Après un été peu impacté par les JO, une rentrée assidue au TJ de Versailles
Président du tribunal judiciaire de Versailles depuis janvier 2021, Bertrand Menay aborde la rentrée de septembre avec confiance. Après un été finalement peu impacté par les Jeux olympiques, il a pour priorité de répondre au flux toujours très soutenus en matière pénale, sans oublier la justice civile. Rencontre.
Actu-Juridique : Vous avez une expérience de plus de vingt ans à la présidence de tribunaux judiciaires en France. Avez-vous noté des évolutions, ou des différences selon les territoires ?
Bertrand Menay : Cette expérience a commencé en janvier 2003 à Bar-le-Duc. Après une période d’interruption à la cour d’appel de Nancy, comme secrétaire général à la première présidence, j’ai rejoint le TJ d’Épinal, puis Paris, à l’inspection générale puis retour à la présidence de Meaux en 2017 pendant 4 ans avant Versailles en janvier 2021. Depuis novembre 2023, je préside aussi la conférence des présidents des tribunaux judiciaires. À chaque fois c’est une expérience nouvelle. Quelle que soit la taille, c’est une question de territoire. J’ai été très frappé de voir combien ce département est très riche au sens financier et en termes de diversité des activités (agricole, tertiaire, recherche), mais aussi à quel point il y a des endroits très défavorisés. C’est aussi une terre encore marquée et choquée par des actes de terrorisme (notamment l’assassinat de Samuel Paty). Quand on voit ces fractures assez marquées, cela nous questionne et nous guide. Il s’agit alors de nous imprégner du territoire pour comprendre ses forces et ses faiblesses, essayer d’établir un équilibre pour le justiciable avec les outils dont on dispose : fournir un effort tantôt aux affaires familiales, tantôt au pénal. Dans tous les cas, ce que je peux noter depuis vingt ans, c’est une très grande professionnalisation des chefs de juridiction dans la gestion (utilisation des crédits, ressources humaines, qualité de vie au travail, développement de l’accès au droit…) afin de ne laisser personne de côté et de rendre justice avec des délais et des stocks vivables.
AJ : Un événement unique dans votre carrière fut l’accueil des Jeux olympiques dans les Yvelines. Vous étiez très préparé. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Bertrand Menay : Le retentissement pour l’activité judiciaire a été limité. Étant donné la mobilisation des magistrats et fonctionnaires plus importante cet été, l’activité du tribunal a été normale. Ce qui a changé, c’est qu’on était présent à une période où traditionnellement on ne l’est pas.
AJ : Est-ce que cette expérience vous a fait voir une autre façon de gérer le tribunal durant l’été ?
Bertrand Menay : Des personnes ont pris leurs congés avant ou après l’été, sur des périodes plus courtes également, plutôt quinze jours que trois à quatre semaines. Cela restera exceptionnel. Quand on ne prend que 15 jours, on met plus de temps à couper et à se reposer.
AJ : Puis il y a eu la dissolution, et l’absence de gouvernement. Quels ont été les effets sur la justice ?
Bertrand Menay : Cette pause contrainte était plutôt la bienvenue. Nous sommes les premiers à dire : faisons des pauses dans le vote de lois nouvelles. Nous avons les lois de programmation de novembre 2023 qui se déclinent dans le temps petit à petit, avec des entrées en vigueur successives qui font que nous avons de quoi nous occuper avec les réformes déjà votées. Nous ne sommes pas en attente sur le fond du droit, mais nous avons un plan de recrutement de magistrats, de greffiers, et d’équipes autour du juge, dont la première phase se termine. Qu’en sera-t-il pour les années à venir ? Un nouveau gouvernement peut tout à fait le remettre en cause. Nous restons vigilants sur ce qui a été promis. Car le calcul est très simple, si nous sommes plus nombreux et si nous continuons d’améliorer notre organisation, nous pourrons juger plus d’affaires.
AJ : Avez-vous toujours le même sentiment face à la crise de vocation des juges civilistes, exprimé en début d’année, lors de l’audience solennelle ?
Bertrand Menay : C’est toujours un sujet d’attention et on espère endiguer cela. La justice ne se résume pas à la justice pénale, mais c’est aussi une justice de protection de la vie des gens. Parfois, malgré tous nos efforts pour trouver des solutions amiables, nos concitoyens ont besoin de juges. En attendant un recrutement plus important, nous avons mis en place de nouveaux dispositifs de médiation avec des systèmes très innovants depuis mai 2023. Les quinze juges qui ne font que du civil (hors affaires familiales et pôle social) font une sélection des dossiers qui peuvent passer en amiable, pour éviter des délais de jugement parfois un peu longs. Ensuite, les parties sont convoquées avec le juge et un médiateur. On explique l’intérêt de ne pas aller au procès mais de discuter. Quand on parvient à avoir les deux parties, on arrive à 80 % d’accords pour essayer. Ça se fait ensuite avec le médiateur sans le juge, et on a des taux de réussite très bons. La médiation permet de comprendre quel est le problème. Nous avons aussi deux à trois audiences de règlement amiable par mois. Là aussi ça marche très fort. C’est valorisant pour tout le monde. Ça nous laissera plus de temps, j’espère, pour juger le reste…
AJ : Le recours à l’immédiateté dans la justice a fait aussi son apparition depuis plusieurs années. Qu’en pensez-vous ? Est-ce une bonne chose ?
Bertrand Menay : La réponse rapide en matière pénale ne doit pas forcément être plus sévère. Elle permet parfois de mettre fin à une série de faits ou de mettre en place un suivi immédiat par un juge d’application des peines. Ce peut être un dernier avertissement avant une peine de prison. Il y a vingt ans, la règle était plutôt d’envoyer une convocation et d’avoir une audience plusieurs mois après. Dès lors que chacun a le temps de préparer le dossier pour le juge et pour la défense, avec la possibilité de renvoyer à deux mois, quatre mois pour permettre de faire valoir des arguments, la comparution immédiate est une bonne chose, oui. Pour peu que les dossiers soient complets, on peut avoir un débat. Si la personne estime qu’elle est jugée trop vite, elle peut demander un délai. C’est son droit. Nous avons aussi recours à des formes simplifiées comme l’ordonnance pénale. Ces modes de poursuite simplifiés sont de plus en plus utilisés. Chez nous, ce sont 4 000 à 5 000 décisions par an, pour des faits de conduite sans permis, par exemple. Un primo-délinquant a plus de chance d’être jugé par ce genre de forme que de passer à l’audience. On réserve l’audience pour celui dont le comportement nécessite qu’il y vienne.
AJ : À quoi s’attendre pour les prochains mois au TJ de Versailles ?
Bertrand Menay : Concernant les procès, l’affaire Leriche nous occupera plusieurs jours à l’automne. Ce qui nous préoccupe beaucoup avec la cour d’appel, ce sont les jugements d’affaires criminelles. Les efforts sont importants pour fournir plus d’audiences d’assises et de cours criminelles pour essayer de juger plus. Nous poursuivrons aussi nos efforts en matière civile et pour les modes amiables de règlement des différends.
Référence : AJU015i6