Antoine Raimbault, ou l’éloge du doute

Publié le 31/01/2019

Passionné par le monde judiciaire, Antoine Raimbault signe un premier long métrage consacré au procès en appel de Jacques Viguier. Projeté en avant-première à la Maison du barreau, le 14 janvier dernier, Une intime conviction sortira en salle le 6 février prochain. Un éloge du doute qui a déjà conquis la profession.

Dans les murs de la Maison du barreau, habituée à recevoir de grands avocats parisiens, la coqueluche était ce soir-là un jeune quadragénaire au visage d’adolescent. Look de gendre idéal, pull en laine gris sur un jean sombre, parole aussi fluide qu’un diplômé de grandes écoles, Antoine Raimbault buvait du petit lait. Son film venait d’être projeté et acclamé par une salle comble. « La validation du milieu était capitale pour moi », expliquait-il quelques jours plus tard, en pleine promotion dans un hôtel de luxe à côté de l’avenue des Champs-Élysées. « J’avais à cœur de faire un film de procès digne de ce nom, rigoureux ».

Le moins qu’on puisse dire est qu’il a relevé le défi haut la main ! Son film, Une intime conviction, retrace l’affaire Viguier, un des procès d’assises les plus retentissants de ces dernières années, « un des plus grands fiascos judiciaires, surtout », selon les mots du réalisateur. C’est l’histoire de Jacques Viguier, professeur de droit à l’université de Toulouse, comparaissant devant la cour d’assises de Haute-Garonne en 2009, après que son épouse Suzanne a mystérieusement disparu. Acquitté, il sera de nouveau jugé un an plus tard, après appel du parquet, par la cour d’assises du Tarn.

De cette affaire non élucidée sans aveux, sans cadavre, ni preuve irréfutable, Antoine Rimbault tire un récit dense, rythmé, et superbement interprété. Pilier du scénario, une jeune femme interprétée par Marina Foïs, extérieure au milieu judiciaire, fascinée par l’affaire jusqu’à en perdre le cours de sa propre vie. Elle devient au culot l’assistante à la fois borderline et indispensable d’Éric Dupond-Moretti, écoutant pour lui les 246 heures d’écoute téléphonique qui lui permettront de faire vaciller la thèse de l’accusation. Son personnage est pourtant trouble. « Elle va devenir ce qu’elle pensait combattre. Elle se prend le mur de ses certitudes, et le spectateur avec elle. Son personnage permet de poser les questions fondamentales sur le fonctionnement de notre justice pénale », explique le réalisateur, qui rappelle que plus qu’une chronique judiciaire, il a voulu faire « un film sur le doute ». Hormis ce personnage romanesque, « tout est vrai », assure Raimbault. « Nous n’avons rien eu besoin d’inventer. Faire un film inspiré de, changer les noms, cela aurait pour moi été une transgression. Cette affaire est tellement extraordinaire qu’il fallait la raconter telle qu’elle s’était passée ».

C’est complètement par hasard qu’Antoine Raimbault commence à suivre ce procès hors-normes. Cinéphile au berceau, il dit rêver de faire des films depuis l’âge de 5 ans. Il grandit dans les Yvelines, entre un père professeur dans l’enseignement supérieur et une mère cadre dans le privé. Il fait un BTS audiovisuel « pour rassurer ses parents », débute une carrière d’autodidacte, apprenant sur le tas les différents métiers du septième art. « Comme tout le monde dans la famille était dans l’enseignement, j’ai pris le contrepied. Les études, c’était pas trop mon truc », confesse-t-il dans un sourire. Connaissant son intérêt pour les fins ouvertes, les avis multiples, les évidences qui se dérobent – un de ses amis, le réalisateur Karim Dridi – qui a croisé Jacques Viguier, lui conseille de faire le voyage à Toulouse. Raimbault prend d’abord le temps de lire tout ce qui existe sur l’affaire. « Tous les journalistes ne racontaient qu’une seule histoire : celle du crime parfait perpétré par un professeur de droit », se souvient-il. Les deux procès auxquels il assistera le convaincront de la nécessité d’en faire entendre une autre…

Tel le héros des Lettres persannes de Montesquieu, Antoine Raimbault débarque avec un œil neuf sur le banc du public de la cour d’assises, à Toulouse d’abord, à Albi ensuite. Néophyte dans un monde ultracodifié, il ne connaît la justice que par le cinéma. S’il affirme « avoir vu tous les films de procès », il n’en n’est pas renseigné pour autant. « Contrairement aux Américains, les réalisateurs français se sont peu intéressés à leur justice. En France, on ne fait pas de films d’enquête, pour une raison hyper simple : l’instruction est verrouillée à l’audience. La défense n’est pas du tout agissante à la recherche de la vérité. J’étais naïf, profane, mais très curieux de la manière dont fonctionnaient les assises ». Il se fond dans le public, prend des notes sur un petit carnet, sans savoir encore qu’il en tirera un scénario.

De néophyte, il devient l’un des meilleurs connaisseurs de l’affaire Viguier, à laquelle il a consacré neuf ans de sa vie. Il suit les deux procès, sympathise avec les enfants de Jacques et Suzanne Viguier, se fait leur émissaire auprès d’Éric Dupond-Moretti, qu’il va trouver à Paris pour lui demander de défendre Jacques Viguier en appel. Pour écrire le scénario, le jeune réalisateur mène un impressionnant travail d’archiviste : il scripte l’intégralité des audiences, recoupe ses notes avec celles des journalistes, interviewe des jurés pour connaître leur ressenti, écoute lui-même les interminables conversations téléphoniques de l’amant de Suzanne Viguier. « Ces écoutes téléphoniques et les interventions du procès ont été reproduits au mot près. Nous avons également reproduit les archives, les interviews des uns et des autres. Tout est sourcé et vérifiable », assure le jeune homme qui confie avoir « un rapport obsessionnel au réel ». Ce film très documenté n’est pourtant qu’un petit aperçu de ce qu’il connaît de l’affaire. « Je n’ai pas pu tout mettre », confirme-t-il.

Le réalisateur qui dit avoir voulu montrer « la justice au plus près », dénonce une instruction menée uniquement à charge, une enquête de police bâclée, et pire, manipulée par un amant prêt à tout pour faire condamner le mari de la femme disparue. Le résultat est un vibrant plaidoyer pour la présomption d’innocence, dont on comprend aisément qu’il ait conquis le cœur des pénalistes. Pour illustrer l’absurde de la justice, Antoine Raimbault mentionne, en interview, une situation vue à la cour. Alors que le matelas de Suzanne, jeté par Jacques Viguier, est au cœur des débats, le président rappelle que l’accusé a donné différentes explications pour justifier son geste. L’une d’entre elles fut de dire qu’il voulait acheter un matelas plus confortable à sa femme. « On a donc vu, sous l’impulsion de l’amant, défiler une dizaine de personnes venues dire à la barre à quel point le matelas était confortable, comme si cela allait prouver que Jacques Viguier avait tué sa femme. La cour d’assises fait feu de tout bois ». Concernant les assises, son intime conviction est vite faite. « J’ai eu l’impression d’être chez les fous », confie-t-il. Il en sort du premier procès avec une seule certitude : « Dans cette affaire, la justice n’avait pas fait son travail ».

Il dit qu’il ne croit pas à l’objectivité, assure qu’il y a « autant d’avis que de personnes qui se sont penchées sur ce dossier ». Honnête, il assume être de parti pris, lui qui, au fil des procès, s’est lié avec les enfants de l’accusé, convaincus de l’innocence de leur père. Il souligne cependant qu’il ne cherche « pas à prouver une innocence ». Le « Viguier » de mon film, j’ai voulu le rendre trouble et troublant d’opacité », précise-t-il. « C’est l’étranger de Camus, absent à lui-même et à son propre procès ». Dans cette affaire, assure-t-il, on peut imaginer beaucoup de choses, y compris que Suzanne Viguier soit partie. Son film est un éloge du doute, de l’inconnu, alors que, à rebours de ses principes, « la justice française condamne tous les jours au bénéfice du doute ».

Après ce film, il dit en avoir fini avec le monde judiciaire, s’apprête à repartir collecter des informations, « une étape fondamentale ». « On ne fait pas des films pour parler que de cinéma », dit celui qui s’intéresse à « plein de sujets sociétaux » et trimballe ses carnets de notes dans les centres de détention pour mineurs, sur le marché de Rungis, auprès des malades d’Alzheimer. On a pourtant du mal à croire qu’il décroche complètement. Des premiers retours, il se réjouit comme un gamin de voir que les questions portent sur le judiciaire. « On me demande par exemple si cela arrive souvent qu’on soit aux assises sans preuve, ou que le parquet fasse appel d’un acquittement d’un jury populaire ». Il ne peut s’empêcher d’espérer que son film fasse réfléchir à deux fois ceux qui prétendent connaître la vérité. « J’espère qu’on dira moins de conneries au café du commerce. Je ne me fais pas trop d’illusions mais le film porte ça »…

LPA 31 Jan. 2019, n° 142m9, p.3

Référence : LPA 31 Jan. 2019, n° 142m9, p.3

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