Tribunal de Reims : « Il s’en prend psychologiquement à moi pour me tuer ! »
Pendant la première heure des débats devant la chambre correctionnelle du tribunal de Reims (Marne), mardi 6 mai, l’assistance a eu le sentiment que Julien* était un personnage retors, dangereux. À la barre, sa femme l’a accusé de harcèlement depuis trois ans, des faits si graves qu’il a fallu l’arrêter 100 jours ! Puis l’avocate de la défense a pointé les incohérences du dossier, qui s’est effondré.

Sans le travail méticuleux de Me Fanny Quentin, au soutien du prévenu – absent –, ce dernier aurait sans doute été lourdement condamné. Julien* a choisi de ne pas se présenter à son procès ; il partait donc avec un handicap supplémentaire. Du moins l’a-t-on pensé quand le président Pierre Creton a lu les préventions : harcèlement contre son ex-épouse et dégradation de ses conditions de vie altérant sa santé de juin 2021 à juin 2024. Anne* a été si éprouvée par « les violences psychologiques » que la médecin légiste lui a accordé 100 jours d’ITT (incapacité totale de travail). Du jamais-vu sans blessures physiques.
Anne n’a jamais été frappée. Cependant, il y a les menaces proférées : « Ne me pousse pas à bout sinon je vais commettre l’irréparable. » Ou « tu dois être punie pour ce que tu as fait ». Elles figurent au procès-verbal que les gendarmes ont dressé lors de l’audition de la plaignante. Pis : « Les enfants [de jeunes adultes] savent que leur père est susceptible de tuer leur mère », a précisé Me Simon Couvreur, conseil de la partie civile. À la barre, Anne a confirmé : « Il s’en prend psychologiquement à moi pour me tuer ! »
L’affaire se présentait mal pour Julien.
Il usurpe ses plaques d’immatriculation pour la priver de permis
Le prévenu n’apparaît pas seulement dangereux et enclin à rabaisser celle qu’il a aimée, il est toxique envers son fils et sa fille qui ne lui parlent plus. Enfin, c’est un fieffé roublard : pour nuire à son ex qui ne peut exercer sans voiture, il en a loué une identique, usurpé ses plaques d’immatriculation, commis trois excès de vitesse de plus de 40 km/h, entraînant un retrait de permis. Il répond aussi de ces délits, une sacrée fourberie.
Anne explique aux magistrats qu’elle doit « protéger [ses] enfants » : « J’ai pris mon courage à deux mains pour venir et j’ai dû augmenter mes doses d’antidépresseurs. » Elle pleure : « Je ne suis pas folle, comme il dit, je suis harcelée. » Un psychiatre confirme son état anxieux et son hyper vigilance. Elle souhaite « être tranquille » : « Je demande qu’il me laisse vivre. »
Son avocat, Me Simon Couvreur, se dit « inquiet » : « 100 jours d’ITT pour des violences psychologiques, c’est juste hallucinant ! Il a bousillé sa vie. » Il regrette « le long chemin de croix » qu’elle a dû parcourir, « car il faut se justifier de ce qu’elle subit depuis trois ans ». Il sollicite 10 000 euros à titre de provision, une nouvelle expertise suivie d’un renvoi sur intérêts civils, 5 000 € pour ses honoraires.
Matthieu Dehu, substitut du procureur, évoque « une multitude de choses qui caractérisent le harcèlement », « l’esprit retors » de celui « qui contrôle la vie » de son ex-femme jusqu’à la dénigrer auprès de son employeur par courrier. Il demande huit mois avec un sursis probatoire de deux ans, une obligation de soins, l’interdiction de contact avec Anne.
À ce stade du procès, on imagine que les réquisitions du parquetier seront suivies.
« Elle ne veut plus de lui mais veut quand même son argent »
Me Fanny Quentin, qui a hérité tardivement du dossier, l’a examiné à la loupe. Et elle n’a pas l’impression d’avoir affaire « à un manipulateur, un calculateur, un sinistre individu. Pour entrer en voie de condamnation, les preuves sont nécessaires. Je regrette la faiblesse de l’enquête », dit-elle. On devine que la défenseure dispose d’arguments.
Si elle convient que l’histoire du couple est « chaotique », l’avocate a lu les textos qu’ils échangent. « Elle nous dit vivre un enfer ? Alors pourquoi lui demande-t-elle comment il trouve le maillot de bain récemment acheté ou l’invite-t-elle à dîner ? Pourquoi a-t-elle toujours des relations intimes avec lui ? Pourquoi lui écrit-il qu’elle est “une bonne mère” ? C’est dénigrer sa femme, ça ? Cette affaire relève du juge aux affaires familiales ! Les enfants ont été instrumentalisés. »
« On parle de harcèlement, poursuit-elle, parce qu’il se bat avec des armes judiciaires. » Il la poursuit pour dénonciation calomnieuse, veut récupérer l’exercice de son autorité parentale et stopper des saisies sur son compte, d’où plusieurs procédures pendantes. « Justement, parlons des saisies : on lui prélève 8 000 € parce que madame a acheté un scooter à leur fils sans prévenir monsieur ! » Il a offert une voiture de 13 000 € à sa fille, qui refuse pourtant de le voir. « Madame ne veut plus de lui mais veut quand même son argent ! » L’avocate s’arrête sur le prétendu harcèlement par email : « 61 en 11 mois ! Cinq par semaine. C’est du harcèlement, ça ? »
« Alors de tous mes petits riens, il reste quoi ? », interroge-t-elle, le regard sur les PV. « Ah oui, les excès de vitesse ! Le 3 avril, il est à 39 kilomètres du radar. Sa présence est matériellement impossible. Le 31 mars, le radar se déclenche à 17 h 31, mon client se situe à 11 km de là, téléphone chez lui à 17 h 32 comme le démontre la géolocalisation. Le 19 mai, il est à Épernay avec des gens, à dix minutes de trajet ! Je regrette, ça ne peut pas être lui. » Julien a plusieurs voitures, qu’il prête. Il est avéré que l’automobile louée présentait des plaques correspondant à celles d’Anne, mais la gendarmerie n’a pas continué les investigations. « C’est dangereux de faire des enquêtes à charge parce qu’on est ému par une situation », conclut l’avocate.
Sa démonstration percutante, associée au manque de preuves, convainc le tribunal. Le président Creton prononce la relaxe de Julien.
* Les deux prénoms ont été modifiés

Référence : AJU498783
