3e Nuit du droit au TC de Bobigny : focus sur la conciliation

Publié le 05/11/2024
3e Nuit du droit au TC de Bobigny : focus sur la conciliation
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Le 3 octobre dernier, le tribunal de commerce de Bobigny consacrait une soirée à l’amiable, ou plus exactement à la conciliation. Contexte favorable à l’amiable, avantages et presque pas d’inconvénients, tour d’horizon d’un MARD prometteur.

Comme l’a rappelé Marie Boutron-Collinot, maîtresse de conférences en droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord et vice-doyenne en charge de la communication et des relations avec les entreprises, l’amiable fait partie intégrante de la mission du juge en matière de procédure civile. Si elle a parlé de « coup de projecteur » et « d’accélérateur », c’est que des réformes récentes substantielles l’encouragent. Alors pourquoi un tel engouement ? Certains expriment leurs craintes que cette solution ne soit privilégiée que par nécessité de décharger l’activité des tribunaux, mais ce n’était pas l’avis des invités de cette soirée consacrée à la conciliation. La conciliation « réhumanise la procédure » et la « replace dans les mains des parties », en toute confidentialité, a rappelé la maîtresse de conférences. « Les tribunaux de commerce ne sont pas restés en dehors de ce mouvement » : les entreprises ont en effet un intérêt particulier à l’amiable, car un litige peut coûter énormément d’argent, de temps et de partenariats commerciaux. Un vieux cliché voudrait que la justice n’innove pas assez. Contre-exemple avec le TC de Bobigny qui a développé un pôle de juges conciliateurs, a précisé Anne Fauchon, professeur des universités, doyenne de la faculté de droit de l’Université Sorbonne Paris Nord, son pôle conciliation devenant « le plus important en procédure civile dans le département ». Claude Dufaur, président du tribunal de commerce, a évoqué l’actualité législative favorable (ARA ou césure, dont les textes sont sortis en juillet 2024) visant au développement de la conciliation au sein de la justice commerciale. « Mieux vaut un bon accord qu’un mauvais procès ! », rappelle-t-il, expression dont on aura appris qu’elle vient des « Illusions perdues », d’Honoré de Balzac. Il n’a pas manqué de rappeler l’ancrage historique de la conciliation depuis la naissance des juges de paix (1790) où les chiffres montraient que 85 % des affaires étaient conciliées au civil avant de redescendre quelques décennies plus tard, à 10 %. Le législateur a donc dû reprendre des textes pour favoriser l’amiable. Le rôle du juge conciliateur, rappelle-t-il, est de « concilier les contentieux et faire naître les solutions », donc d’« apporter de la pacification aux conflits ».

« Si l’un a raison, l’autre a-t-il forcément tort ? »

Stephen Bensimon, président fondateur de l’IFOMENE, médiateur, professeur à l’institut d’Études Politiques de Paris, s’est plongé dans les fondements philosophiques de l’amiable, en commençant par l’ « Ethique à Nicomaque » d’Aristote (livre 5). Si la démocratie est indissociable de la loi, cette dernière est imparfaite car « humaine ». Surtout, elle est « générale et impersonnelle » alors que des situations singulières existent. Ainsi pour que la justice soit juste « il faut des lois et des correctifs à la loi ». Paradoxe ? Cela acte la naissance de la médiation, un système pas « moins rigoureux mais moins rigide ». Après tout, comment savoir si le contrat a été exécuté de bonne ou mauvaise foi, avec cette distinction entre « loyal et légal », qui ont la même racine ? La conciliation est encore faible du point de vue numérique mais gagne en adhésion car « les personnes sont les seules actrices de leur vie, de leurs relations ». Les imprévus arrivent et font trébucher le contrat : « rares sont ceux qui ont tort pour le pur plaisir d’avoir tort », rappelle Stephen Bensimon. Il déplore l’aspect binaire du système, ou si l’un a raison, l’autre a forcément tort. « Le litige peut être tranché, mais le conflit demeure », jusqu’à s’infecter. « Le procès peut transformer les partenaires d’hier en ennemis ». La médiation judiciaire, c’est le couteau suisse de la justice, introduisant l’ARA, la césure, tous ces moyens légaux hors procès « afin de perdre le moins possible, le mieux possible. Finalement, la première réunion d’une solution amiable pourrait se passer « au café du coin », afin de rétablir le contact.

Marie Boutron-Collinot s’est réjoui que l’amiable, qui existait déjà sous les Romains puis au Moyen-Âge, ait « de nouveau le vent en poupe ». Elle aussi a rappelé des dates fondatrices : 1790, juge de paix et conciliation obligatoire, repris dans le Code de procédure civile en 1806 – puis nouveau mode de procédure civile en 1976, avec un article faisant rentrer dans la mission du juge de concilier, le tout complété par une succession de textes nationaux ou européens, sans oublier la réforme récente qui permet de « renforcer la place amiable dans les juridictions ». Les États généraux avaient recommandé de développer les MARD dans la justice civile mais aussi économique et sociale. Ainsi, l’ancien ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti avait-il créé les ambassadeurs de l’amiable. Réorganisation des textes, changement de culture nécessaire et appropriation des ARA et de la césure, le système se densifie : conciliation et médiation conventionnelle, conciliation judiciaire, médiation judiciaire ou dispositif ARA, étendu désormais aux tribunaux de commerce, qui permet « au juge saisi de convoquer les parties lors d’une audience tenue par un autre juge ». Ses vertus ? « De meilleures garanties de confidentialité et d’impartialité ».

Une des questions soulevées par Marie Boutron-Collinot est : faut-il imposer un recours amiable, « un instrument de paix sociale » et en faire une condition d’accès au juge ? Pour les montants inférieurs à 5 000 euros, c’est déjà le cas, rappelle-t-elle.

La sagesse de Don Camillo

Hirbod Dehghani-Azar, avocat, médiateur, ambassadeur de l’amiable, a déploré une société qui a perdu sa culture du conflit. « Dans le film Don Camillo, le conflit était réglé au plus près, par le professeur, le curé, le maire », en somme « des sages », a-t-il plaisanté. Autre temps, autre époque : lors de la route de la soie, les conflits étaient réglés par un tiers, non pas par humanisme, mais « pour éviter les pertes économiques ». De manière contemporaine, au tribunal de commerce, « on traite des personnes morales avec des actifs, mais on peut aussi parler de naissance, de vie, de mort. On peut mettre un terme à la vie d’une entreprise, d’où la notion centrale de confiance ». Ambassadeur de l’amiable lui-même, il a identifié quelques points à améliorer : la communication autour de la conciliation, encore trop méconnue ; la formation (pour intégrer avocats et magistrats) ; une meilleure coordination entre acteurs de la conciliation, et la possibilité de créer des stratégies au sein des cabinets. Mais ce qui compte en tout premier lieu est de remettre de l’humain, car un conflit relationnel ou commercial enkysté entraîne la « déshumanisation » de l’autre partie. Il a rappelé que les entreprises, qui cherchent des solutions pragmatiques, peuvent faire appel à un avocat et éviter la lettre de mise en demeure immédiate, au profit d’une « prise de contact ou proposition de recevoir la partie adverse pour proposer une solution amiable ». Il souligne aussi, que pour les avocats, rapportés au temps passé, les dossiers amiables, sont finalement plus rémunérateurs. Les chiffres prouvent que le changement culturel est possible : pour 100 médiations (commerciales), entre 75 et 80 % aboutissent à des accords (moins dans domaine famille ou social).

Benoît André, président de chambre, responsable de la mission Conciliation du tribunal de commerce de Bobigny, a donné quelques indications sur les cas où la conciliation est la plus pertinente : d’abord, les affaires où elle est prévue dans les contrats, avant tout litige ; les conflits d’associés : « qui mènent souvent à des situations ubuesques » où la conciliation peut s’avérer « salutaire ». Concernant les cautions, les banques devraient être aussi invitées aux conciliations ; les litiges d’importance faible (inférieurs à 1 000 euros) ; les cas où les deux entreprises ont mal fait ; et enfin les litiges où la publicité d’un jugement serait malvenue, comme dans le cas des grandes enseignes.

La soirée présentait aussi deux cas pratiques. Ainsi Anne Dupuy, juge au tribunal de commerce de Bobigny et conciliatrice, a évoqué un litige entre un hypermarché et une société de gestion, pour une histoire de loyers impayés pour un montant de 1,5 million d’euros. « À l’audience de mise en état, le magistrat avait senti qu’il fallait trouver une solution amiable et pacifier le climat ». Alors que le climat était explosif, ces échanges ont permis de faire émerger une solution, notamment un échelonnement et une réduction de la créance. Ces moments, précieux, permettent aux parties de pouvoir « exprimer les non-dits et les rancœurs, tout ce qui n’est pas écrit dans les assignations et les conclusions. Les parties ont des intérêts divergents, il faut travailler en fonction des besoins et des intérêts de chacun ». Pour l’avocat Me Jean-Marie Moyse, « on a évité une guerre judiciaire qui aurait coûté très cher » pour aboutir à une transaction « librement consentie ». Ainsi « l’avenir est sauvegardé. Chacun sort la tête haute ».

Même sentiment du côté de Thierry Robinet, avocat, qui estime qu’ « un client satisfait est un client qui revient », soulignant l’intérêt tant moral que pécuniaire des conciliations. Lui-même évoque une affaire en particulier, un conflit d’associés qui a duré dix ans (prud’hommes, tribunal de commerce, tribunal correctionnel…), vraiment passionnel, avec des parties montrant une « mauvaise foi extraordinaire ». Contre toute attente, celui qui voulait racheter a finalement vendu ses actions, a-t-il expliqué, et la solution a émergé de façon apaisée et pérenne… même si surprenante. Benoît André rappelle que son tribunal a commencé il y a quatre ans la conciliation. « Nous sommes partis de rien et nous avons atteint le niveau moyen national (environ 5 %). L’objectif est de doubler d’ici l’année prochaine ».

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