Yassine à ses juges : « Franchement, vous abusez, là ! »

Publié le 09/11/2021

Face à Yassine, 19 ans, poursuivi pour transport et détention de drogue, les magistrats du tribunal de Melun (Seine-et-Marne) ont fait preuve de tolérance. Jusqu’à un certain point. S’ils ont passé outre ses invectives et persiflages, ils n’ont pas accepté ses mensonges.

Yassine à ses juges : « Franchement, vous abusez, là ! »
Salle d’audience au tribunal judiciaire de Melun (Photo : ©I. Horlans)

 Le grand jeune homme, fluet dans son polo bleu, comparaît détenu « pour autre cause ». En l’espèce, la terminologie juridique recouvre un vol avec violences commis le 28 janvier 2021, pour lequel il a déjà été condamné. Il est libérable en décembre. Par ailleurs, il est mis en examen dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour vol en bande organisée. Et ce 4 novembre, il est jugé pour transport et détention de 29 grammes de résine de cannabis le 30 août 2020. Des faits antérieurs, donc, au délit qui lui vaut d’être extrait de sa cellule. En pareille circonstance, la moindre des choses serait d’adopter une attitude réservée, de faire preuve d’humilité.

Au lieu de cela, Yassine, âgé de seulement 19 ans et déjà sanctionné par le juge des enfants, considère les magistrats de la chambre correctionnelle B de Melun indignes d’examiner son cas. Et il va le leur faire savoir avec une étonnante arrogance.

« En toute honnêteté, c’était ma conso personnelle »

 L’infraction reprochée est plutôt banale et rapidement résumée : le 30 août 2020, à 15h20, des policiers repèrent un individu posté près d’une Peugeot 207 sur un « point de deal » melunais. Tandis que la patrouille s’approche, le propriétaire de la voiture camoufle des objets dans une sacoche, la jette dans l’habitacle. Il est interpellé en possession de 18 pochons de cannabis et 340 euros. En garde à vue, il affirme que tout appartient à un copain, un certain Ali Mohamed qui n’existe pas. Ce jeudi, dans le box des prévenus, le jeune homme déscolarisé, qui vit chez ses parents, modifie sa version :

« – En toute honnêteté, c’était ma conso personnelle. Je ne vais pas vous mentir.

– Les 18 sachets conditionnés pour la cession et cachés dans un emballage cartonné de jus de fruit ? s’étonne la présidente Carine Sonnois.

– Ben ouais ! Je fume beaucoup.

– Comment expliquez-vous que votre test se soit révélé négatif ?

– Ben c’est simple, non ? J’avais pas consommé depuis plusieurs jours !

– Donc, la sacoche n’appartenait pas à un ami… Pourquoi avoir menti ?

– J’avais mon permis de conduire depuis 48 heures, je pensais qu’on allait me le suspendre. En toute honnêteté, au jour d’aujourd’hui (sic), je préfère dire la vérité.

– C’est grandiose », commente la juge qui n’apprécie guère le ton ironique qui accompagne les réponses.

« Mon grand-père n’a pas le droit de me donner de l’argent ? »

 Passons aux 340 euros. « – Pourquoi avoir autant d’argent sur vous ?

– J’allais acheter un cadeau à ma maman, c’était bientôt son anniversaire.

– C’est beau, j’en ai presque la larme à l’œil. D’où provenait les billets ?

– Je travaille dans l’épicerie de mon grand-père.

– Il vous déclare comme employé ?

– Non. Il me donne la pièce par-ci par-là.

– Alors c’est du travail dissimulé.

– Quoi ?! Mon grand-père n’a pas le droit de me donner de l’argent ? C’est la meilleure ! »

L’étude de son téléphone portable a révélé des mentions de sommes dues ou à encaisser. « Ce sont des paris », avait-il indiqué au commissariat. « Je ne vais pas vous mentir, rectifie-t-il à l’audience, ce sont des dettes, heu… de jeux ! En toute honnêteté », répète-t-il pour la troisième fois.

La présidente s’intéresse désormais aux infractions perpétrées par la suite.

« – Le vol avec violences, c’était quoi ?

– Je ne suis pas jugé pour ça ! Je ne répondrai pas.

– Et la mise en examen ?

– Pareil ! J’ai rien à vous dire, c’est pas votre affaire », tempête-t-il.

« Yassine, ça suffit ! », crie sa mère assise dans la salle. La femme élégante, excédée, prie le tribunal de l’excuser tandis que son fils la toise et rit. Il n’a aucune intention de l’écouter.

« Madame la procureure, je déplore votre inélégance ! »

 Solaine Claude, qui représente le ministère public, accorde « peu de crédit à sa parole », revient sur les 18 pochons manifestement destinés à la vente, que l’intervention policière a interrompue, plus qu’à la consommation du mis en cause. Elle réclame huit mois de prison, moitié avec sursis.

« La cession, c’est hors débat ! Vous n’êtes pas saisis de cette prévention », s’emporte Me Vasco Jeronimo, défenseur de Yassine. « Il a menti en garde à vue, et alors ? Ce n’est pas une infraction », plaide-t-il, insistant sur son casier judiciaire « vierge à l’époque des faits. Certes, il a mal évolué, mais l’incarcération l’a fait réfléchir. Prolonger la détention n’a pas d’intérêt. »

Puis, pour une raison qui échappe au tribunal, l’avocat évoque la blessure de son client durant une garde à vue en novembre 2020, sans rapport avec les faits ici jugés : « Les enquêteurs lui ont cassé le nez, il a porté plainte. » La procureure indique que « ce dossier a été classé » ; la présidente ajoute que « c’est hors débat ».

« Madame la procureure, je déplore votre inélégance. Vous ne pouvez pas interrompre ma plaidoirie », riposte Me Jeronimo. Yassine, qui a tombé le masque sanitaire, affiche un large sourire sous sa fine moustache brune. Il se moque ouvertement des magistrates. « Yassine, Yassine ! », crie sa mère de plus en plus éprouvée. « J’évoque son nez pour signifier qu’il se méfie de la justice depuis ce classement sans suite, poursuit le conseil. J’implore donc votre bienveillance. »

Trente minutes plus tard, Yassine n’est plus libérable pour les fêtes de fin d’année. Il est condamné à six mois de détention, dont trois avec sursis. Il arrache son masque : « Franchement, vous abusez, là ! », hurle-t-il. « Vous avez le droit de parler de mes autres délits mais nous, on ne peut pas dire qu’on m’a cassé le nez ? N’importe quoi ! Justice de merde ! » Sa maman le supplie de se calmer. Il tend ses poignets à un policier de son escorte et lui lance : « Allez, viens, on s’casse de là ! »

Yassine quitte le box sans un regard pour la mère à qui il voulait offrir un cadeau avec ses 340 euros, confisqués comme les 18 pochons de cannabis.

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