Violences intrafamiliales : « Je te ferai casser la bouche, tu mourras dans une cave »
Deux affaires de violences intrafamiliales ont longuement mobilisé les magistrats de la 13echambre correctionnelle de Créteil (Val-de-Marne), jeudi 29 avril. En particulier l’examen du dossier d’un couple poursuivi pour s’être bagarré devant leurs deux jeunes enfants.
Les policiers n’ont pas pu déterminer les responsabilités des deux adultes qui se sont battus pour une histoire de garde non respectée. Aussi, Jessica et Jean, qui ont chacun déposé plainte, comparaissent-ils ensemble devant le tribunal. Ils se tiennent à bonne distance l’un de l’autre, ne se regardent pas et, même si les faits sont anciens, on perçoit toujours le dissentiment : « Oui, admet la jeune femme, on a un passif. Quatre ans de procédure, ça marque. »
Jessica, une grande brune très mince dont on devine la beauté en dépit du masque sanitaire, est âgée de 38 ans et élève trois de ses quatre enfants. Le premier-né, majeur, vit avec son père, Jean, un homme robuste de 40 ans. Comme le « Monsieur Propre » de la publicité pour les nettoyants Procter & Gamble, il arbore un crâne rasé, se tient bras croisés sur son blouson bleu. Il semble si tendu que, même en marchant, il s’abrite derrière cette posture corporelle.
« Je vais te baiser les vacances ! »
Tous deux s’approchent de la barre pour raconter la scène de ménage qui s’est déroulée le 18 juillet 2019, en fin de matinée, à Cachan. La version de Jessica, d’abord : « Je me suis présentée chez lui pour récupérer mes trois enfants car je voulais partir plus tôt que prévu en congé. Il a refusé et m’a dit : “Je vais te baiser les vacances”. Alors, c’est vrai, je me suis énervée. »
Selon le procès-verbal établi lors de l’audition de leur fille de 11 ans, qui a assisté avec sa sœur cadette à l’algarade dans le jardin de leur père, Jessica « hurlait “rends-moi les enfants”, elle donnait des coups de pieds à papa. Elle lui a dit : “Je te ferai casser la bouche, tu mourras dans une cave”. Elle voulait qu’il aille en prison ».
La version de Jean, maintenant : « C’est elle qui m’a frappé. J’ai juste tenté d’esquiver les coups. Elle criait qu’elle allait envoyer des gens pour régler mon compte. Mon fils de 6 ans, qui dormait à l’étage, s’est réveillé et s’est mis à pleurer. Ensuite, je suis allé au commissariat et, pendant que j’y étais, les policiers sont venus chez moi à sa demande. »
Tous deux sont poursuivis pour violence, sans incapacité mais en présence de mineurs.
« C’est terrible, pour des enfants… »
Pendant la déposition de son ex-mari, Jessica, élégamment vêtue d’un pull blanc sous Perfecto noir, n’a cessé de remuer la tête de droite à gauche. Le désaccord persiste. La présidente Fairouz Hammaoui veut savoir où ils en sont, 21 mois après l’altercation. « Il y a eu d’autres épisodes mais ça s’est calmé », répond Jean. « Maintenant, ça se passe bien », confirme Jessica.
Le procureur Antoine Pesme déplore « que des parents en viennent aux mains, à porter plainte l’un contre l’autre. Vos filles ont été témoins. C’est terrible, pour des enfants… ». Il requiert que tous deux suivent un stage de responsabilisation pour auteurs de violences conjugales.
Les avocats exposent aussi leurs divergences. « Si l’excuse de provocation existait encore dans le Code pénal, je l’invoquerais », indique le conseil de Jean. « Ne maquillez pas les faits, le bourreau n’est pas devenu la victime, rétorque le défenseur de Jessica. Cet homme, qui n’a jamais pardonné à ma cliente d’avoir eu une aventure, monte ses enfants contre leur mère ! »
« Elle a pourtant cru à l’amour »
L’affaire est mise en délibéré parce qu’il faut désormais se pencher sur le cas d’Idrissou, un homme frêle d’une cinquantaine d’années qui disparait dans sa large doudoune verte. Lui aussi se bat pour voir son fils et, parfois, les différends dégénèrent. Comme ce 17 avril 2019, quand il est arrivé sans prévenir chez sa femme, à 21h15. Ils vivaient déjà séparés et n’ont toujours pas divorcé. Dedi a entrebâillé sa porte, il a glissé sa tête dans l’ouverture, la dispute s’est terminée en pugilat.
Poursuivi pour violence sans incapacité, le prévenu jure ne pas avoir porté de coups à Dedi, admettant toutefois qu’il a pu la blesser en se défendant. Le médecin généraliste qui l’a examinée a relevé « une rougeur à l’œil » et « des courbatures ». Partie civile, elle est représentée par un avocat que la présidente Hammaoui rappelle à l’ordre par deux fois tant il s’égare dans le dédale d’intrigues domestiques. Il conclut : « Il a épousé une Française, a obtenu ses papiers et depuis, il s’en fout. Elle a pourtant cru à l’amour… »
« Madame dit qu’il est “un véritable macho” »
En l’absence de condamnation depuis deux ans, le procureur requiert trois mois de sursis contre Idrissou. Ratatiné sur son banc, ce-dernier écoute son avocat parisien, Me André Turton : « Madame dit qu’il est “un véritable macho”. De qui parle-t-on ? De lui ? Il mesure 1m69 et pèse 69 kilos, contre 1m74 et 90 kilos pour sa femme. » Heureusement que l’intéressée n’est pas venue à l’audience, elle n’aurait sans doute guère apprécié qu’on s’étende en public sur son physique.
« Ses déclarations ont varié, affirme le défenseur, et, quatre mois après les faits, elle s’est livrée à une offensive de charme pour qu’il lui revienne, ses textos le prouvent. Face à ce dossier, j’ai effectué un travail très scolaire et je vous garantis qu’on est en pleine mise en scène. Je sollicite donc la relaxe au bénéfice du doute. »
A 19 heures, la juge Hammaoui, qui n’a pas encore achevé l’examen de ses 14 affaires, rend une première salve de décisions. Idrissou écope de trois mois de prison avec sursis et devra verser 300 € à sa femme en réparation du préjudice moral, contre 3 500 € demandés par la plaignante.
Jessica et Jean, qui ont patienté dans la salle des pas perdus à quelque dix mètres d’écart, se verseront des dommages et intérêts mutuellement : 250 € à la mère, 200 € au père. Lequel suivra un stage de sensibilisation aux conséquences des violences envers un conjoint. A Créteil, il se déroule sur deux jours, dont une consacrée aux répercussions de tels actes sur les enfants.
Référence : AJU216476