Tribunal de Reims : En matière de violence sexuelle ou conjugale, il faut prouver les faits

Publié le 30/05/2025 à 11h23

Lors d’une même audience, les juges du tribunal correctionnel de Reims (Marne) ont relaxé deux suspects d’agression sexuelle sur une mineure et de violence intrafamiliale. En cause, la fragilité d’enquêtes négligées.

Tribunal de Reims : En matière de violence sexuelle ou conjugale, il faut prouver les faits
Palais de justice de Reims (Photo : ©I.Horlans)

Me Camille Romdane, avocat expérimenté du barreau de Reims, craignait que les plaignantes qu’il représentait soient « chahutées » à la barre. Il les avait préparées à l’offensive des prévenus et de leurs conseils. Ces derniers n’ont pas manqué de cibler les failles des dossiers soumis à la juridiction. Les faits « insuffisamment caractérisés », selon eux, n’ont pas résisté à leur examen approfondi. Joël* et Fabien* ont ainsi bénéficié du doute qui s’est insinué dans les débats.

Si, depuis la vague #MeToo, en 2017, les violences faites aux femmes sont plus souvent portées devant la justice et condamnées, comme le confirme une étude interministérielle de 2024, de nombreuses affaires finissent classées sans suite, selon l’Institut des politiques publiques, en raison d’absence de preuves. Cela ne signifie pas que le délit n’a pas été commis ; simplement, les éléments matériels font défaut.

Des coups de spatule sur les fesses de sa jeune apprentie

 Joël, commerçant jamais condamné de 52 ans, comparaît le premier. Les accusations portées par son ex-apprentie, une adolescente vulnérable âgée de 15 ans, remontent principalement à l’été 2022. Sa plainte a été déposée en mars 2023, après qu’elle a encore subi, dit-elle, des gestes inconvenants. « J’étais penchée sur un sac, il m’a saisi la poitrine et embrassée », raconte-t-elle à la barre, devant ses parents bouleversés. « J’ai réalisé que c’étaient des attouchements, j’ai paniqué, je me suis enfuie. » Un voisin l’a recueillie, il a témoigné de « son état de détresse ».

« Dès le début de mon stage, il faisait des choses bizarres, des “guili-guili” sur ma poitrine et mes cuisses près de mes parties intimes », expose Julie*. Elle a tenté de se confier à sa famille, qui a pensé à des plaisanteries, étant incapable de soupçonner ce commerçant connu. L’ado n’a pas insisté mais, à l’audience, elle assure avoir supporté un patron qui l’a « pelotée » durant sept mois. « Et il me mettait des coups de spatule sur les fesses. »

Lequel se défend fermement : « Ça, c’est arrivé une fois. Quant aux “guili”, c’était pour rire. Je suis bien avec ma femme, pourquoi m’emmerder avec une gamine ? Elle m’accuse car je voulais la licencier. »

Les gendarmes n’ont entendu que l’autre apprentie, témoin d’aucun geste à caractère sexuel et qui ne se plaint de rien.

« Un changement brutal de comportement et des cauchemars »

 Me Romdane fustige « l’enquête ni faite ni à faire : il n’y a même pas eu de prélèvement d’ADN sur les vêtements de ma cliente ! » Il s’insurge contre les propos de son contradicteur, qui a qualifié « de bon enfant » l’ambiance dans le commerce : « Des coups de spatule, c’est bon enfant ?! » Il évoque « l’état de choc » de Julie et son « changement brutal de comportement, ses cauchemars, son agressivité », son incapacité de travail de 20 jours et « ses scarifications » : « Tout allait bien avant », insiste-t-il au côté de la mineure en pleurs.

Le procureur convient que les investigations n’ont guère été poussées, que « c’est parole contre parole », mais que « des pratiques d’un autre âge ont été exercées dans l’arrière-boutique. “C’était pour rire”, dit monsieur ! ». Il requiert dix mois de prison avec sursis pour les “guili-guili” et le coup de spatule reconnus.

En défense, Me Thierry Pelletier préfère parler « de gestes déplacés » : « Si nous sommes d’accord – on ne fait pas cela à ses salariés –, il ne s’agit pas d’une agression sexuelle. » Et « personne ne corrobore les déclarations de cette adolescente qui avait des problèmes d’hygiène et d’illettrisme. » Sous la charge rude, les larmes de Julie redoublent.

« Une accumulation de petites choses qui conduit à un calvaire »

 À la barre, voici maintenant Fabien. Toutes les parties découvertes de son corps constituent une publicité pour son salon de tatouage ouvert dans le sud de la France. Il est prévenu de violences envers sa femme, Sylvie*, et leurs deux enfants, dont un bébé. Il « dévalorise sa compagne et l’insulte », indique le dossier. Il ne l’a jamais frappée. S’agissant de leur fille, 8 ans lors du dépôt de plainte en 2024, il lui est reproché de « l’avoir piquée avec un crayon pour lui montrer qu’elle a fait mal au chien en effectuant le même geste ». Et le bébé aurait reçu une claque : en atteste la photo d’une marque sur la cuisse.

Fabien ne comprend rien aux reproches : « Elle m’interdit de voir les filles alors que je paie tout, le loyer, l’école, les assurances, tout ! Elle part quatre jours à Disneyland avec son ex et moi, je dois me taire. Elle est dépressive. J’organise sa fête d’anniversaire, elle part se coucher ! Je lui offre des fleurs, elle me les jette à la figure ! » La fillette a assisté à ces deux disputes.

À nouveau, Me Camille Romdane, qui représente Sylvie, veut démontrer « une accumulation de petites choses qui conduit à un calvaire ». Mais la tâche est insurmontable tant la police a survolé le dossier. Même la date des délits est incertaine. Le parquet, qui admet être confronté au « visage d’un homme posé, respectueux », réclame « un avertissement : six mois de sursis, une interdiction de contact » avec sa conjointe durant deux ans.

Me Juliette Sygut emprunte alors un boulevard dégagé de tout obstacle et pointe la date du 13 février 2024, seule retenue à la prévention : « Or, votre tribunal est saisi de faits qui ne se sont pas déroulés ce jour-là. » L’avocate prouve méthodiquement ce qu’elle avance. Elle s’étonne aussi que l’enfant, à qui ont été accordés 15 jours d’ITT, n’ait « pas manqué un jour d’école », que la plaignante n’ait « pas pris un seul des 30 jours d’ITT », que la photo de la trace de main sur la cuisse du nourrisson « ne soit pas datée ».

Dans ces circonstances, les juges considèrent à bon droit que Joël et Fabien ne peuvent pas être condamnés, le doute devant profiter à tout accusé.

 

* Les prénoms ont été modifiés

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Me Camille Romdane au tribunal de Reims le 6 mai 2025 (Photo : ©I. Horlans)
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