Hauts-de-Seine (92)

À Nanterre, les faillites annoncées n’ont pas eu lieu !

Publié le 17/02/2022
Faillite, crise
Valery/AdobeStock

À défaut d’audience de rentrée publique, le président et la vice-présidente du tribunal de commerce de Nanterre, Jacques Fineschi et Catherine Drévillon, ont présenté l’activité de l’année 2021 en tout petit comité ; cette année a été marquée par la baisse des procédures collectives.

Avec près de 28 400 décisions rendues, l’activité du tribunal a augmenté de 4 % même si cette augmentation est, en réalité, biaisée puisque l’année 2020 avait été marquée par un fort ralentissement du fait du confinement. « Au cours d’une année normale, le tribunal rend en moyenne 30 000 décisions », a restitué le président du tribunal. L’activité n’a donc pas repris un cours normal à Nanterre.

Plusieurs fois annoncée, la vague de faillites n’a pas encore eu lieu cette année ! « L’activité d’ouverture de procédures collectives est encore plus atone qu’en 2020 », a expliqué Jacques Fineschi. L’explication est simple : les entreprises ont continué, en 2021, de bénéficier de l’étalement des créances fiscales et sociales, des prêts garantis par l’État (PGE) et du fonds de solidarité. « Ces mesures ont porté leurs fruits, peut-être même un peu trop. Plusieurs entreprises, qui seraient venues en procédure collective s’il n’y avait pas eu le Covid, ont pu gagner un peu de temps. Certaines entreprises ont mieux vécu fermées, avec leurs salariés en chômage partiel, qu’en exploitation ». Le magistrat en a profité pour pointer des « déviances » : « On commence à voir des liquidations judiciaires de gens qui n’ont pas réinvesti l’argent de leur PGE dans leur exploitation », a-t-il témoigné.

Par conséquent, les redressements judiciaires ont baissé de 16 % par rapport à l’année 2020, année au cours de laquelle ils avaient déjà diminué de 60 %. Cet effondrement tient également au fait que l’Urssaf n’a pas repris ses assignations. Un répit pour les entreprises, qui pourrait néanmoins se retourner contre elles à plus long terme. « Lorsqu’une entreprise est en difficulté, c’est l’Urssaf qu’elle cesse de payer en premier. Quand l’Urssaf assigne une entreprise, on se situe donc à un stade préliminaire des difficultés. Il s’agit d’un bon indicateur et on peut encore envisager un redressement », a explicité le président.

Les liquidations ont également diminué ; elles ont été presque divisées par deux en 2 ans. En effet, alors qu’elles étaient 832, en 2019, elles sont passées à 462, en 2021. Est-ce une bonne nouvelle ? Pas forcément. « Il est sain que des entreprises meurent », a estimé le président du tribunal, rappelant, au passage, que les liquidations concernent généralement des petites entreprises d’un ou deux salariés. « Le tissu économique est organique. Des entreprises naissent, d’autres entreprises meurent. On crée beaucoup plus d’entreprises que l’on en fait disparaître », a-t-il précisé.

La procédure de sauvegarde a, elle aussi, reculé. Il n’y en a eu que six en 2021. « Cette procédure est tombée en désuétude, notamment par rapport à la conciliation et aux mandats ad hoc ». Entre autres avantages, la procédure de conciliation est confidentielle, contrairement à la sauvegarde.

« Le succès des procédures de règlement amiable des difficultés des entreprises s’est confirmé »

Si les procédures collectives ont baissé, « le succès des procédures de règlement amiable des difficultés des entreprises s’est totalement confirmé », a analysé Jacques Fineschi. Conciliations et mandats ad hoc confondus, ces procédures ont presque doublé en 2 ans, passant de 50, en 2019 à 92, en 2021. « Il y a un mouvement clair vers la conciliation », a souligné le président Jacques Fineschi. Cette mesure a d’ailleurs été rendue encore plus attractive du fait des ordonnances Covid, qui ont allongé son délai à 10 mois au lieu de 5. Résultat : 20 000 salariés ont été concernés par ces procédures en 2021, alors que les liquidations représentaient moins de 700 salariés.

« Les procédures de prévention restent cependant mal connues et pourraient encore gagner du terrain », a souligné le président du tribunal de commerce. Les chiffres montrent, en effet, que seules les grandes entreprises les demandent. En 2021, les procédures préventives concernaient ainsi des entreprises de plus de 200 salariés, en moyenne. « Cela demeure l’apanage des grosses sociétés ayant une direction juridique. Les TPE ne savent même pas que cela existe. Leurs experts-comptables et leurs conseils connaissent eux-mêmes mal ces procédures », s’est-il désolé. Le tribunal de commerce a ainsi multiplié, en 2021, les webinaires avec les partenaires locaux afin de « promouvoir cette prévention et de descendre vers des sociétés de plus petite taille ». Les experts-comptables de l’Île-de-France, les avocats du barreau des Hauts-de-Seine, le Medef ainsi que la banque de France y ont également été sensibilisés.

164 chefs d’entreprise ont été convoqués, en 2021, à un entretien de prévention. Cela est peu ; en effet, d’après les informations du greffe, 2 400 sociétés seraient en difficulté. Parmi les chefs d’entreprise qui ont été convoqués, certains ont été détectés par le greffe, et seulement 32 sont venus suite à l’alerte du commissaire aux comptes. « Le seuil pour lequel le commissaire aux comptes est obligatoire a été relevé et beaucoup de TPE n’en ont pas. Les experts-comptables pourraient alerter mais n’ont aucun devoir de le faire. Ils alertent finalement peu puisqu’ils veulent rester en bons termes avec leurs clients », a détaillé Jacques Fineschi.

En revanche, l’activité a été forte au pôle contentieux ; en effet, elle a augmenté de 34 % par rapport à l’année 2020, et de 16 % par rapport à l’année 2019. « Cela vient des différends entre les hôteliers et les assurances quant aux pertes d’exploitation liées au Covid », a décrypté Catherine Drévillon, en charge du contentieux. « Dans ces affaires, il s’agit de cas par cas. Cela dépend du contrat, des assureurs. Certains préfèrent chercher une solution amiable ».

Avec 164 conciliateurs ou médiateurs désignés en 2021, contre 134 en 2020, et avec un taux de succès de 63 %, les modes alternatifs de règlement des différends (MARD) ont enregistré de bons résultats. « Il ne s’agit pas ici de trancher un débat mais de pousser les parties à trouver une solution, avec l’aide du médiateur ou du conciliateur », a rappelé la vice-présidente. Ces conciliateurs peuvent être saisis par le juge ou par les parties elles-mêmes. « D’anciens juges du tribunal de Nanterre ont été formés à ces MARD et tiennent un bureau au troisième étage. Ainsi, lorsqu’un juge a les parties en face de lui, il peut facilement leur proposer de rencontrer un conciliateur de permanence », a-t-elle expliqué.

Toujours quant à la progression de la hausse du contentieux, les désignations d’experts ont progressé : 89 nouvelles expertises ont été ouvertes, faisant augmenter de 51 % l’activité d’expertise. « Cela tient aux litiges entre les restaurateurs et les compagnies d’assurances. Les experts sont désignés parce qu’ils doivent estimer le préjudice en analysant les comptes afin de proposer une tranche d’indemnisation possible », a précisé Catherine Drévillon.

25 100 inscriptions de nouvelles sociétés

Avec 25 100 inscriptions de nouvelles sociétés, les immatriculations au registre du commerce et des sociétés ont atteint un record historique. Parmi ces nouveaux dirigeants, il y a beaucoup de micro-entrepreneurs, de chauffeurs de VTC ou de livreurs ; des métiers qui se développent depuis le confinement. Durant la même période, 21 000 sociétés ont été supprimées.

La chambre des responsabilités et des sanctions a, pour sa part, rendu 161 jugements, soit 17 % de plus qu’en 2020. Plus sévère que d’autres juridictions, le tribunal de commerce de Nanterre double souvent les sanctions personnelles, telles que les faillites ou les interdictions de gérer, de sanctions patrimoniales. Celles-ci atteignent; en effet, 26 % de l’ensemble des sanctions patrimoniales prononcées sur le territoire. « Nous nous sommes interrogés à ce sujet et nous tiendrons prochainement une réunion avec les présidents des tribunaux de commerce du ressort des cours d’appel de Versailles, de Paris et de Reims », a annoncé Jacques Fineschi.

Créée en tout début d’année 2020, la chambre du contentieux international démarre doucement. Une nouvelle chambre, créée en 2021 à Versailles, permettra de recevoir les affaires en appel.

Enfin, pour terminer, Jacques Fineschi est revenu sur les affaires marquantes de l’année 2021 : le plan de sauvegarde de la société de fabrication de tubes en acier Vallourec, l’homologation de l’accord de conciliation entre Mediapro et la ligue de football professionnel qui récupère les droits de diffusion et les matchs de ligue 1 et de ligue 2, l’homologation de l’accord de conciliation entre Veolia et Suez – les spécialistes français de la gestion de l’eau et des déchets – qui , à l’issue de sept affaires contentieuses, a permis d’ouvrir la voie à une offre publique d’achat amicale. Cette dernière affaire, dont le jugement a été rendu à 4 heures du matin, a laissé des souvenirs épiques aux deux juges.

Le président Jacques Fineschi avait annoncé, lors de son audience d’intronisation en janvier 2020, qu’il présiderait le tribunal de commerce de manière humaine, en mettant l’accent sur l’accompagnement des chefs d’entreprise après une faillite. L’année 2021 a vu la concrétisation de cet engagement, avec le déploiement du dispositif Apesa (aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aigüe) dans les Hauts-de-Seine. Celui-ci vise à proposer un accompagnement psychologique aux chefs d’entreprise en souffrance, « qui risqueraient de s’engouffrer dans la spirale des « 3D » : dépôt de bilan, divorce et dépression », a souligné le président, rappelant qu’un dirigeant d’entreprise se suicide en France tous les deux jours. Les dirigeants fragiles sont donc détectés par des professionnels du monde économique ou judiciaire qui font office de « sentinelle ». « Nous avons aujourd’hui 100 sentinelles et notre objectif est d’en avoir 200, en 2022 », s’est félicité Jacques Fineschi. 20 psychologues du département ont également été formés à l’accompagnement de ce public particulier.

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