TJ de Bobigny : quand une erreur de procédure rend le sourire…

Publié le 26/12/2024
Bobigny, instance
Clicsouris, CC BY-SA 2.5 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.5>, via Wikimedia Commons

Il arrive que certaines comparutions immédiates commencent par la présentation de « conclusions de nullités » de la part de l’avocat. Ici, la défense demande l’annulation de l’audience et la remise en liberté de son client en réponse à un procureur trop pressé qui avait signé le papier ordonnant la tenue d’une comparution immédiate avant d’entendre le prévenu et son avocat.

C’est une audience qui commence comme de coutume. On vérifie l’identité du prévenu – ici, Monsieur E., 19 ans –, on expose ce qui lui est reproché – ici, conduite sans permis, détention d’un véhicule acquis par escroquerie, détention d’un revolver – on demande à celui qui attend dans le box s’il souhaite être jugé maintenant ou obtenir un délai pour préparer sa défense et on lui rappelle qu’il a le droit de faire des déclarations spontanées, de répondre aux questions ou de se taire – « en clair, ça veut dire que vous n’êtes pas obligé de répondre », traduit le juge.

Quand il y en a, c’est maintenant que l’avocat a l’occasion de présenter des « conclusions de nullités ». En l’occurrence, Maître Frédéric Beaufils demande l’annulation du procès-verbal de comparution immédiate. Si elle était prononcée, cette annulation mettrait un terme à cette audience avant qu’elle n’ait vraiment commencé.

En un mot, « les droits de la défense ont été empiétés », résume l’avocat. Sa démonstration commence par rappeler que d’après l’article 393 du Code de procédure pénale, un débat contradictoire est nécessaire avant que le procureur ne puisse décider le recours à la procédure de comparution immédiate (plutôt qu’à un autre type de procédure, une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, par exemple). Jurisprudence à l’appui : « La décision d’orientation d’une procédure pénale ne peut intervenir avant un débat contradictoire en présence du conseil du prévenu, après que celui-ci ait été en mesure de faire des déclarations » (17e chambre correctionnelle du TJ de Bobigny, 12 juillet 2023).

Or, dans le cas présent, le représentant du ministère public avait déjà signé et apposé le symbole de la Marianne sur le procès-verbal demandant le recours à la comparution immédiate avant d’avoir recueilli la parole de Monsieur E. ou de son avocat. « Je ne sais pas quels effets auraient pu avoir mes déclarations mais la jurisprudence va dans le sens d’une annulation de cette saisine irrégulière », continue l’avocat qui demande la remise en liberté de son client.

Il termine en adressant un mot de remerciement à la procureure, qui a transmis la jurisprudence sur laquelle elle comptait s’appuyer pour répondre aux conclusions de l’avocat. « Sauf que cette jurisprudence n’a rien à voir », assure-t-il. « Après les mots de l’avocat, je suis assez embêtée pour répondre… Je me suis trompée dans l’arrêt que j’ai transmis et je n’ai donc pas fourni celui sur lequel je me base », démarre, penaude, la procureure.

L’arrêt qu’elle n’a pas transmis date du 12 mars 2024 et n’est pas définitif puisqu’un pourvoi a été émis. Néanmoins, cet arrêt de la cour d’appel indique que la décision du magistrat peut changer jusqu’au dernier moment, même quand le document est déjà signé. Elle propose à l’avocat d’y jeter un œil. Il s’exécute et la salle se tait le temps de sa lecture. « Vous allez devoir peser ce que vaut un jugement d’instance définitif par rapport à un arrêt non définitif », répond-il. La procureure a encore une fois la parole, de façon à respecter le protocole : « Le ministère public a acté que le PV avait été signé avant le débat contradictoire mais les droits de la défense en eux-mêmes ont été respectés », assure-t-elle.

Après une pause de plus de 30 minutes pour statuer sur la conformité du procès-verbal de comparution immédiate, les juges reviennent, annoncent son annulation et invitent le ministère public à mieux se pourvoir. « Ça ne veut pas dire que vous êtes quitte », rappelle le juge au prévenu. Pas de quoi lui effacer son sourire. Avant de quitter le box et d’être libéré, il demande à son avocat commis d’office sa carte.

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