Tribunal de Pontoise : Rackettés, des mineurs « charbonneurs » balancent des dealers

Publié le 29/09/2022

Les prévenus sont poursuivis pour trafic de cannabis durant neuf mois, dans quatre communes du Val-d’Oise. Ils ont été arrêtés le 19 septembre 2022 à l’issue d’une enquête de la gendarmerie. La procédure, longue de 600 pages, n’a révélé ni saisies ni bénéfices. Mais les écoutes ont parlé.

Tribunal de Pontoise : Rackettés, des mineurs « charbonneurs » balancent des dealers
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

 Djamel, Amine et Jean* font une entrée remarquée dans le box des détenus à la 8e chambre correctionnelle du tribunal de Pontoise (Val-d’Oise). À leur corps défendant : la présence singulière de neuf gendarmes autour d’eux intrigue le public, leurs familles et amis. Les prévenus sont-ils dangereux ? Loin de là : l’escorte habituelle est accompagnée d’enquêteurs chargés des investigations depuis le 1er janvier. Ils attendent un résultat positif.

La prévention est grave : acquisition, détention, transport, offre ou cession de drogue. En récidive pour Amine, 23 ans. Jean vit, à 18 ans, son premier défèrement. Djamel, 28 ans, accumule les peines pour outrages envers des policiers et magistrats. À le voir s’agiter dans l’espace bondé, à l’entendre souffler, on subodore qu’il va donner du fil à retordre. Dès l’ouverture des débats, du ton péremptoire de qui s’oppose à toute contradiction, il assène sa version : « Détenir du cannabis ? Normal. En donner ? Oui. En vendre ? Jamais ! »

Des mineurs rackettés dénoncent « le J. »

 Si l’épaisse procédure ne mentionne aucune saisie de stups (excepté neuf grammes chez Djamel), pas même de pochons ou de matériel de pesée, de sommes d’argent démontrant l’ampleur du réseau, de signes extérieurs de richesse, elle n’est cependant pas bâtie sur des sables mouvants.

En janvier, la gendarmerie parisienne est avisée d’un trafic à Beaumont-sur-Oise, Persan, Bernes-sur-Oise et Bruyères-sur-Oise, communes reliées en dix minutes de voiture. Des mineurs, lassés de « charbonner » et d’être rackettés, dénoncent « le J. ». Il s’agit de Jean. Placé sur écoute, loquace, il alimente le dossier, parle de quantités, chromes (crédits), verts (billets). Le cadet de ses « charbonneurs » a 14 ans. « Wallah, tu fais d’la merde ! », lui reproche-t-il si le petit ne livre pas vite sa « quinzaine de clients ».

« Ça a duré peu de temps. J’ai fini l’année scolaire en pension. Ma mère ne voulait plus que je traîne dehors », minimise Jean. Il connaît Amine, « un grand de la cité à qui je devais 400 € pour l’hôtel quand ma mère m’a foutu à la porte ». Djamel ? Il n’a pas eu affaire à lui.

« Quand je parle de commandes, ce sont des pizzas »

 La présidente Hélène Tortel interroge désormais Amine. Il admet fournir « quatre, cinq personnes pour [s’]offrir [sa] conso. J’ai pas de quoi la payer autrement ». Il fume depuis six ans, veut arrêter pour sa copine enceinte. « Je dépose parfois le matos chez Djamel en échange de sa cons’. » La juge : « – Vous parlez souvent de “l’épicerie”. C’est un point de deal ?

– Non, c’est là où je fais mes courses.

– Comme une droguerie, même si ce n’est pas un bon exemple ?

– Voilà. »

Livreur de pizzas à Persan-Beaumont, il n’est pas déclaré par le patron. Le travail au noir est devenu si banal, en Île-de-France, que nul ne s’en émeut outre mesure. Vient le tour de Djamel, déjà passablement agacé ; l’échange est vif. Il achète du cannabis, « mais le trafic c’est pas [son] truc ! ». Hélène Tortel : « – Sur les écoutes, vous évoquez des “commandes” avec Amine ?

– Les commandes ? Ce sont des pizzas !

– Vous passez vos journées à la cave où le chien renifleur a marqué…

– Normal, je fume ! À la cave, je joue aux cartes.

– À 28 ans, vous vivez toujours chez vos parents ?

– Et alors ?!

– Là, ça commence à déraper !

– Je ne souhaite plus répondre. »

« J’ai presque les cheveux qui se dressent sur la tête »

 L’étude des personnalités dévoile que tous trois ont des parents et fratries travailleurs, aimants. Jean, électricien, vient de décrocher un CDI. Djamel, cuisinier, a quitté sa cave pour effectuer un stage d’éducateur sportif. Et Amine livre des pizzas. Son avenir est grevé par six condamnations pour vente de drogue et violences avec arme qui l’ont conduit en prison.

À son encontre, « même s’il va être papa », la procureure requiert 24 mois de détention, la moitié ferme avec mandat de dépôt. Même peine sollicitée contre Djamel, cible de deux mises sous écrou signifiées avant l’audience, en exécution d’arrêts prononcés à Versailles. « Devenir éducateur sportif, c’est problématique. J’ai presque les cheveux qui se dressent sur la tête en vous imaginant au contact de jeunes », relève la parquetière. S’adressant à Jean : « Votre première comparution, j’espère, aura une valeur éducative et de sanction. » Un an de prison, dont six mois ferme aménageables sous bracelet électronique.

Me Romain Vanni, qui défend Amine, estime que « la montagne accouche d’une souris. Lui, la tête d’un réseau alors qu’il gratte régulièrement 20 € à sa sœur ? Ils sont consommateurs, s’appellent, se dépannent. Il n’y a pas d’organisation. N’anéantissez pas sa vie de futur père ».

« On a sorti la Grosse Bertha pour arrêter des gamins, faire cesser un trafic minable », complète Me Gabriel Barbe, intervenant en faveur de Jean. « Il a passé des mois dans un internat du Jura à chanter la Marseillaise chaque matin et on nous dit qu’il deale depuis janvier ? Oui, il a été happé par la rue, ils sont pleins dans ce cas. Mais sa famille est ici, ça a du sens pour lui, elle l’aidera à se soigner. » Également au côté de Djamel, « bourru et à fleur de peau », il considère « que rien ne le rattache à ce prétendu trafic. Neuf grammes de cannabis et trois écoutes, c’est insuffisant ».

Le tribunal en convient : Djamel est relaxé d’offre ou cession, condamné à huit mois de détention, dont cinq avec sursis pour le reste. Un an de sursis probatoire sanctionne les délits de Jean. Un an aussi pour Amine mais lui part en prison le soir même, pour six mois. Sa compagne enceinte fond en larmes. Tous devront se soigner, travailler.

Tandis que Jean s’apprête à rejoindre sa mère et son frère, les deux autres quittent menottés le box, encadrés des neuf gendarmes.

*Son prénom a été modifié

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