Une nouvelle tentative de suicide au Tribunal de Paris interroge sur la sécurité des lieux

Publié le 04/03/2021

Lundi 1er mars dans la soirée, au tribunal judiciaire de Paris, un prévenu s’est tranché la gorge avec une lame de rasoir à l’énoncé de sa condamnation. C’est au moins la deuxième tentative de suicide depuis l’ouverture du nouveau tribunal.

Une nouvelle tentative de suicide au Tribunal de Paris interroge sur la sécurité des lieux
Palais de justice des Batignolles en construction (Photo : ©directphoto/AdobeStock)

Il est 21 heures dans la salle des comparutions immédiates. Le tribunal rend ses jugements. A et M sont debout dans le box des prévenus. Ils comparaissent pour un vol de portable avec violence ; A, un ancien mineur isolé tout juste âgé de 18 ans, a déjà été condamné pour des faits similaires quelques mois plus tôt. Aucun ne parle français, c’est un interprète qui traduit les mots du tribunal. Quand A comprend qu’il va repartir en prison, il sort une lame de rasoir de sa bouche et se tranche la gorge.  L’interprète hurle. Toute la salle tourne les yeux vers le box. Le jeune homme s’est effondré, il y a du sang partout. Une policière a immédiatement le réflexe de faire un point de compression. On appelle les secours. En tant qu’immeuble de grande hauteur (IGH) et d’établissement recevant du public (ERP), le Tribunal dispose d’une équipe de personnel formée à la sécurité incendie et l’assistance aux personnes (SSIAP). Elle appartient à la société Securitas, également en charge des contrôles à l’entrée.

Les témoins s’étonnent de la lenteur des secours

L’agent de sécurité qui se présente ne peut que constater l’état du garçon, on appelle les pompiers. Selon les témoins cités par Marianne qui a révélé l’affaire, ceux-ci ont mis 25 à 30 minutes à arriver, puis il a fallu attendre encore 10 minutes pour qu’un de leurs médecins se présente sur place et  prenne le patient en charge.  Au total, les témoins évoquent une attente de 40 minutes. Heureusement que le garçon n’a pas touché la carotide, il serait sans doute mort. Finalement, la blessure s’est avérée superficielle, il est parti assis sur une chaise de pompier avec un gros pansement sur le cou. Les témoins ne s’expliquent pas ce geste. Le parquet avait requis 15 mois ; le tribunal, tenant sans doute compte du fait que le garçon avait un problème psychiatrique – il se scarifiait – s’en était tenu à 8. « La crise sanitaire a durci les conditions de détention, c’est peut-être de ce côté qu’il faut chercher » confie un avocat.

Si les professionnels de justice ne sont pas en cause, en revanche plusieurs questions se posent. D’abord, comment un prévenu qui était en détention provisoire a pu arriver au tribunal avec une lame de rasoir cachée dans la bouche ?

Une sécurité insuffisante pour les justiciables

Ensuite, les témoins s’inquiètent de la lenteur des secours.  Cette affaire rappelle la tentative de suicide d’un mineur originaire du Burkina Faso en novembre 2018, prénommé Amen. Epuisé d’avoir été renvoyé de services en services, n’espérant plus obtenir un statut en France, il était monté au quatrième étage du tribunal et s’était jeté dans le vide. A l’époque déjà, les secours avaient mis plus de 20 minutes à arriver. Amen est tiré d’affaires aujourd’hui et sa qualité de mineur a été reconnue. Mais la question de la sécurité et celle de l’organisation des secours restent entières. En particulier, l’absence d’infirmerie ou de poste de secours ainsi que de médecin à demeure avait déjà  ému  en 2018. C’est peut-être conforme à la réglementation, mais cela choque les témoins lorsque survient un accident grave.

« C’est quand même le seul lieu de justice à ma connaissance doté d’un atrium de 6 étages où l’on n’a que quelques mètres à parcourir en sortant d’une salle d’audience pour se jeter dans le vide, commente Me Guillaume Grèze qui était présent lundi soir dans la salle d’audience où a eu lieu le drame. On a mis des vigiles pour empêcher les gens de s’approcher des rambardes, c’est donc bien qu’il y a un danger et qu’il n’est toujours pas réglé ». En effet à la suite de la tentative de suicide d’Amen, il avait été question de rehausser les garde-corps de 1,40 mètres actuellement à 1,90 mètres et de sécuriser les escaliers mécaniques. Depuis, rien n’a été fait. Des agents de sécurité se contentent d’empêcher que l’on s’approche des balustrades entourant l’atrium et c’est tout. Or nombre d’avocats mais aussi de magistrats rappellent qu’il se passe des choses graves dans un tribunal, et pas seulement en matière pénale. Un divorce mal vécu par l’un des époux, une garde d’enfant refusée peuvent déclencher des gestes désespérés.

« C’est la responsabilité du chef d’établissement d’organiser les secours pour qu’ils soient efficients, rappelle Emanuel Daoud, l’avocat d’Amen. Après la première tentative de suicide, on a nous a indiqué qu’on allait renforcer la sécurité, mais il semblerait que finalement l’architecte s’y soit opposé. Quant à l’arrivée des secours, ils avaient été très lents à l’époque. Cette fois, on nous parle de 40 minutes avant qu’un médecin ne se présente alors que l’Hôpital Bichat est à 5 minutes, il y a sans doute une organisation à revoir ».

Une enquête a été ouverte.

 

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