Tribunal de Pontoise : Miséreux, désespéré, il attaque son agence postale à la hache

Publié le 26/09/2022

En trois mois, Loïc* a perdu son travail et ses économies. Bipolaire sans traitement, victime d’un burn-out, il est à fleur de peau. Alors, quand le préposé de la Banque postale lui a refusé ses 300 derniers euros, Loïc est revenu avec une hache et a détruit le matériel de l’agence.

Tribunal de Pontoise : Miséreux, désespéré, il attaque son agence postale à la hache
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

 Dans le box des prévenus de la 8e chambre correctionnelle du tribunal de Pontoise (Val-d’Oise), raide et maigre comme un échalas des vignes, Loïc*, 34 ans, fixe la présidente Hélène Tortel. Visiblement affolé, il ignore à quel point il est bien tombé. Cette magistrate, qui fut 18 ans avocate, bâtonnier du barreau départemental, n’est pas uniquement courtoise, apaisante ; elle est compréhensive, instruite des aléas de la vie. Un détail : elle autorise les mis en cause à s’assoir durant l’intégralité des débats. Du jamais-vu.

Hélène Tortel réalise vite qu’il faut rassurer cet homme torturé. Déféré en comparution immédiate mercredi 21 septembre, il souhaite un délai afin de préparer sa défense avec Me Isabelle Kunzi, l’avocate commise d’office. Là encore, il a de la chance. Cette professionnelle aguerrie plaide avec son cœur, généreux. Les magistrats doivent décider du sort de Loïc, poursuivi pour violence et dégradations, d’ici à son procès. Incarcération ou remise en liberté ?

« Je n’avais plus que 10 euros en poche pour manger »

 Puisque l’affaire sera étudiée ultérieurement, les éléments à charge ne sont que survolés. Le 19 septembre, l’homme désespéré se présente à l’agence de la Poste de Franconville, où il détient son plan d’épargne logement. Il lui reste 300 €. Le préposé explique que la clôture du PEL prendra deux à trois semaines. Loïc a un coup de sang. Après avoir crié, il quitte les lieux. Puis revient avec une hache, l’agite en tous sens, fracasse l’imprimante, la photocopieuse, des écrans, des ordinateurs. « Je lis que les usagers étaient plus préoccupés par l’envoi retardé de leur colis… Ils n’ont pas eu peur ? », demande la juge Tortel.

Loïc, au large dans son bomber kaki : « – Je ne crois pas. Ils me regardaient, me prenaient pour un fou et les employés se moquaient de moi. Personne ne comprenait ma langue.

– Vous vous exprimiez en allemand, c’est ça ?

– Non. Dans ma langue divine. Je suis très croyant.

– En fait, le préposé n’a pas pris conscience que vous aviez besoin de votre argent pour vivre ?

– Je n’avais plus que 10 euros en poche pour manger…

– Licencié en juin, vous disposiez de 13 000 €. Vous avez tout dépensé ?

– Je suis beaucoup sorti à Paris. J’ai profité de la vie. Ma mère m’imposait toujours des restrictions. Je ne voulais plus de ça. »

« J’ai besoin du traitement qui inhibe mon comportement violent »

 L’examen de la personnalité du prévenu dévoile le poids de son infortune. Bipolaire, soumis à des épisodes maniaco-dépressifs, son psychiatre a mis la clé sous la porte en août 2021. Plus d’ordonnances de thymorégulateurs ni d’antipsychotiques, pourtant prescrits à vie. Loïc ne sait pas vers qui se tourner. Sans traitement, surmené, ce cadre bac + 4 d’une entreprise perd les pédales. Viré pour faute grave, il pense ne pas avoir droit à l’assurance chômage et ne s’inscrit pas à Pôle emploi. Le règlement de son loyer n’est plus honoré. Ses parents, frères et sœurs ne veulent pas de lui.

Cet été, incapable de maîtriser ses accès de colère, jusque dans le métro, il se rend deux fois aux urgences psychiatriques. On lui fixe un rendez-vous lointain, qu’il n’honore pas. « J’ai oublié. C’est dommage, ça m’aurait aidé. J’ai besoin du traitement qui inhibe mon comportement violent. Sinon, je délire, je traine en pyjama », explique-t-il. Déjà interné en 2020 et 2021, les experts confirment ses « fortes décompensations émotionnelles », un état « nécessitant des soins », un « discernement altéré, pas aboli ». Loïc n’a pas de casier judiciaire. Première confrontation avec la justice. D’où son effroi.

« La prison n’arrangera rien, surtout si on se moque de lui »

 Me Antoine Ricard, l’avocat parisien de la Poste, représente moult parties civiles. Magnanime, il entend néanmoins remettre les pendules à l’heure : « Des gens qui commençaient paisiblement la semaine se sont trouvés face à un individu muni d’une hache ! A la Poste, on voit quotidiennement des personnes en difficulté, on ne se moque jamais de celles qui seraient, entre guillemets, différentes », assure-t-il.

La vice-procureure Anne-Claire Lecaroz estime que « les faits sont graves, qu’il représente un danger pour la société ». Elle requiert la détention d’ici à son procès. Touchée « par ce dossier extrêmement sensible », Me Isabelle Kunzi, veut remonter le courant : « La prison, la surpopulation carcérale, n’arrangera rien, surtout si on se moque de lui. Quelle sera sa réaction ? ». Elle plaide la chute vertigineuse d’un homme « qui ne sait plus comment s’en sortir. Savez-vous ce qui l’a le plus marqué, à la Poste ? L’indifférence des usagers. Lui, il a besoin d’attention, d’assistance psychiatrique ». Loïc n’ajoute rien. Son regard fixe est amarré au lointain.

Finalement, le tribunal lui accorde la liberté jusqu’à l’audience au fond, le 13 octobre, avec interdiction d’aller à Franconville, obligation de soins, de pointer au commissariat. « Monsieur, je vous en prie, plus de bêtises ! La justice vous fait confiance, conclut la juge Tortel. Allez au centre social, on vous y aidera. Et utilisez ce temps pour reprendre votre traitement. »

Loïc opine et s’en va, ses 10 euros en poche. On pense alors à une citation extraite des Feuilles détachées** d’Ernest Renan : « Si l’on tient compte des difficultés sans nombre de la condition humaine, la bienveillance générale est la vraie justice. »

*Prénom modifié

**Éditions Calmann-Lévy, 1892.

Tribunal de Pontoise : Miséreux, désespéré, il attaque son agence postale à la hache
Me Isabelle Kunzi au tribunal de Pontoise le 21 septembre 2022 (Photo : ©I. Horlans)
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