« À quand une Journée européenne de lutte contre le sexisme ? »

Publié le 28/03/2024

Le sexisme en France ne recule pas et tendrait même à s’aggraver, notamment chez les plus jeunes. Tel est le principal enseignement du dernier rapport du Haut conseil à l’Égalité, remis le 22 janvier dernier au président de la République. Un an auparavant, Emmanuel Macron reconnaissait le 25 janvier comme la Journée nationale de lutte contre le sexisme. La première édition de la Journée nationale officielle a donc eu lieu le 25 janvier dernier. L’aboutissement d’un travail de longue haleine pour le collectif Ensemble contre le sexisme, qui milite depuis plusieurs années pour la création de cette journée. Entretien avec Yseline Fourtic-Dutarde, élève avocate à Versailles et co-présidente du collectif.

AJ : Vous êtes la co-présidente du collectif Ensemble contre le sexisme. À quand remonte votre engagement pour les droits des femmes ?

Yseline Fourtic-Dutarde : Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été déterminée à obtenir l’égalité entre les femmes et les hommes. Petite, je voulais devenir avocate : après une journée d’orientation organisée par le collège, j’avais la ferme conviction que la plus haute fonction à laquelle une femme pouvait prétendre, c’était… assistante de direction. Autant vous dire que quand j’ai annoncé à ma maman ce changement de plan, elle était dubitative.

Militante dans le syndicalisme lycéen et étudiant, j’ai très tôt fait l’expérience du sexisme et de son cortège de remarques humiliantes, de violences psychologiques, de l’assignation différenciée des militantes au niveau des responsabilités, du procès en légitimité permanent fait aux femmes par les hommes de ma génération.

Après Sciences Po à Toulouse, j’ai effectué mon stage de fin d’étude au Haut conseil de l’égalité entre les femmes et les hommes. J’ai ensuite rejoint le cabinet ministériel de Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance, et des Droits des femmes, et avant tout une militante féministe passionnante et brillante. J’ai eu envie de la suivre au Sénat où je travaille à ses côtés depuis 2017, avec la volonté d’utiliser le droit comme un moteur au service de la cause des femmes. Des projets et propositions de loi sont intervenus à intervalles réguliers depuis le début du mouvement #Metoo en 2017. Nous avons travaillé sur les violences faites aux femmes, l’ordonnance de protection, les régimes de prescription des violences sexuelles, l’inceste, l’instauration d’une présomption de non-consentement pour lutter contre les violences sexuelles faites aux enfants, etc.

AJ : Vous êtes en train de devenir avocate. Pourquoi ce changement de voie professionnelle ?

Yseline Fourtic-Dutarde : Travailler le droit en tant que collaboratrice parlementaire et militante est à la fois passionnant et frustrant. Cela amène à beaucoup s’interroger sur la production des normes et sur la manière dont on peut mobiliser les droits et libertés fondamentales. Il y a un travail fort de mise à l’agenda et de médiatisation. En revanche, lorsqu’on est sollicités par des victimes, et cela arrive souvent, le sentiment d’impuissance est latent.

J’ai eu envie dans un premier temps de reprendre mes études pour me perfectionner en droit afin d’être une meilleure collaboratrice parlementaire. De fil en aiguille, j’ai décidé finalement de passer le barreau. Il s’agit pour moi de transformer ce sentiment d’impuissance en un moteur pour accompagner les femmes victimes de violences ou entravées par le sexisme, que ce soit dans leur vie privée ou professionnelle. J’ai obtenu le CRFPA en 2023 et je suis maintenant les cours de l’école des avocats de Versailles. J’ai prêté le « petit » serment en janvier. Avocate, c’est pour moi une autre manière de porter ces combats féministes.

AJ : Qu’est-ce que le collectif « Ensemble contre le sexisme », dont vous êtes la co-présidente ?

Yseline Fourtic-Dutarde : En 2016, Laurence Rossignol avait lancé la campagne « Sexisme pas notre genre », qui avait pour but, entre autres, de permettre une mobilisation générale contre la tolérance sociale vis-à-vis du sexisme. Dès le début, l’organisation d’une Journée nationale de lutte contre le sexisme était identifiée comme une revendication stratégique. Cette campagne avait permis de faire émerger un collectif d’une quarantaine d’associations, de réseaux et de structures engagés dans différents secteurs pour promouvoir les droits des femmes et lutter contre le sexisme. Se trouvaient ainsi dans ce collectif des structures comme l’Assemblée des Femmes, Osez le féminisme, le Laboratoire de l’égalité, la Fondation des Femmes, Femmes ingénieures… Toutes engagées à leur manière pour la promotion des droits des femmes, elles n’ont néanmoins pas le même objet militant et n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble. Le but était de créer des synergies entre elles, de les réunir pour parvenir à une mobilisation plus ample et faire en sorte que toutes ces personnes apprennent à se connaître et développent ensemble des outils contre le sexisme dans la vie quotidienne et professionnelle des femmes. Cela a bien fonctionné : les associations ont apprécié de travailler ensemble. À l’issue de la campagne, elles ont décidé de continuer à travers le collectif « Ensemble contre le sexisme ». Initialement, il s’agissait d’un collectif informel qui se réunissait régulièrement pour monter des événements. En 2022, ce collectif est devenu une association qui se mobilise chaque année pour dénoncer le sexisme dans l’ensemble de ses manifestations.

AJ : Quelles ont été les manifestations organisées par ce collectif ?

Yseline Fourtic-Dutarde : En 2020, nous avons dénoncé l’impact des confinements sur la vie des femmes, qu’il s’agisse de risques en termes de sexisme, de violences intrafamiliales ou d’assignation à la sphère domestique, et nous avons porté un plan de déconfinement antisexiste. Lors de la dernière campagne présidentielle, nous avons fait un plaidoyer pour un quinquennat anti-sexiste comportant 22 recommandations et préconisations. Et enfin chaque année, autour du 25 janvier, nous organisons un grand événement contre le sexisme.

AJ : Quelles formes prend le sexisme aujourd’hui ?

Yseline Fourtic-Dutarde : Chaque année, le Haut conseil pour l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), instance consultative indépendante chargée d’émettre des recommandations au gouvernement et aux assemblées, remet un rapport au président de la République. Ces rapports montrent que le sexisme ne recule pas en France. Le dernier rapport, remis à Emmanuel Macron par Sylvie Pierre-Brossolette, Présidente du HCE, le 22 janvier dernier, montre même qu’il perdure et que ses manifestations les plus violentes s’aggravent. Ainsi, près d’un quart des hommes de 25 à 34 ans estime qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter. Et 40 % des hommes, tous âges confondus, trouvent normal que les femmes arrêtent de travailler pour s’occuper des enfants… Comme le préconise le HCE et comme nous l’avons porté à plusieurs reprises, il nous faut un plan d’urgence global contre le sexisme. Nous devons continuer à rendre visible et à dénoncer le sexisme auquel les femmes sont confrontées dans tous les domaines de leur vie, sous de multiples formes. Dans la vie professionnelle, il peut être verbal ou non verbal, par exemple quand des femmes en responsabilité sont assignées à des postes de subalternes. La seule manière de faire en sorte que ce sexisme cesse de nous nuire est de le rendre visible et de donner des clés pour l’éradiquer.

AJ : Ce 25 janvier a été la première Journée nationale de lutte contre le sexisme. Quel est le sens d’une telle journée ?

Yseline Fourtic-Dutarde : La Journée contre le sexisme est un outil, un levier, au même titre que la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars ou que la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre. C’est un moyen pour mettre à l’agenda les revendications des féministes. Ces journées appellent à des mobilisations et permettent année après années d’avoir des projecteurs braqués sur la défense des droits des femmes et de les faire progresser. La création d’une Journée nationale de lutte contre le sexisme est une revendication de longue date du collectif « Ensemble contre le sexisme ». Avant même qu’elle ne devienne officielle, nous l’avons célébré chaque année autour du 25 janvier, en organisant des manifestations à cette date. Le fait qu’elle soit reconnue officiellement par le président de la République a pour effet que d’autres organisations que la nôtre organisent des événements. Pour cette première édition, il y a déjà eu plusieurs initiatives. Cela montre que cette journée ne nous appartient plus. C’est une excellente nouvelle.

AJ : A-t-il été difficile d’obtenir cette journée ?

Yseline Fourtic-Dutarde : Oui, cela a été un long combat, mené auprès et avec les différentes ministres chargées de l’Égalité entre les femmes et les hommes. C’est d’autant plus frustrant qu’il suffisait d’un communiqué du président de la République pour que la journée devienne officielle. Il existe des journées pour tout et n’importe quoi. Qu’il soit si difficile d’obtenir cette journée contre le sexisme alors qu’il s’agit d’une mesure d’ordre symbolique m’a beaucoup interrogée.

AJ : En quoi consistait le « Sexisme TV Show » organisé cette année ?

Yseline Fourtic-Dutarde : Depuis l’an dernier, nous avons pris le parti de traiter le sujet du sexisme avec sérieux et humour, de mêler le jeu à des interventions et témoignages de fond délivrés par des enseignantes, des chercheuses, des militantes. En 2023, nous avions ainsi traduit le sexisme en justice en organisant le Procès du sexisme, un événement qui avait rencontré beaucoup de succès. Ce procès, découpé en séquences, faisant chacune intervenir une juge, une procureur et une avocate, défendait le sexisme par l’absurde, montrant qu’il s’agissait d’un système conservateur et réactionnaire. En 2024, nous avons voulu garder ce ton, et avons choisi d’aborder cette année la manière dont le sexisme existe dans les représentations collectives. Parodier un show télévisé nous a semblé la meilleure option. Nous nous sommes ainsi attelées à la question des représentations en parodiant plusieurs émissions télévisées : La Grande Bibliothèque, le Macho Quiz, Une Épouse Presque Parfaite… Nous avons déroulé un programme de télévision fictif avec un journal télévisé, une chronique judiciaire, une chronique sur le financement des droits des femmes, une chronique sur la téléréalité, ou encore sur le monde politique. Une avocate a expliqué que, quand des clients arrivent à son cabinet et qu’elle les accueille, ils la prennent pour la secrétaire. Quand ils réalisent qu’elle est l’avocate, ils clôturent le rendez-vous. Ce sexisme s’imprime également dans l’institution judiciaire. Nous avons reçu Violaine de Filippis-Abate, porte-parole d’Osez le féminisme et autrice du livre Classées sans suite, un ouvrage sur le traitement judiciaire de la parole des femmes. Elle a rappelé que le mouvement #Metoo a entraîné une injonction pour les femmes à parler, mais que celles qui le font voient leur parole largement décrédibilisée et minimisée par la police et les magistrats. Nous nous sommes inspirées de Pascal Praud en faisant une table ronde au sujet de l’andropause, phénomène de baisse de la testostérone chez les hommes, avec pour intervenantes des femmes qui n’y connaissaient pas grand-chose. Bref, nous avons pris le parti de rire d’un sujet grave, tout en rappelant que les conséquences peuvent être meurtrières pour les femmes. On peut rire de tout, mais notre responsabilité de militantes est d’avoir conscience que les victimes de violences patriarcales sont partout, que la haine des femmes n’a pas de frontière… Mais notre sororité non plus.

AJ : Quels sont aujourd’hui les projets du collectif ?

Yseline Fourtic-Dutarde : Notre objectif numéro 1 est toujours le même : dénoncer le sexisme partout, tout le temps, afin que les femmes soient libérées des entraves et des violences qu’il instaure. Pour cela, nous devons convaincre et mobiliser un maximum de personnes.

Quant à notre action de plaidoyer, avec les élections européennes, nous allons en particulier nous engager pour défendre le droit à l’avortement et à la contraception à l’échelle du continent, dans un contexte où les droits des femmes sont particulièrement attaqués par l’alliance des conservateurs, des réactionnaires et de l’extrême-droite. Nous serons vigilantes aux questions de parentalité et nous lutterons contre les injonctions d’une part à la maternité et d’autre part à l’assignation des femmes dans la sphère domestique. Et puis, que notre journée soit officiellement devenue nationale, c’est bien, mais voyons plus loin : à quand une Journée européenne de lutte contre le sexisme ?

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