Anagi Kodituwakku : « Il est nécessaire que les justiciables viennent assister à des audiences » !
Maître Anagi Kodituwakku est une jeune avocate pénaliste qui a prêté serment en 2020. Installée dans le Val-de-Marne, elle est Première secrétaire de la Conférence du jeune Barreau. Rencontre.
Actu-Juridique : Vous avez prêté serment il y a trois ans. Quel a été votre parcours ?
Anagi Kodituwakku : J’ai eu un parcours assez classique en droit à l’Université Panthéon-Sorbonne. Je suis titulaire d’une licence en droit international, un M1 en procédure pénal et un M2 en droit international comparé, avec un passage par l’Université d’Harvard dans le cadre de mes recherches en droit comparé. J’ai ensuite intégré l’École de Formation du Barreau (EFB). Pendant, ma formation j’ai travaillé au pôle 8 de la cour d’appel de Paris, à la fois aux côtés des magistrats du siège et du parquet. Cette chambre traite des affaires liées au terrorisme et à la grande délinquance organisée. Ce fut une expérience extrêmement enrichissante, elle m’a permis de comprendre la manière dont les magistrats exercent, la technicité, les enjeux et les difficultés de leur travail, voir l’autre côté, celui des magistrats, le côté que l’on ne voit jamais lorsqu’on est avocat. À la suite de ma prestation de serment, j’ai exercé au barreau de Paris puis au barreau du Val-de-Marne. J’exerce exclusivement en droit pénal : le droit pénal général, le droit pénal des affaires, le droit pénal international, etc.
AJ : Vous aviez toujours eu envie de faire du droit ?
Anagi Kodituwakku : C’est une vocation qui est née très tôt chez moi. Ma famille est engagée dans la défense des droits humains sur un plan associatif. Dans ce cadre, j’ai très tôt côtoyé des avocats pénalistes. Et j’ai gardé des souvenirs de ces avocats qui intervenaient dans des conditions difficiles, notamment de guerre, avec beaucoup de courage.
AJ : Pourquoi le droit pénal ?
Anagi Kodituwakku : C’est un droit très humain où le conseil est confronté de manière très concrète aux difficultés des individus. La première rencontre avec le client se fait souvent lorsqu’il est en garde à vue ou incarcéré, dans une situation de vulnérabilité. Ce domaine du droit conduit à avoir une approche très directe avec tous les auxiliaires de justice et fréquemment des confrontations. Il faut souvent intervenir dans l’urgence.
AJ : Vous avez quitté Paris pour le Val-de-Marne. Était-ce un choix délibéré ?
Anagi Kodituwakku : Je reste évidemment attachée au barreau de Paris. Rejoindre le barreau du Val-de-Marne est un choix lié à mes rencontres professionnelles, mais aussi à la manière dont je souhaitais exercer, notamment au sein d’un barreau à taille humaine. Il y a une vraie proximité avec le bâtonnier et les membres du conseil de l’ordre, ce qui facilite les échanges et évite d’être isolé lorsque l’on rencontre des difficultés dans l’exercice de la profession. Il y a de la cohésion au sein de notre barreau. C’est également un barreau militant qui s’est opposé à la pratique du déferrement avec mandat de dépôt en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Il faut avoir une réactivité et un vrai dynamisme pour se saisir de ces questions et anticiper les conséquences pour les justiciables.
AJ : Vous êtes première secrétaire de la Conférence du jeune barreau. Pouvez-vous expliquer ce rôle ?
Anagi Kodituwakku : La Conférence est un concours de plaidoirie réservé aux jeunes consœurs et confrères avec plusieurs tours éliminatoires. Le nombre de secrétaires est lié à la taille du Barreau, nous sommes deux secrétaires au Barreau du Val-de-Marne, ils sont douze à Paris, par exemple. Les Secrétaires assurent une défense pénale d’urgence surtout en matière criminelle, notamment pour les plus démunis. Il peut s’agir d’une intervention au stade de la garde à vue, de l’instruction ou encore devant la cour d’assises. Les Secrétaires ont également un rôle de représentation du Barreau, ils sont amenés à prononcer un discours lors de la rentrée solennelle du Barreau. La tradition cristolienne consiste en une joute oratoire entre les deux secrétaires ; cette année nous avons eu la chance de recevoir notre consœur Marie Dosé en qualité d’invité d’honneur qui a participé à cette joute oratoire.
AJ : Quelle a été votre motivation pour être élue secrétaire ?
Anagi Kodituwakku : La Conférence est liée au droit pénal de manière intrinsèque. Il ne s’agit pas seulement de maîtriser l’oralité des débats mais également la technicité de la procédure pénale. C’est une distinction par ses pairs, et la reconnaissance d’un certain talent oratoire. La Conférence permet d’avoir une visibilité et offre davantage d’opportunités d’exercer en droit pénal. C’est une expérience unique.
AJ : La défense pénale d’urgence s’ajoute donc aux autres dispositifs en place, comme l’aide juridictionnelle ou les commissions d’office ?
Anagi Kodituwakku : La défense pénale d’urgence signifie simplement intervenir de manière urgente lorsqu’un justiciable se trouve sans avocat. L’aide juridictionnelle est une prise en charge par l’État des frais de justice, sous certaines conditions, des justiciables qui ont des faibles revenus. La commission d’office est un mode de désignation d’un avocat par le bâtonnier à la demande du justiciable.
AJ : Sur quels types d’affaires travaillez-vous habituellement ?
Anagi Kodituwakku : C’est assez varié, il peut s’agir de dossier de vol, de violences, de trafic de stupéfiants, d’extorsion mais aussi des contentieux liés aux sociétés comme les abus de bien sociaux, les escroqueries, etc. Les dossiers d’assises traitent bien évidemment d’infractions d’une gravité plus importante.
AJ : Y a-t-il des sujets sur lesquels vous vous investissez ?
Anagi Kodituwakku : Un sujet qui m’intéresse particulièrement au sein de notre profession est celui du statut du collaborateur, notamment les questions liées au harcèlement moral, sexuel, les burn-out. Des questions qui de manière statistique impactent davantage les femmes avocates. C’était le sujet de mon discours à la rentrée solennelle de notre Barreau. Bien évidemment, les ordres ont mis en place des procédures de sanction mais aussi de prévention de ce type de comportements. Cependant, je pense qu’il est encore difficile lorsqu’on est collaboratrice ou collaborateur d’avoir une parole totalement libérée. Je pense également aux questions liées aux congés maternité. Il faut être vigilant sur ces questions, réfléchir sur nos conditions d’exercice et porter notre voix lorsque ces conditions ne nous conviennent pas. Sur un plan plus procédural, je suis également très attentive aux réformes législatives impactant la détention, surtout à l’aune de la récente condamnation de la France par la CEDH. Il me semble d’important de résoudre les questions pratiques qui se posent depuis des années, notamment liées aux conditions de détention et la surpopulation carcérale plutôt que de s’ancrer dans une inflation législative.
AJ : Vous avez participé au prix Gisèle Halimi en 2018. Cela a-t-il eu un impact sur votre carrière ?
Anagi Kodituwakku : Cela a été un événement marquant pour moi, c’est un concours qui met à l’honneur la parole des femmes sur des sujets visant à dénoncer les violences faites aux femmes et militer pour l’égalité. Mon sujet portait sur le droit à l’avortement et le combat mené par Simone Veil. C’est un sujet qui est malheureusement d’actualité notamment aux États-Unis en raison du revirement de la jurisprudence de la Cour suprême. Et nous rappelle qu’il est nécessaire d’être vigilant même sur des droits que l’on pense acquis. Il est important de célébrer les femmes qui ont mené ces combats à la fois Simone Veil mais également Gisèle Halimi. On entend souvent parler des grands ténors mais pas assez des grandes ténoras comme Françoise Cotta, Jacqueline Laffont, Marie Dosé ou Sophie Rey-Gascon. Je pourrais en citer beaucoup d’autres ! Elles sont des modèles inspirants pour les nouvelles générations d’avocates.
AJ : Quelles affaires vous ont marquée ?
Anagi Kodituwakku : Je pense à une audience correctionnelle pour un trafic de stupéfiants où il n’y avait que des éléments de preuve indirects. Mon client a été condamné à une longue peine ferme. Ça a été un moment d’interrogation pour lui comme pour moi, notamment au regard de l’article 6 de la CEDH relatif au droit à un procès équitable. Cet article est lié à l’adage anglais : “Justice must not only be done, it must also be seen to be done.” Cela signifie que la justice doit être rendue mais on doit aussi avoir l’apparence, depuis l’extérieur, que la justice a été bien rendue. C’est évidemment un point de vue d’une avocate de la défense mais lorsqu’une enquête est mal faite ou qu’un certain nombre d’éléments sont manquants pour démontrer matériellement la culpabilité du prévenu de manière incontestable, qu’il existe un doute, et qu’une condamnation intervient, cela interroge nécessairement. Même les décisions récentes liées aux émeutes, lorsque des peines fermes sont prononcées pour des prévenus sans casier, on peut s’interroger. On peut s’interroger collectivement, en tant que société sur le sens de ces peines. La peine n’a pas vocation uniquement à sanctionner mais également à éviter la récidive et réinsérer le condamné. Il est pour cela nécessaire que les justiciables viennent assister à des audiences, surtout à l’ère des réseaux sociaux où chacun est appelé à prendre position très rapidement sans avoir eu accès à l’ensemble des informations. Il est nécessaire de voir comment fonctionne le système judiciaire français et constater comment une décision de justice est rendue, constater la sévérité des décisions rendues lorsqu’on critique le laxisme de la justice. Sur un plan plus émotionnel, je dirais de manière générale que les procès aux assises, qui viennent cristalliser sur l’avocat de la défense un certain nombre de sentiments négatifs, sont marquants. Lorsqu’on quitte la salle d’audience, on peut être pris à partie. Il faut garder à l’esprit que l’avocate/l’avocat vient uniquement porter la voix de celui ou celle que l’on accuse.
Référence : AJU010a2