« L’APESA est là pour éviter l’irrémédiable »
Lors de l’audience de rentrée du tribunal de commerce des Hauts-de-Seine (92), le président Jacques Fineschi avait annoncé la création d’une structure ayant vocation à accompagner les chefs d’entreprises en faillite : l’aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aigüe (APESA). Celle-ci devrait voir le jour prochainement. Le juge Stéphane Rossignol, qui la supervisera, revient sur la nécessité de cette structure.
Les Petites Affiches : Comment est née l’APESA, qui accompagne les chefs d’entreprises liquidées ?
Stéphane Rossignol : Ce dispositif a été initié par le tribunal de commerce de Saintes en 2013. Le greffier en chef de cette juridiction avait remarqué que si les procédures permettaient d’être efficaces pour les entreprises, elles ne tenaient pas compte de la souffrance des dirigeants. Les juges consulaires, bien que n’étant pas indifférents à leur mal-être, n’étaient pas compétents pour les accompagner sur le plan psychologique. Ce tribunal a donc décidé de créer l’APESA pour accompagner les dirigeants qui venaient de déposer le bilan. L’idée a essaimé face aux retours positifs. L’association existe aujourd’hui dans 40 tribunaux de commerce et devrait, compte tenu de la crise que nous traversons, continuer à prendre de l’ampleur. Dans les Hauts-de-Seine, le président du tribunal de commerce, Jacques Fineschi, a voulu en créer une antenne. Celle-ci devrait être opérationnelle à la fin du premier trimestre.
LPA : Voyez-vous la souffrance des chefs d’entreprise ?
S.R. : Les procédures collectives sont l’aboutissement d’un long chemin de procédure. Lorsque le tribunal de commerce finit par prendre une décision de redressement, ou pire, de liquidation, l’entrepreneur perd tout ! Son activité professionnelle, d’abord, mais pas seulement. Cette décision a généralement des conséquences désastreuses sur sa vie privée. Nous appelons cet enchaînement les « 3D » : dépôt de bilan, dépression, divorce. Le dirigeant se retrouve seul dans l’épreuve. Nous sommes quotidiennement témoin de cette détresse. À l’audience d’abord, lorsque le dirigeant vient déposer le bilan, ou dans les rencontres qui interviennent au cours de la procédure de redressement judiciaire, il n’est pas rare de voir des dirigeants anéantis, en pleurs, avec des difficultés d’élocution, des comportements débordants. Le suicide est un risque sérieux. En France, presque chaque jour un chef d’entreprise se suicide !
LPA : Quels sont les chefs d’entreprise les plus en souffrance ?
S.R. : Les dirigeants de TPE sont les plus isolés. Contrairement aux sociétés plus structurées, qui ont la capacité de surmonter l’épreuve collectivement, le dirigeant d’une petite entreprise affronte seul le dépôt de bilan. En plus d’être juge consulaire, je suis dirigeant d’une TPE dans le domaine pharmaceutique. J’ai la chance de ne pas avoir de soucis économiques, mais j’ai conscience que cela peut arriver à tout le monde.
LPA : Quelle est la mission de l’APESA ?
S.R. : L’APESA n’a pas pour objectif d’aider au rebond de l’entrepreneur. L’association est là pour aider le dirigeant à retrouver un équilibre psychologique.
C’est un préalable pour qu’il puisse rebondir vers la création d’une nouvelle entreprise ou pour un retour vers l’emploi. L’APESA est là pour parer à l’urgence et éviter l’irrémédiable dans les 24h qui suivent la décision lourde de l’arrêt de l’entreprise.
LPA : Que propose-t-elle ?
S.R. : L’APESA propose un soutien psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë, c’est-à-dire à ceux qui sont au bord du suicide. L’association a pour but de former des « sentinelles » dans les juridictions : il peut s’agir de juges consulaires, d’avocats, d’administrateurs et mandataires judiciaires, d’experts-comptables ou de greffiers qui rencontrent le dirigeant quand celui-ci vient déposer sa déclaration de cessation des paiements. Il y a une centaine de sentinelles par département. Quand elles sentent un dirigeant en souffrance, elles doivent lui proposer de le mettre en relation avec la plateforme de l’APESA. Si le dirigeant y consent, elles vont faire une « fiche alerte », avec ses coordonnées. Le dirigeant sera alors rappelé, généralement dans l’heure qui suit le signalement, par le psychologue qui coordonne la plateforme. Ce dernier va cerner le problème et lui proposer d’effectuer cinq séances avec un psychologue dans le département où il se trouve. C’est un service gratuit, rapide et de proximité.
LPA : Craignez-vous une vague de faillites liées à la crise sanitaire ?
S.R. : Nous sommes au creux de la vague. Nous redoutons en effet qu’un grand nombre de sociétés arrivent au tribunal dans quelques mois. Nous voulons pour cela mettre en place l’APESA dès maintenant, afin que l’association soit prête à absorber un éventuel afflux.