TJ de Créteil : « Tout ça, c’est pas ma vie »
Monsieur V. a 18 ans mais c’est déjà la troisième fois qu’il passe devant le juge pour les mêmes faits : vente de stupéfiant au détail. Ici, de la cocaïne. L’audience révèle pourtant un jeune homme inséré socialement et qui semble avoir la volonté de passer à autre chose. Est-ce que ce sera suffisant pour convaincre les juges de ne pas le condamner à un an de prison ferme, comme requis par la procureure ?
Monsieur V. est un tout jeune homme, grand et de jaune vêtu. Quand il entre dans le box de la 13e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil, une grappe d’amis s’installe au premier rang du public. Trois jours avant l’audience, il a été interpellé par la police dans un véhicule transportant au total 9 grammes de cocaïne sous forme de cailloux et 22 grammes sous forme de poudre.
« — Vous faites ça souvent ?, demande le président du tribunal.
— Non.
— Ce n’est pas la première fois.
— En toute honnêteté, j’avais repris deux jours avant. Les gens avec qui j’avais déjà fait ça m’ont menacé par rapport aux pertes de la dernière fois. On avait trouvé un arrangement : je continue 15 jours et je peux passer à autre chose. »
Monsieur V. enchaîne en racontant qu’il tient à reprendre une vie normale, qu’il fait des efforts, a envoyé cet été plein de candidatures pour trouver un emploi en alternance dans le cadre de son BTS… Pas de quoi convaincre le juge qui insiste :
« — Si vous voulez reprendre une vie normale, pourquoi vous ne donnez pas vos codes de téléphone ?
— Je ne voulais pas de répercussions, j’ai eu peur des conséquences. Ce ne sont pas des personnes de bon cœur. »
À 18 ans, Monsieur V. a déjà été condamné trois fois, dont une fois en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité à un an de prison dont huit mois avec sursis pour des faits identiques. « Le juge de l’application des peines vous a bien dit que si vous êtes condamné encore à de la prison, on ne peut plus aménager la peine ? », interroge le président du tribunal. Le prévenu acquiesce, penaud.
Après l’exposé rapide de sa situation personnelle – il vit chez sa mère et souhaite faire une licence puis un master en communication après son BTS –, le juge lui donne l’occasion d’en dire un peu plus. Le prévenu saisit la perche : « Tout ça, c’est pas ma vie, dit-il mi-ado, mi-adulte. Je sais qu’avec ce que vous avez sous les yeux c’est difficile à croire mais je voyais ça [la vente de stupéfiant] comme une porte de sortie. Je veux aller à l’école, être proche de ma famille. »
Au tour du ministère public. « On a dans le box un jeune né en 2005 qui encourt 20 ans de prison, en raison de la récidive », commence la procureure qui souligne l’accélération dans le passage à l’acte du prévenu par rapport aux stupéfiants. Elle estime que l’activité est « relativement professionnelle », puisqu’il intervient dans un « call center » qui prend les commandes, dispose d’un téléphone portable dédié à cette activité et livre avec une voiture appartenant à une société. En raison des condamnations antérieures et parce qu’il faut une peine qui sanctionne, elle requiert un an de prison ferme avec mandat de dépôt.
Au moment de prendre la parole, l’avocat de la défense cherche ses mots, visiblement surpris par des réquisitions si lourdes. « Quand ou ouvre le dossier, on se dit que ça commence assez mal, parce que c’est la troisième fois en moins d’un an et qu’il ne donne pas les codes du téléphone », commence-t-il. Le conseil invite à regarder plus en détail et fait reposer sa défense sur l’attitude de Monsieur V. tout au long de la procédure. « Quand il est interpellé, il s’arrête, il coopère et n’a aucun problème d’attitude. En garde à vue, alors qu’il est sans avocat, il explique qu’il veut avoir une vie normale et qu’il a honte. » L’avocat insiste : il a été attrapé alors qu’il effectuait sa première vente, puisqu’aucun argent n’a été retrouvé sur lui. Puis il lance, avec beaucoup de sérieux, « si j’étais commanditaire, je ne le resolliciterai pas une quatrième fois ». L’avocat décrit un jeune homme qui se bouge, qui a trouvé une alternance, qui coache des plus jeunes que lui en futsal, qui a tenté une année à l’université qui lui a déplu et a rebondi en trouvant un CDD. « Un mandat de dépôt n’est pas du tout adapté », dit-il, plaidant un aménagement de peine dans un centre de semi-liberté pour lui permettre de poursuivre sa formation. « Ce sera le dernier avertissement et Monsieur V. en a conscience. »
« Il a bien parlé », conclut le prévenu. Mais pas assez pour convaincre les juges : Monsieur V. est condamné à huit mois de prison avec mandat de dépôt. Son avocat grimace, la salle se vide.
Référence : AJU015t7