« À l’EFB, nous insistons sur le fait qu’être avocat c’est avoir une déontologie »

Publié le 05/04/2024

Implantée à Issy-les-Moulineaux, l’École de formation professionnelle des barreaux du ressort de la cour d’appel de Paris (EFB) forme entre 1 500 et 2 000 avocats par an. C’est l’établissement qui accueille le plus d’élèves avocats en France. À travers plusieurs expérimentations, l’EFB est une source d’inspiration pour engager une évolution de la formation des avocats. C’est le cas notamment de l’avocat référent pédagogique qui accompagne les élèves dans leur formation de dix-huit mois à l’EFB. Une profession qui n’échappe pas aux phénomènes de société comme les « déserts juridiques », la sur-médiatisation ou encore l’utilisation exponentielle des réseaux sociaux. Le directeur de l’EFB Gilles Accomando et Clémentine Kleitz, directrice adjointe, analysent ces évolutions dans un entretien croisé accordé à Actu-Juridique.

Actu-Juridique : Comment pouvez-vous caractériser l’École de formation professionnelle des barreaux du ressort de la cour d’appel de Paris (EFB) ?

Gilles Accomando : C’est une école de formation pour les avocats et les élèves avocats. L’EFB est avant tout connue pour la formation des futurs avocats mais nous avons un département important consacré à la formation continue.

Clémentine Kleitz : Nous faisons partie des onze écoles d’avocat qui existent en France. Pour la formation initiale, nous sommes toutes soumises au même programme élaboré par le Conseil national des barreaux (CNB). En revanche, chaque école décline ensuite le programme en fonction de ses spécificités. La grande spécificité de l’EFB c’est que nous sommes le plus grand établissement en termes d’effectifs d’élèves. Chaque année, nous avons entre 1 500 et 2 000 élèves qui intègrent l’école pour la formation de dix-huit mois. C’est la moitié des effectifs en France. C’est une force et en même temps une contrainte.

Gilles Accomando : Dans notre quotidien, nous avons à gérer un grand nombre d’élèves. Mais, nous en faisons une force puisque cela nous permet de proposer des spécialisations. Notre établissement est l’une des rares écoles d’avocat à permettre aux élèves de suivre des parcours de spécialisation dans le cadre de leur parcours général. Nous faisons quasiment du sur-mesure.

AJ : De quelle manière faites-vous un accompagnement sur mesure ?

Clémentine Kleitz : Au sein de l’EFB, nous avons pris une initiative il y a trois ans. Nous avons d’abord mis en place des avocats référents pédagogiques. Tous sont avocats intervenants au sein de notre établissement. Initialement, leur unique mission était de s’assurer de la conformité et du bon déroulement des deux stages, que ce soit celui du projet pédagogique individualisé (PPI) ou du stage cabinet, eu égard aux objectifs pédagogiques de notre école. En 2023, nous avons ajouté une seconde mission à ces référents : l’accompagnement de chaque élève dans l’élaboration de son projet professionnel. Beaucoup d’entre eux arrivent à l’EFB sans vraiment avoir de certitude sur leur projet. Ils sont donc accompagnés en début de formation sur la recherche du stage final en fonction de leurs souhaits et profils. Puis, les référents vont les aider à les orienter pour chercher une collaboration et faciliter leur insertion dans la vie professionnelle.

Gilles Accomando : Concrètement, un avocat référent pédagogique a en charge entre 15 et 18 élèves avocats. Il va les suivre sur l’ensemble de la formation. Au départ, le suivi se fait plutôt en visioconférence individuellement ou collectivement. Les élèves peuvent demander des échanges individuels. En revanche, pour l’élaboration du projet professionnel c’est uniquement un face-à-face entre l’élève et son référent. Cette pratique des avocats référents, initiée à l’EFB, a désormais été rendue obligatoire dans toutes les écoles d’avocats. Nous organisons aussi des sessions de rencontres avec les maîtres de stage. Ainsi, ils peuvent découvrir l’école, les attentes de l’établissement et sur leur rôle dans le cadre du stage qui fait partie intégrante des dix-huit mois de formation. Les maîtres de stage doivent être de véritables formateurs. Les échanges avec les maîtres de stage lors de ces rencontres sont aussi très utiles pour nous. Aujourd’hui, les avocats référents pédagogiques sont devenus une obligation dans chaque école d’avocat.

AJ : Vous avez mentionné la formation continue comme un vecteur important de votre établissement. Quelle place occupe-t-elle concrètement ?

Gilles Accomando : Nous essayons d’avoir une formation continue assez variée avec des formations courtes de deux à trois heures et des cycles de formations d’une quarantaine d’heures. Nous touchons en moyenne par an entre 10 000 et 12 000 professionnels. C’est un public très large qui peut suivre des formations courtes à distance. Nous pouvons donc former beaucoup plus de monde grâce à la visioconférence. La formation continue est une priorité pour l’année 2024 en nous adaptant aux évolutions du métier d’avocat. Nous avons lancé plusieurs cycles de formation comme la pratique de l’enquête interne qui est un nouveau marché. Nous allons aussi lancer deux sessions sur le thème de l’environnement et du droit médical et hospitalier. Nous essayons d’être en première ligne sur des domaines spécifiques. Ce sont des sujets qui peuvent intéresser les professionnels pour aller chercher des parts de marché.

AJ : Combien de personnes interviennent auprès de vos élèves avocats et professionnels en formation continue ?

Clémentine Kleitz : La plupart sont avocats ou magistrats. D’autres métiers juridiques sont également représentés, comme des notaires, des directeurs juridiques, etc. Dans le cadre de la formation continue, ce sont près de 300 professionnels qui interviennent.

Gilles Accomando : Nous essayons d’avoir aussi une ouverture vers d’autres professionnels comme des experts, des policiers ou encore des psychologues. Ces professions peuvent apporter un plus pour la formation des futurs avocats ou pour les avocats en exercice dans le cadre de la formation continue.

AJ : À propos des nouveaux effectifs d’élèves avocats en 2021 et 2022, vous avez accueilli 1 554 et 1 553 élèves avocatS. En 2023, vous avez constaté 2 016 nouvelles entrées. Comment expliquez-vous cette évolution ?

Gilles Accomando : L’accès à la profession d’avocat est complexe. Pour devenir avocat, il faut réussir le certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) auquel nous préparons les élèves. En revanche, pour entrer dans une école d’avocat, il y a un examen national. Nous ne maîtrisons pas cet examen. Il est organisé par les universités en collaboration avec la profession. Chaque étudiant qui réussit cet examen peut choisir son école d’avocat. De notre côté, nous essayons de prendre en compte la diversité des territoires en maintenant un équilibre. Concernant les examens de l’année 2023, peut-être que les étudiants étaient nettement meilleurs ou les sujets étaient plus faciles par rapport aux sessions de 2021 et 2022.

AJ : Pensez-vous qu’il y a eu un effet de la crise sanitaire sur le niveau des étudiants en faculté de droit qui se sont présentés à l’examen pour intégrer une école d’avocat ?

Clémentine Kleitz : Aucun élément ne permet de l’affirmer. Après la crise sanitaire, il y a eu moins d’étudiants inscrits à l’examen. En 2021 et 2022, nous étions à des niveaux habituels de réussite de l’examen d’accès, entre 23 % et 27 % au niveau national. L’année 2023 a en revanche effectivement été exceptionnelle.

AJ : Concernant les chiffres du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA), ceux-ci sont excellents avec quasiment 100 % de réussite au sein de votre établissement…

Gilles Accomando : En réalité, la plus grande sélection est effectuée à l’entrée au sein de notre établissement. Ensuite, nous réalisons un contrôle continu avec des obligations de stage et de suivi. Certains abandonnent avant le CAPA et démissionnent. Les élèves avocats qui se présentent à l’examen final ont déjà passé un parcours d’obstacles robuste en amont. Mais le CAPA reste un examen et nous avons ajouté une nouveauté à travers l’instauration de mentions pour valoriser le certificat.

AJ : D’où proviennent les élèves avocats formés au sein de l’EFB ?

Clémentine Kleitz : À l’EFB, nous sommes vigilants à la préservation du maillage territorial de la profession d’avocat. Nous essayons de trouver un équilibre avec les autres écoles notamment concernant les élèves qui viennent des autres régions.

Gilles Accomando : L’EFB est un établissement attractif du fait sa localisation. Il y a un effet partout en province. Être avocat à Paris renforce cette attractivité. Néanmoins, comme pour les médecins par exemple, il y a des déserts « juridiques » qui existent dans certaines régions. Nous devons éviter de renforcer ce déséquilibre en orientant des élèves vers les établissements situés en région.

AJ : Quelles sont les motivations de vos élèves pour devenir avocat ?

Gilles Accomando : Nous avons quatorze parcours de spécialité au sein de l’EFB. Au travers du choix de leur spécialisation, vous pouvez constater ce à quoi les élèves s’identifient. Certains parcours ont plus de succès que d’autres. Le droit des affaires est plébiscité par nos futurs avocats. En deuxième ou en troisième position, le parcours fusion-acquisition est souvent sélectionné. La plupart de nos élèves ont donc l’image de l’avocat d’affaires. C’est peut-être la spécificité parisienne. Ensuite, le droit pénal reste aussi attrayant. Il y a donc aussi cette image de l’avocat qui plaide devant les juridictions répressives. Enfin, des élèves ont aussi d’autres motivations même s’ils sont plus minoritaires. Certains ont envie de s’engager dans le domaine du sport, pour des causes comme l’environnement ou de défendre des associations.

Clémentine Kleitz : À l’EFB, nous essayons d’ouvrir le champ des possibles des élèves avocats. Certains pensent que pour avoir une bonne condition sur Paris, il faut choisir le droit des affaires. Mais nous tentons de les ouvrir aussi sur d’autres marchés qui rencontrent des besoins. C’est le cas dans les domaines du droit du travail, du droit de l’immobilier, du droit public qui sont très peu suivis par nos élèves, alors qu’il y a beaucoup d’opportunités. Beaucoup de cabinets nous contactent car ils ne parviennent pas à trouver de nouveaux collaborateurs dans ces domaines. Notre rôle, en s’appuyant sur les avocats référents pédagogiques, est de sensibiliser les élèves à ces disciplines du droit qui ont besoin de praticiens.

AJ : Au regard de ce qui se passe dans la société avec la défiance vis-à-vis de la justice ou le phénomène du tribunal médiatique, comment vous et vos élèves percevez-vous ces faits sociaux ?

Clémentine Kleitz : La promotion qui terminera sa formation cette année est marrainée par Dominique Simonnot, ancienne journaliste et actuellement Contrôleure générale des lieux de privation des libertés. Nous avons donc organisé plusieurs débats avec elle l’année dernière. Nous avons abordé la question de la médiatisation. Ces questions-là animent et confortent les élèves dans leur futur positionnement. Ils ont encore plus envie d’aller vers la défense des justiciables, de l’État de droit et de la présomption d’innocence.

Gilles Accomando : Nous essayons de faire porter la réflexion de l’école sur la déontologie tant en formation initiale qu’en formation continue. Si vous allez sur X ou d’autres réseaux sociaux, vous pouvez constater un certain désarroi. Nous axons certaines de nos formations sur la déontologie et l’usage des réseaux sociaux. Il y a un vrai phénomène de génération auquel nous ne pouvons pas échapper. Aujourd’hui, les avocats utilisent les réseaux sociaux. Nous les invitions à être vigilants car ils exercent une fonction qui les oblige à certains devoirs. Les avocats participent à cette notion assez complexe d’État de droit. Ils ont un rôle à jouer. Individuellement, chacun doit avoir un comportement pour que collectivement il y ait cette responsabilité. Enfin, nous insistons sur le fait qu’être avocat c’est avoir une déontologie. C’est l’ADN de la profession. Concrètement dans la construction des programmes de formation, la déontologie est passée de 30 à 60 heures durant le cursus.

Clémentine Kleitz : En revanche, nous nous sommes positionnés l’année dernière en fermant le compte de l’EFB sur X pour nous concentrer uniquement sur LinkedIn. Nous avons constaté sur le réseau social racheté par Elon Musk qu’il y avait beaucoup de violations des règles déontologiques. C’est quelque chose que nous ne souhaitions pas cautionner.

AJ : Plusieurs évolutions sur la formation des avocats ont été actées à la fin de l’année 2023. Quels sont les chantiers à venir ?

Gilles Accomando : Il y a plusieurs pistes de réforme à venir comme sur le contenu de l’examen du CAPA. C’est un chantier tout proche et essentiel pour nous. Ensuite, il y a une réflexion sur la mise en œuvre de l’apprentissage ce qui permettrait aux élèves avocats d’être formés en alternance. Le texte de la fin d’année introduit cette faculté. C’est une réforme du statut de l’élève avocat actuellement assez hybride entre étudiant et professionnel et qui n’a pas de ressources garanties pendant la période de l’enseignement.

Clémentine Kleitz : Au vu de l’âge moyen de nos élèves (25 ans et demi), le système actuel n’est pas adapté à ce profil. C’est difficile de dire aux élèves que pendant six mois de cours, ils n’auront pas de gratification. Il existe des pistes qui permettraient de pallier ce déficit de ressources. L’apprentissage peut être une solution. L’année dernière, les élèves ont alerté sur un sentiment de précarité ressenti par certains. Certaines situations sont parfois difficiles. Concernant le CAPA, actuellement cette certification s’effectue en deux temps : le contrôle continu suivi d’un examen de sortie qui est assez lourd et inadapté. Il y a notamment une épreuve écrite de cinq heures rédigée à la main et sans accès aux bases de données juridiques. C’est sûrement l’unique fois où les élèves vont rédiger un acte d’assignation manuscritement : c’est complètement anachronique. Nous souhaitons promouvoir le contrôle continu associé à un examen conforme aux exigences attendues par les professionnels.

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