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Tribunal d’Évry : « Faut-il le mettre en prison ? Le plus important, pour Anna, c’est qu’il soit suivi psychologiquement » !

Publié le 07/12/2022
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Mary Long/AdobeStock

À l’audience du tribunal correctionnel d’Évry Courcouronnes c’est l’amour-haine. Au premier plan, un couple se déchire. Au fond, une question de droit : la relation amoureuse est-elle une circonstance aggravante des violences volontaires ?

Dixième chambre correctionnelle. Il s’appelle Miguel et elle Anna*. Il est carrossier et elle coiffeuse. Il est frontal et brutal, elle est discrète et délicate. Petit, trapu et barbu, il ne donne à voir qu’un bout de tatouage noir sur un large cou. Elle, chétive, se dissimule sous un épais blouson de cuir noir et une immense chevelure ébène. Il est debout à l’angle de la paroi vitrée, tête penchée, les yeux rivés sur ses pieds. On pourrait croire qu’il est au coin, mais c’est dans le box d’un tribunal qu’il se tient. Elle est voûtée, recroquevillée sur son siège. Le poids de son corps semble basculer, s’écrouler sur celle qui la représente, son avocate.

L’affaire qui les oppose est tristement banale. Ils s’aiment comme ils s’engueulent. « Elle est partie pour une engueulade, comme d’habitude », constate Miguel, résigné. Une fois de plus, ils se sont disputés. Lui s’est senti « poussé à bout », elle a tenté de fuir et s’est fait « rouer de coups ». Mais, cette fois, « il faut que ça s’arrête ! », répètent en chœur la plaignante et son avocate. Cette fois, Miguel est renvoyé devant le tribunal correctionnel d’Évry Courcouronnes pour deux faits de violences volontaires, l’un commis au printemps chez Anna, l’autre au mois de septembre à son domicile. Des violences, sans ou avec incapacité inférieure à huit jours, commises sur sa concubine et doublées d’une dégradation de sa porte d’entrée.

« Je l’ai déjà soulevée, c’est vrai : c’est un petit poids » !

« D’après Madame, vous avez frappé son chien », commence le président du tribunal. Ce jour-là, c’est un vulgaire pipi de chien qui a déclenché la colère de Miguel. La fois précédente, c’était un commentaire d’Anna. « J’ai fait remarquer à Miguel qu’il roulait trop vite, il m’a dit ferme ta gueule », énonce le président, citant les déclarations de la jeune femme. Silence de mort dans la grande salle d’audience aux allures de bunker. « Vous n’êtes pas très bavard Miguel, interpelle le président. Alors, ces violences vous les avez commises ? ». « Comment ? Euh… oui », bafouille le prévenu. Le président entre dans les détails : « Le médecin a constaté quelque chose tout de même : un état de stress aigu, une contusion au pied droit, des douleurs cervicales… ». Il agite des photos : « On voit tout de même des traces sur les bras et le dos, le front est gonflé ». Il cite les procès-verbaux : « Les voisins ont appelé, les policiers ont constaté un trou béant en plein milieu de la porte », avant de le questionner de nouveau : « C’est vous qui avez fait ça ? ». Miguel se tasse un peu plus dans le coin de son box. « Je l’ai déjà soulevée, c’est vrai : c’est un petit poids », finit-il par avouer avant de se renfermer dans son mutisme.

Une violence que Miguel et Anna ne s’expliquent pas, ni personne à cette audience. « Vous avez un problème avec l’alcool ? », interroge le président. « Non, je bois comme tout le monde », se défend-il. « Alors, c’est de l’agressivité ? Vous avez du mal à vous contrôler ? ». « Oui », lâche Miguel honteux.

« On était en couple, mais on ne vit pas ensemble »

C’est au tour de la procureure de questionner le prévenu. « Pouvez-vous nous parler de votre relation avec Anna ? ». « Toxique », répond Miguel du tac au tac, comme le ferait un enfant qui a bien appris sa leçon. « On était en couple, mais on ne vit pas ensemble », ajoute-t-il. Habile Miguel, car c’est là que réside toute la question. De cette vie commune ou non, dépend la circonstance aggravante des violences dites « conjugales » et la requalification des infractions en simples contraventions. Soudain, les débats prennent une teinte plus sérieuse et juridique. S’ils ne sont pas conjoints ou partenaires liés par un pacs, Anna et Miguel sont-ils des concubins au sens de l’article 515-8 du Code civil ? La procureure soutient que oui, la défense assure que non. « Si je comprends bien, vous vous voyez une fois chez l’un, une fois chez l’autre ? », tranche le président. « Oui », répond le couple d’une seule voix.

Sur son estrade, la jeune procureure sent la prévention glisser et, lentement, lui échapper. La voilà qui revient de plus belle : « Lors des faits, vous étiez sous contrôle judiciaire avec interdiction d’entrer en contact avec la victime, non ? ». À en croire le prévenu effronté, la faute est partagée. Les deux tourtereaux ont enfreint l’un, puis l’autre, les interdictions judiciaires. Tels deux aimants inlassablement attirés. Mais le ministère public n’est pas dupe. « Rappelez-moi, qui est astreint à ce contrôle judiciaire ? », sonde la procureure. « Moi », bougonne Miguel du fond de son box.

« Elle est si calme la partie civile, on a presque tendance à l’oublier »

Les débats sont clos, la messe est dite. Le président donne la parole au ministère public pour ses réquisitions. « Je crois que c’est d’abord à la partie civile de parler », réfute la procureure. « Ah c’est vrai, s’excuse le président, la partie civile doit s’exprimer. Mais elle est si calme la partie civile, on a presque tendance à l’oublier… ».

S’oublier au profit de l’homme qu’elle aime, s’effacer, s’éteindre peu à peu. C’est ce que n’a cessé de faire Anna durant cette année de relation. « Ma cliente a subi des violences sexuelles, des violences morales aussi, qu’elle ne vous dit pas, parce qu’elle l’aime et le protège, plaide son avocate. Mais il faut que ça s’arrête ! ». De son siège de partie civile où elle se replie davantage sur elle-même, Anna, secouée de sanglots, continue de penser à Miguel. « Faut-il le mettre en prison ?, interroge l’avocate. Elle ne le croit pas. Le plus important pour elle, c’est qu’il soit suivi psychologiquement ». Pour tout dédommagement, la jeune femme ne demande que quelques milliers d’euros. « L’objectif n’est pas d’appauvrir Miguel, conclue son avocate, mais de le soigner ».

Trêve de sentiments. Cette fois, c’est bien au tour du réquisitoire du ministère public. Une fois balayée la question de l’inexactitude de la prévention, la procureure requiert sévèrement au tribunal d’entrer en voie de condamnation. « La relation amoureuse n’est pas une circonstance aggravante des violences », tempête l’avocat de Miguel, appelant le tribunal à « ramener la peine à de plus justes proportions ».

Suspension d’audience. La salle se vide. Les deux parties se retrouvent seules dans le silence, chacun à son bord. Au début, les regards s’évitent. Puis, ils se croisent et, maintenant, se cherchent. Le tribunal revient, Miguel se lève. Coupable, mais de contraventions. 1 500 € d’amende pour les faits de violences, six mois assortis du sursis pour la dégradation.

*Les deux prénoms ont été modifiés

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