lien éventuel entre un « parcours chaotique », « des carences d’une infinie tristesse », et ses actes extrêmement graves. Il fallait « tenter de comprendre » avant de juger. Le procureur Éric de Valroger en était convenu, appelant à « un strict contrôle judiciaire assorti d’obligations » jusqu’à l’audience du 6 novembre (notre article du 12 octobre ici). Aussi, ce lundi 6, Marlène Leroy, qui lui succède au banc du ministère public, a les conclusions du psychiatre sous les yeux. Elles vont lui permettre de requérir avec justesse.
La nuit enveloppe depuis des heures le palais de justice de Meaux et Kevin est toujours d’une pâleur terreuse. La présidente Isabelle Verissimo et ses deux assesseures délibèrent. Comme l’a rappelé la procureure Leroy, « en France, la justice est très démunie face à la pédophilie ». Incarcérer le jeune homme jamais condamné, pétri de remords, ou le placer durant plusieurs années sous contrainte judiciaire ? Telle est l’alternative posée au tribunal.
« Des milliers de photos d’enfants pas même sortis de la maternelle »
L’audience a été très éprouvante. Et pourtant, la présidente Verissimo s’est employée à épargner tant les membres de sa juridiction que l’assistance. A deux reprises seulement, il a été fait mention des écrits de Kevin, adressés à des adolescentes, deux petites chanteuses du groupe Kids United qui lui ont tourneboulé la tête. Il nous est impossible de reproduire ses mots, trop obscènes. A la barre, qu’il tient à deux mains, le prévenu de « détention et diffusion d’images à caractère pédopornographique », de « publication de montages » de mineures « non consentantes », de « captation » de photos et vidéos d’enfants suivis dans la rue, chancèle en entendant la crudité des termes qu’il a employés. « J’ai honte », répète-t-il, pinçant des doigts l’arête de son nez. Les chefs de prévention courent du 1er janvier 2020 au 8 octobre 2023 ; ce n’est pas un « accident » isolé. La juge, atterrée : « Les enquêteurs ont saisi des milliers d’images d’enfants pas même sortis de la maternelle. Des fillettes violées par leur père ! Des filles vraiment très petites ! » Kevin se tortille, avoue son « attirance » pour les contenus pédopornos récupérés dans son PC, ses trois ordinateurs portables, ses deux iPhones, son iPad…
« – Vous êtes conscient que ces petites filles violées ont mal ?
– Oui, j’ai d’autant plus honte. Je suis moi-même choqué, comme l’est mon entourage. J’ai essayé d’arrêter mon addiction. Je sais que c’est anormal.
– 98 % de vos fichiers concernent de très jeunes mineures. D’où vient cette attirance ?
– Je ne me l’explique pas. Depuis la dernière audience, j’ai vu un psychiatre comme vous me l’avez ordonné. J’ai pu parler, ça m’a rassuré. Je travaille avec lui.
– Vous voulez dire qu’en un mois, vous avez réglé votre problème ?
– Disons que ça m’a libéré d’un tabou. Je ne recommencerai pas. »
« Suivre des enfants dans la rue est un début de passage à l’acte »
L’expert psychiatre (sans rapport avec le spécialiste consulté librement) ne mentionne « aucune pathologie » mais révèle que Kevin a été violé à l’âge de 4 ans (le criminel a été emprisonné huit ans), que « son milieu familial carencé » n’a pas guéri le traumatisme. Il conclut que « sa reconnaissance d’une pédophilie » est un progrès, qu’elle peut cependant conduire « à un passage à l’acte qui incite à la prudence ».
Kevin riposte de sa voix douce : « Impossible. Ce n’est qu’un fantasme. Ma seule expérience sexuelle se limite à des attouchements sur une jeune fille (sic) de 8 ans quand j’avais le même âge. »
La présidente et la procureure ont la même réaction, exprimée à une demi-heure d’intervalle : « Monsieur, suivre des enfants dans la rue est un début de passage à l’acte ! Vous les prenez en photo, les filmez, vous les partagez avec des pédophiles… » Il redit sa honte. Ses deux seuls amis sont dans la salle, ils le soutiennent. A l’instar de sa mère, de sa vieille grand-mère qui, titulaire de l’adresse Internet, a été la première convoquée par les policiers de Meaux. Bien que vivant et dormant avec ce petit-fils aimé dans l’exigu salon de leur deux-pièces, elle n’avait rien remarqué. Pas plus que sa mère atteinte de sclérose en plaques, isolée dans la chambre et trouvant son fils simplement « mystérieux ». Il faut dire qu’elle le connaît à peine. Après le viol à 4 ans, elle l’a abandonné dans un foyer « parce qu’elle picolait trop », précisera Me Ramadier. Quant à son père, il l’a récupéré dix ans plus tard pour le battre comme plâtre, avant de le renvoyer en foyer d’accueil.
« Des contenus très, très difficilement regardables »
« Une enfance digne des romans de Zola », reconnaît la procureure Leroy. Ancienne juge des enfants, elle sait combien « les carences affectives et les problématiques sexuelles mises sous le tapis » engendrent des dégâts. Un élément capital lui pose toutefois souci. Aux juges aussi : « Jusqu’où irez-vous si vos pulsions réapparaissent ? » insistent tour à tour la présidente, ses deux assesseures, la parquetière. « J’ai commencé un travail sur moi », répond systématiquement Kevin. Son discours paraît sincère et formaté ; paradoxe troublant.
Marlène Leroy requiert avec une intelligence de situation bienvenue. Elle évoque « Internet et les réseaux sociaux qui permettent aux anonymes de se lâcher » et qui, également, « facilitent le travail des enquêteurs chargés de débusquer les pédophiles ». Elle révèle au passage que des policiers de Meaux se forment actuellement à la traque numérique : « On ne sera plus obligés d’attendre l’intervention des brigades spécialisées. » Elle concède que Kevin « est entré dans la sexualité précoce et violente à 4 ans. Le climat familial, les foyers, l’isolement, ont entraîné un glissement progressif vers la pédophilie via sa fascination pour le groupe d’enfants Kids United », la « dernière étape virtuelle » vers « le passage à l’acte dans les rues, le train, le partage de ses images sur les réseaux ». Elle s’émeut « des contenus très, très difficilement regardables », confie que ses « inquiétudes ne se sont pas évaporées car seules la contrainte judiciaire et la peur de la prison l’ont stoppé », mais la procureure n’est pas favorable à la détention. Elle préfère « un suivi sociojudiciaire de cinq ans, assorti d’une injonction de soins, son incarcération trois ans s’il ne respecte pas ses obligations, une interdiction définitive de travailler auprès des mineurs et son inscription au Fijais », le fichier des délinquants sexuels.
« Sa vie s’est arrêtée à l’âge de 4 ans »
Me Jean-Christophe Ramadier salue la clairvoyance du réquisitoire : « On se rejoint sur la nécessité du suivi sociojudiciaire. » Sa plaidoirie pourrait être le compte-rendu d’un examen psychologique : « On n’est pas dans le sexuel mais dans la violence sexuelle par un gamin qui l’a lui-même subie à l’âge des petites filles qui l’attirent. Sa vie s’est arrêté à l’âge de 4 ans. Il rejoue ce qu’il a vécu pour s’insérer dans une espèce de normalité qui est tout sauf normale. » Il évoque un père ultra-violent « qui le reprend à 14 ans, âge des chanteurs de Kids United », et « une mère en fauteuil roulant lorsqu’il la retrouve à sa majorité, grâce à l’amour que lui porte sa grand-mère ». Le vice-bâtonnier « comprend les craintes du tribunal – je n’ai pas pu imprimer les images – mais travailler en profondeur, tout déballer à un spécialiste, l’aidera. Je suis à son côté. J’ai confiance. L’envoyer en prison où il se fera fracasser est inutile ».
Me Ramadier convient que Kevin doit aussi trouver un emploi – il a arrêté le lycée en seconde, a passé trois ans enfermé devant ses ordinateurs. Son client est d’accord, il a déjà effectué des démarches, espère quitter le deux-pièces de sa mamie pour cohabiter avec son meilleur ami, veut voyager et découvrir la vraie vie.
S’exprimant en dernier, il redit sa honte, promet de ne pas récidiver, et s’en va faire les cent pas en attendant le jugement.
Le tribunal suit les réquisitions. Seule l’interdiction de travailler et côtoyer des mineurs est réduite à dix ans. Les intérêts civils d’une des chanteuses des Kids United seront examinés en octobre 2024.
Le condamné s’engouffre dans la nuit, apaisé à l’idée de revoir la lumière s’il s’extrait de l’abîme.
Référence : AJU400244