Tribunal de Nanterre : « Je l’ai frappé, oui, mais c’étaient des petits coups »

Publié le 31/08/2021

Mohamed n’a pas supporté que des clients assis en terrasse d’un bar les empêchent, lui et ses amis, de fumer du cannabis. Alors il s’est déchaîné contre les trouble-fête. Au premier, il a porté « des petits coups » jusqu’à lui briser un bras, une jambe, le nez. Le second a eu un tympan perforé.

Palais de justice de Nanterre
Palais de justice de Nanterre (Photo : @P. Anquetin)

 L’homme de 34 ans qui comparaît devant les magistrats de la 16e chambre correctionnelle du tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine), en présence de sa mère en larmes, nie les faits qui lui sont reprochés. Prévenu de violence en récidive, Mohamed a pourtant été désigné par les témoins comme étant l’auteur des blessures infligées à deux clients du Rouge Gorge, un bistrot de Montrouge.

A l’audience du 20 août, il se présente en jean noir et tee-shirt blanc passe-partout. Mais le 7 juillet, date de la rixe, il portait une chemise léopard, un accoutrement qui le distinguait de ses copains. Les consommateurs n’ont donc eu aucun mal à effectuer le signalement du bagarreur. Pas plus que les victimes, dont l’une a passé plusieurs semaines à l’hôpital. Sous réserve de complications, son incapacité temporaire de travail (ITT) est fixée, pour l’instant, à 60 jours.

« C’était une histoire bidon ! »

Si Mohamed admet sa présence sur les lieux et une brève empoignade, il réfute toute forme de brutalité. A l’entendre, il regardait tranquillement le match Angleterre-Danemark de l’Euro 2021 sur le grand écran du café. Un joint de cannabis circulait d’un ami à l’autre quand un groupe voisin leur a demandé de cesser de fumer. L’échange s’est envenimé, puis a dégénéré. « J’ai tenté de calmer l’affaire », explique le prévenu, incarcéré depuis qu’il a été identifié et arrêté en possession de la fameuse chemise fauve à tâches noires. « C’était une histoire bidon ! Je me suis levé et j’ai pris un coup de poing. Je suis tombé dans les vapes. »

La présidente Hennet-Azzoug s’étonne :

« – Monsieur, tout le monde vous a vu frapper les clients !

– C’est qui, ça, tout le monde ?

– Cinq témoins. Tous disent que c’est vous. Et vous avez refusé de donner le nom de vos amis qui, peut-être, auraient pu vous défendre…

– Je ne les connais pas.

– Vous fumez un joint avec des gens que vous ne connaissez pas ?

– Ouais, ce sont des Blacks mais les Blacks, ils se ressemblent tous !

– Je vous laisse la responsabilité de vos appréciations », conclut sèchement la juge.

En défense de Mohamed, l’avocat à la peau noire apprécie moyennement cette forme de mépris.

« Qu’est-ce qui peut valoir un tel déchaînement de violence ? »

 Parmi les témoins de la scène, il y a un agent administratif de Montrouge. Bien qu’il ait curieusement conseillé à la bande de s’enfuir avant l’arrivée de la police, il a fourni des explications précises : « l’homme en léopard » a porté les coups les plus durs. Acculé, Mohamed concède s’être relevé de ses vapes « pour taper ».

La présidente s’indigne :

« – Vous remettez des coups à une personne qui est à terre, en sang ? Votre seule idée, c’est de la cogner encore ?

– Je l’ai frappé, oui, mais c’étaient des petits coups…

– La victime présente des fractures à un bras, à une jambe, au nez, il a fallu la réopérer. Son ami a un tympan perforé ! Qu’est-ce qui peut valoir un tel déchaînement de violence ?

– C’est lui qui m’avait donné un coup de poing dans la joue.

– Vous raisonnez comme un enfant de 5 ans !

– Ouais, c’est pas la meilleure idée que j’ai eue. Je n’ai pas réfléchi. »

Sa mère, toujours en pleurs, fait les cent pas dans la salle. Pour la troisième fois, elle est courtoisement priée de se rassoir tandis que sont énumérées les onze précédentes condamnations de Mohamed. Violences en réunion, vol, outrages, recel, extorsion, port d’arme, menaces de mort et agression en raison de « l’appartenance, vraie ou supposée, à une race ».

« Vous avez semble-t-il un problème avec les différences ethniques », soupire Yasmine Hennet-Azzoug. Elle ne croit pas si bien dire : un quart d’heure plus tard, Mohamed congédiera son défenseur noir.

« Me remettre en prison ? Ça ne sert à rien ! »

 Arrivé en France en 2004, il a sombré dans la délinquance en 2006. Il n’a pas obtenu son baccalauréat, a exercé des petits boulots et, à 34 ans, il vit du RSA chez sa mère. Il aurait un fils, dont il ignore l’âge : « 2 ou 3 ans, je crois. » Seule certitude, Mohamed veut être styliste. C’est son rêve mais il n’a rien fait, jusqu’à présent, pour le concrétiser.

La procureure Laetitia Brunin n’a « aucune indulgence » pour ce prévenu qui s’obstine à nier l’évidence : « Nous disposons de photos prises sur la terrasse du café, on voit l’homme en chemise léopard distribuer les coups, victimes et témoins l’ont identifié », développe-t-elle. Si elle convient qu’il y a « un partage partiel de responsabilités » dans le déclenchement de la bagarre, elle rappelle « qu’à l’origine, il a commis une infraction en fumant du cannabis ». Elle requiert un an de prison dont moitié avec sursis, et une obligation de soins.

Mohamed, qui a donc révoqué son avocat, sans d’ailleurs le remercier de s’être déplacé, pense pouvoir convaincre ses juges de lui laisser à nouveau une chance : « Je vais faire un travail sur moi », promet-il. « Franchement, je ne suis pas fier, je suis désolé. Mais me remettre en prison ? Ça ne sert à rien ! » Ainsi s’achève sa plaidoirie, la plus brève entendue ce 20 août.

Tandis que les magistrats délibèrent, la mère de Mohamed entreprend une longue marche dans le couloir devant la 16e chambre. Dos courbé, elle prie à voix basse. L’humble requête ne sera pas exaucée. Son fils écope de deux ans de prison, dont dix-huit mois ferme. Les intérêts civils seront examinés le 16 juin 2022. Le maintien en détention ayant été ordonné, elle le regarde quitter le box. Il n’a ni un mot ni un geste pour elle.

La mère s’avance dans le prétoire : « Je suis sourde, je n’ai pas tout compris. » Avec douceur, la présidente explique : « Les faits sont graves. Votre fils a été plusieurs fois condamné… »

La mère opine et s’en va en pleurant.

Tribunal de Nanterre : « Je l’ai frappé, oui, mais c’étaient des petits coups »
Dans le couloir devant la 16e chambre, la mère de Mohamed prie en faisant les cent pas. (Photo : ©I. Horlans)

 

X