À l’école de la défense d’urgence

Publié le 13/06/2017

Depuis vingt ans, l’École de formation professionnelle des barreaux de la cour d’appel de Paris (EFB), propose une formation à la défense d’urgence, intitulée : « école de la défense pénale ». Il s’agit d’un cycle de vingt heures de cours sur l’année, donnés le samedi matin. Elle est ouverte à tous les avocats qui souhaitent être inscrits sur la liste des commis d’office du barreau. Le samedi matin, même en arrivant à neuf heures, il faut jouer des coudes pour avoir une place assise. Sur les bancs, de jeunes diplômés et quelques avocats aux tempes déjà grisonnantes, prennent des notes consciencieusement. Cette formation, indispensable pour être appelé lors des permanences, est prise d’assaut. Chaque année, les inscriptions sont closes dans la journée. Christian Saint-Palais et Emmanuelle Hauser-Phélizon, responsables de cette formation, reviennent pour les Petites Affiches sur les bases de la défense d’urgence.

Les Petites Affiches – Qu’est-ce que la défense d’urgence ?

Emmanuelle Hauser-Phélizon – La défense d’urgence, c’est un groupe d’avocats volontaires payés par l’État, sous la forme de l’aide juridictionnelle. Ils sont présents lors des gardes à vue. À l’issue de cette garde à vue, de vingt-quatre ou quarante-huit heures, les prévenus sont déférés devant le parquet. Ils peuvent être envoyés à l’instruction pour être mis en examen, passer en comparution immédiate, passer en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, communément appelée « plaider coupable » lorsqu’ils sont présumés coupables. Ils peuvent aussi être convoqués par le procureur et placés sous contrôle judiciaire. Dans tous ces cas, un avocat commis d’office est présent aux côtés du prévenu pour assurer une défense d’urgence. Par ailleurs, ces avocats commis d’office peuvent aussi intervenir lors des audiences d’application des peines, pour des demandes de révocation des sursis ou de port du bracelet électronique par exemple.

Christian Saint-Palais – La défense d’urgence est la plus difficile à exercer, car elle nécessite une très grande réactivité. Il faut trouver la réponse juste à un problème que l’on découvre sur place. Cela signifie qu’il faut élaborer une stratégie en quelques heures à peine. Le prévenu va-t-il faire valoir son droit au silence ? Reconnaître les faits ? Va-ton faire citer des témoins. Tout va très vite, il faut donc parfaitement maîtriser le Code de procédure pénale. Il est également important que les avocats sachent ce qui est susceptible de survenir, qu’ils soient familiers du déroulement d’une audience. J’encourage les jeunes avocats à fréquenter assidument les audiences de comparution immédiate avant d’être inscrits sur les listes.

LPA – Qui peut prétendre assurer cette défense d’urgence ?

E. H.-P. – Être avocat de permanence requiert beaucoup de qualités. La première, c’est sans doute la modestie. Ensuite, il faut être bosseur, et, vis-à-vis de son client, être capable à la fois de sensibilité et de fermeté. Avoir une main de fer dans un gant de velours, comme on dit… Tous les avocats qui assurent cette défense d’urgence doivent avoir suivi la formation à la défense d’urgence dispensée à l’EFB. Il faut en outre qu’ils aient effectué une journée de tutorat, c’est-à-dire une journée de comparution immédiate durant laquelle ils sont accompagnés et évalués par un avocat plus chevronné. Si cette évaluation est positive, ils seront inscrits sur la liste du barreau pénal, qui désigne à tour de rôle les avocats qui assureront la défense d’urgence. Cela fonctionne par roulement car nous sommes très nombreux sur la liste. Il y a beaucoup d’avocats par rapport au nombre d’affaires, cela a pour conséquence que chaque avocat a peu d’occasions de pratiquer. Ce n’est pas du tout la même chose en province.

C. S.-P. – Pour prétendre à la défense d’urgence, il faut être ambitieux et humble à la fois. Ambitieux, car il faut avoir la préoccupation permanente d’offrir la meilleure défense possible et se vouloir capable, chaque fois, de bousculer un édifice mis en place pour aller vers la condamnation. Humble, car il faut sans cesse se remettre en cause et accepter le regard critique, dont celui de ses confrères. La première permanence des avocats commis d’office se passent d’ailleurs sous le regard d’un tuteur. Il ne faut pas rester isolé. Avec les confrères de l’école de la défense pénale, je cherche à constituer un réseau auquel pourront faire appel tous les avocats qui auront des craintes. Pour bien défendre, il faut être libre. Cela signifie, ne pas avoir peur, ni de soi, ni de son client, ni des magistrats. Enfin, il faut surtout avoir au fond de soi l’envie de défendre. Celui qui n’est pas capable de renoncer à un dîner entre amis le samedi soir pour attendre le délibéré qui tombera à une heure du matin n’est pas à la hauteur de sa mission. Je l’invite à renoncer et à laisser sa place aux autres.

LPA – Comment est pensée la formation ?

C. S.-P. – On ne se contente pas de lire le Code de procédure pénale, on essaye de les préparer à répondre à toutes les questions qu’ils se poseront en situation. Cependant, avec quatre cent cinquante participants, il n’y a pas de mise en situation possible. Cela passe donc par des projections de films, comme Délits flagrants, réalisé en 1994 par Raymond Depardon, qui a été tourné dans les locaux où les avocats commis d’office assurent les permanences, et par des études de cas précis, présentés par des avocats pénalistes réputés. Nous veillons à transmettre l’enthousiasme, l’éthique, la confraternité, la préoccupation de l’excellence, autant de principes qui doivent irriguer notre pratique personnelle. Les meilleurs ne sont pas forcément ceux qui parlent le plus fort. Une défense en apparence simple, directe, sans effets de manches, peut également faire mouche. Chacun a son style d’éloquence, tous peuvent être efficaces. Cette diversité est utile à la défense pénale.

E. H.-P. – Parmi les jeunes avocats qui suivent la formation, beaucoup n’ont pas fait de pénal. Il y en a assez peu à l’école, malheureusement, où l’accent est mis sur les fusions acquisitions, le civil, les domaines dans lesquels on est susceptible de gagner de l’argent. Il faut donc leur donner les bases de la matière, les astuces pour s’en sortir. Les avocats ne viennent pas raconter leur vie. Ce sont des habitués des audiences, et ils vont donner aux jeunes avocats des conseils très pratiques : comment lire un dossier, comment se comporter avec leur client, avec les magistrats… Ils vont également les mettre au fait de la jurisprudence la plus récente.

LPA – Quel type de conseils pratiques donnez-vous, par exemple ?

C. S.-P. – Certains conseils sont des conseils de bon sens. On leur dit par exemple, en comparution immédiate, de venir toujours avec à boire, à manger, et un chargeur de téléphone. Au-delà de l’aspect anecdotique, il s’agit de veiller à rester solide jusqu’au terme de sa permanence. Car vous savez à quelle heure vous entrez, mais jamais à quelle heure vous allez sortir ! Le port de la robe, à tout moment, permet aussi de marquer symboliquement la présence de la défense et de bénéficier de l’autorité qui y est attachée. Outre ces astuces, nous insistons sur le travail : un dossier se lit intégralement sans jamais se contenter du rapport de synthèse, qui est un élément d’accusation dans lequel ne figure aucun élément à décharge !

E. H.-P. – Il y a des choses que l’on ne vous apprend jamais à l’école et qui sont pourtant fondamentales. Par exemple, apprendre à lire un casier judiciaire. À l’école de la défense d’urgence, vous l’apprenez.

LPA – Vous abordez, entre autres choses, la relation avec le client. En quoi est-elle particulière ?

C. S.-P. – La personne est très déstabilisée par la garde à vue qu’elle vient de vivre, qui peut durer jusqu’à quatre jours pour les affaires de stupéfiants. L’avocat est le premier regard bienveillant que le prévenu va croiser à l’issue de cette épreuve. Il faut faire preuve d’humanité. En quelques minutes, il faut prendre conscience de l’état de la personne, savoir la rassurer, lui expliquer les ressorts de la machine judiciaire. Je tiens beaucoup, personnellement, à cette mission d’explication. En même temps, il faut savoir garder ses distances. Il est très courant par exemple que le détenu nous demande d’appeler des proches ou de la famille pour les prévenir de ce qui lui est arrivé. À certaines étapes de la procédure, nous n’avons pas le droit de le faire, il faut rester très ferme. Sur le papier, cela peut sembler facile, mais en situation, face à des gens en détresse ou menaçants, cela peut être difficile de résister.

E. H.-P. – Il y a par ailleurs une tendance fâcheuse des clients à mépriser les avocats commis d’office. Ils les prennent de haut et semblent penser que ce sont de sous-avocats, qu’ils sont payés par l’État, car ils n’ont pas été capables de se faire une clientèle. C’est de moins en moins vrai, car nous avons une défense d’urgence de haut niveau et cela commence à se savoir. Il arrive désormais que certains gros truands choisissent un avocat de permanence ! Mais il faut tout de même s’attendre à ne pas être bien accueilli. L’autre difficulté est de savoir à quel type de client on a affaire. Il y a ceux qui reconnaissent les faits, qui sont généralement les plus simples à gérer. Mais il y a aussi ceux qui contestent alors que toutes les apparences sont contre eux : il faut parfois savoir les convaincre que cela ne marchera pas. Enfin, il y a ceux sur lesquels on a des doutes, et sur lesquels on n’arrive pas à se forger son opinion. Il est alors difficile de savoir quelle ligne tenir. Globalement, dans ce cas, je suis pour plaider la relaxe.

LPA – Comment expliquez-vous le succès de la formation auprès des avocats ?

E. H.-P. – La formation est effectivement prise d’assaut : en 10 minutes, il n’y a plus de places ! Tout le monde veut faire du pénal, car c’est une vraie fierté. Lorsque l’on embrasse cette carrière, on est souvent mû par la volonté de défendre la veuve et l’orphelin devant un tribunal correctionnel. Les avocats ont généralement envie de faire du pénal, même quand ils gagnent leur vie autrement. Il y a aussi ceux qui ont du mal à trouver une place dans un cabinet et qui espèrent, par la défense d’urgence, se faire une clientèle. Mais en région parisienne, c’est un mauvais calcul, car ils ne sont appelés qu’une fois tous les trois mois environ. Ce n’est pas cela qui va leur permettre de décoller.

C. S.-P. – Beaucoup d’avocats sont prêts à faire bien des efforts pour suivre cette formation et s’inscrivent en sachant qu’ils ne gagneront rien. C’est enthousiasmant de savoir qu’il y a au sein de notre barreau autant de jeunes qui ont envie de défendre, dans des conditions non rémunératrices et non valorisantes. C’est rassurant sur les ressorts de la profession.

LPA – Quels sont les principales difficultés pour des avocats commis d’office débutants ?

C. S.-P. – À Paris, les avocats du barreau pénal ont peu d’occasions de plaider. Vous n’êtes appelé que tous les trois ou six mois, parfois même encore moins souvent… C’est problématique, car pour apporter rapidement la réponse adéquate, il est préférable de fréquenter régulièrement les prétoires. L’inexpérience ne peut en aucun cas être une excuse. On ne peut pas faire ses armes au détriment de quelqu’un dans le box. Il faut donc que les commis d’office qui débutent soient aussi bons que les vieux routiers de la défense pénale. C’est pour cela qu’il est très important que ces jeunes avocats se forment.

E. H.-P. – Il faut avoir un esprit de synthèse, savoir aller à l’essentiel. Il ne faut pas perdre de vue que l’on passe devant une chambre où les juges voient vingt-cinq dossiers dans la journée. Intéresser des magistrats qui voient des affaires de vol à la tire n’est pas chose facile ! Vous devez leur montrer que votre client est unique parmi ce groupe de personnes. Il faut toujours se battre pour cela.

LPA – Quels ont été, en quelques mots, vos parcours personnels ?

E. H.-P. – Je suis arrivée sur le tard, et j’ai intégré un gros cabinet de pénal spécialisé sur les affaires de terrorisme. Mon premier dossier a été l’attaque devant le magasin Tati, rue de Rennes, en 1986… Ensuite, lorsque je me suis installée, je n’ai fait que du pénal, et énormément de comparutions immédiates. J’avais l’orgueil de penser que je pouvais tirer mes clients de l’ornière, et j’y suis souvent arrivée. Au bout de dix ans, je suis devenue référent, ce qui signifie que j’encadrais des avocats plus jeunes en parallèle de ma pratique professionnelle. Aujourd’hui, je travaille au conseil de l’ordre, où je suis déléguée pour la défense d’urgence. Je supervise donc tous les avocats de permanence. Je rêve que le parrainage entre anciens et nouveaux avocats aille encore plus loin. Qu’à chaque audience, un groupe d’anciens avocats chapeaute un groupe de nouveaux et leur donne la foi.

C. S.-P. – Je suis arrivé de province sans réseau. Dans une vie antérieure, j’étais instituteur à Pau où j’ai reçu ma formation d’avocat. J’ai rejoint mon épouse qui devait faire carrière à Paris. J’ai passé le concours de la Conférence du stage, qui a été déterminant car j’ai été commis d’office régulièrement et il a été vecteur d’intégration. Contrairement à ce que l’on entend parfois, le concours de la Conférence du stage permet de faire émerger des parcours très divers. J’invite les jeunes avocats qui se destinent au pénal à le passer car ils bénéficieront de l’émulation du groupe et de l’aide des plus anciens. C’est une formation exceptionnelle.

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