Association Trait d’Union : « Tous les confères gagneraient à se former aux MARD » !

Publié le 06/08/2024
Association Trait d’Union : « Tous les confères gagneraient à se former aux MARD » !
Summit Art Creations/AdobeStock

Née au printemps 2024, l’association Trait d’Union vise à promouvoir les modes alternatifs de règlements des différends (MARD), et en particulier le processus collaboratif. Elle est née de l’envie d’avocats formés à cette pratique de partager au plus grand nombre leurs connaissances et leur intérêt pour cette approche amiable. Au programme de l’association, aujourd’hui gérée par Valérie Martin, Cécile Cabana-Draut, Christine Bezard-Falgas et Mélanie Duverney-Pret, des rencontres informelles et des conférences thématiques avec des figures reconnues de ce domaine sont organisées. Rencontre.

Actu-Juridique : Comment est née votre rencontre avec les MARD ?

Valérie Martin : Nous sommes quelques avocats à nous être formées au processus collaboratif ces dernières années. Nous l’avons trouvé innovant, à tel point que c’en était presque perturbant pour les avocats que nous étions, qui avions appris à travailler sur des accords, à faire des concessions, à trouver une solution juridique aux problématiques posées par nos clients. Cette formation nous invitait à imaginer un accord entre parties qui ne serait pas uniquement dicté par la recherche d’une solution juridique. Il fallait réfléchir aux besoins fondamentaux et préoccupations de chacune des parties. Sans répondre à ces besoins, les accords, même s’ils sont valables, peuvent ne pas durer dans le temps. Cela implique de travailler différemment, d’abandonner l’idée de « bataille » et de ne pas chercher à avoir raison pour privilégier la recherche de solution.

Mélanie Duverney-Pret : C’est un changement de cadre total. Nous promouvons les MARD parce que nous constatons que pour nombre de clients, le passage devant un juge n’est pas satisfaisant. Les justiciables ont tout intérêt à trouver eux-mêmes leur solution, avec l’aide de leurs avocats. C’est aussi une satisfaction pour nous d’utiliser le processus collaboratif pour une solution amiable pérenne plutôt que d’engager une procédure judiciaire au délai parfois interminable et à l’issue incertaine.

AJ : Quels sont ces modes alternatifs de règlement amiables des différends que vous souhaitez promouvoir ?

Valérie Martin : Il existe différents types de mode alternatif de règlement des différends (MARD). Le processus collaboratif est une catégorie de MARD au même titre que la médiation ou la conciliation ou la procédure participative. Dans un processus collaboratif, les avocats restent au cœur du processus. Ils accompagnent le client en passant différentes étapes. Pour comparer sommairement avec la médiation, disons que les médiateurs sont des tiers extérieurs. Ils sont là notamment pour permettre de renouer ou de créer un lien. Des entretiens individuels peuvent avoir lieu avec chaque partie avant une réunion plénière d’échanges encadrés par le médiateur. Ils favorisent un dialogue mais ne proposent pas de solution, celle-ci doit émaner des participants à la mesure. Dans le cadre d’un processus collaboratif, nous travaillons à quatre : deux parties, chacune accompagnée de son avocat. L’élaboration de l’accord se fait par progression au cours de réunions. Les avocats préparent ces réunions avec leurs clients et le travail se fait lors de réunion à 4. Il y a un travail de reformulation en séance, nécessaire pour s’assurer que chacun dispose de toutes les informations au même moment. L’avocat participe activement à la recherche de l’accord en accompagnant son client tout au long du processus. C’est donc assez différent d’une médiation. Mais on peut mixer les MARD. Au cœur d’un processus collaboratif, on peut, par exemple, comprendre qu’il faut passer par un temps de médiation sur un sujet déterminé… Parfois, les personnes qui se séparent ne sont plus en capacité d’échanger et de s’écouter, le lien doit être renoué.

Mélanie Duverney-Pret : En substance, le processus collaboratif suppose de passer par différentes étapes. Il débute par une réunion au cours de laquelle chacun narre son histoire et accepte d’écouter le récit qu’en fait l’autre. Chaque partie, accompagnée de son avocat, fait ensuite la liste de ses besoins et préoccupations. Dans un 3e temps, les avocats procèdent à un examen objectif de la situation sur le plan juridique, financier, patrimonial et fiscal. Une 4e étape va permettre de réfléchir aux différentes alternatives en réponse à chacune des questions que pose le litige. Enfin, pour parvenir à une solution et en considération du travail effectué lors des précédentes réunions, une dernière étape permettra à chacun de proposer plusieurs offres pour résoudre le litige en veillant à répondre aux besoins et préoccupations exprimés par les deux parties. C’est ainsi qu’une solution globale peut être trouvée. Ce processus est innovant pour un avocat, car il dépasse les seules questions juridiques et fait place aux émotions et aux besoins fondamentaux, ce qui n’arrive jamais en droit. Et à partir du moment où on a posé une émotion, le cerveau est à nouveau disponible, et la personne peut à nouveau avancer. Parfois entre les objectifs voulus par la personne lors du premier rendez-vous et l’accord qui est finalement trouvé à quatre, les attentes ont beaucoup évolué. Le chemin a pu se faire ensemble vers une solution concertée.

AJ : Comment est née votre association ?

Valérie Martin : En 2017, nous avons créé un groupe de praticiens pour ne pas laisser le temps et l’habitude nous éloigner de cette nouvelle pratique du processus collaboratif à laquelle nous venions de nous former. Nous avons commencé à nous réunir régulièrement entre anciens participants, avocats et médiateurs. L’association est née au printemps 2024 dans le prolongement de ce groupe de pratique, avec l’idée et l’envie de faire connaître aux justiciables et à nos confrères et consœurs qui n’y sont pas encore sensibilisés cette façon de résoudre des conflits.

Mélanie Duverney-Pret : Nous sommes aujourd’hui une dizaine de membres à constituer l’association Trait d’Union. Certains membres sont formés au processus collaboratif, d’autres non. Être avocat n’est pas une condition d’entrée. Avec cette association, nous voulons fédérer au-delà du groupe de pratique et réunir différents types de professionnels : des avocats, des notaires, des médiateurs. Nous pensons que les modes amiables prendront leur essor par le biais d’une approche pluridisciplinaire. Notre but n’est pas de former au processus collaboratif mais de faire connaître l’existence de cette pratique pour résoudre les conflits différemment. L’idée est de multiplier les rencontres entre professionnels formés ou non au processus autour de petits-déjeuners thématiques conviviaux, de proposer des formations aux outils de communication tels que la communication non violente, la communication non verbale, la gestion des émotions. Ces formations sont nécessaires pour le processus collaboratif mais peuvent être utiles à tout confrère ou tout autre professionnel qui souhaite évoluer par rapport à sa pratique.

AJ : Quelles conditions faut-il réunir pour engager un processus collaboratif ?

Valérie Martin : Il faut surtout que les parties aient la volonté de s’entendre et de maintenir un lien. Ces conditions peuvent être réunies quelle que soit la nature du litige. Cette démarche se prête au droit de la famille, mais pas seulement. Elle peut faire sens dans le cadre d’un litige entre associés d’une même société si les parties ont la volonté de conserver des échanges professionnels, ou en cas de conflit de voisinage et également en droit du travail. Les parties prennent l’engagement de ne pas saisir le juge dans un premier temps. Cela permet de discuter en toute confiance, avec une confidentialité renforcée. Chaque processus nécessite la présence de deux avocats formés. D’où notre volonté d’élargir le cercle de professionnels qui maîtrisent cette approche. Les conditions sont simples et requièrent la volonté de travailler ensemble à une solution amiable.

Mélanie Duerney-Pret : Le processus collaboratif peut en effet se prêter à tous les litiges. La seule limite : qu’il n’y ait eu ni violence ni emprise dans la relation. Quand il y a une emprise, on ne peut plus faire partie d’une même équipe.

AJ : Hors ces situations de violence, le dialogue fonctionnerait-il mieux que le droit ?

Valérie Martin : Il nous arrive, dans le cadre de séparations, d’être mandaté par nos clients sur des demandes précises et chiffrées. Souvent, nous obtenons ce que souhaitaient nos clients, et nous observons qu’ils ne sont pas pour autant satisfaits. D’une certaine manière, cela signifie que l’on n’a pas réglé ce qui était important pour eux quand on se borne à apporter une solution juridique ou judiciaire. Lors de procès, il nous faut démontrer que la solution juridique que l’on propose est la bonne. C’est un exercice intéressant. Mais en matière de droit de la famille notamment, le droit ne fait pas tout. Il faut conserver des liens, des relations. Or souvent, lors d’un procès, les parties ont tendance à vouloir revenir sur beaucoup de choses, ce qui abîme les liens. En ce sens, la recherche d’une solution concertée est plus adaptée aux demandes des particuliers. Je suis convaincue que la réponse judiciaire est parfois loin d’être la bonne pour répondre aux besoins profonds de nos clients.

Mélanie Duverney-Pret : Le droit est un outil pour résoudre un problème à un moment donné. Mais ce n’est pas le seul. On ne peut pas trancher en droit toutes les situations. Dire cela n’est pas minorer l’intérêt du travail juridique. C’est simplement faire le constat que le droit n’est pas la solution à tout et qu’on peut lui ajouter d’autres outils. Tous les confrères gagneraient, je crois, à se former au MARD, et à faire ce petit pas de côté.

AJ : L’approche que vous décrivez semble emprunter beaucoup à la psychologie…

Valérie Martin : Un jour, une cliente qui se séparait m’a dit, à l’issue d’un processus collaboratif : « c’est mieux qu’une thérapie ! » Cela dit, nous n’avons pas les compétences d’un thérapeute et c’est une limite que nous ne devons pas franchir. Lorsque, dans un processus collaboratif, nous sentons un point de blocage qui ne relève plus de l’aspect juridique et nous dépasse, nous invitons nos clients à se faire aider différemment. En revanche, pour accompagner un client dans le cadre d’un processus collaboratif, il faut bien se connaître car c’est une condition pour mieux communiquer et accompagner. Nous nous sommes formés à des outils de communication : l’écoute active avec notamment l’approche du psychologue américain Carl Rogers, la communication non violente, le travail de reformulation. Les réunions de travail nécessaires au processus collaboratif demandent beaucoup à nos clients mais aussi à nous même. Nous devons être pleinement disponible pendant ces heures intenses, être capable de voir si le client est toujours engagé et en phase avec le processus, être capable de s’assurer qu’il a pu exprimer ce qui est important pour lui et qui a été évoqué en phase préparatoire.

AJ : Ces MARD dont on parle beaucoup depuis une dizaine d’années font-ils leur chemin dans le monde judiciaire ?

Mélanie Duverney-Pret : Je pense que oui, à la fois dans la communauté des professionnels du droit et dans l’esprit des législateurs. Depuis quelques mois, des audiences de règlements amiables se mettent en place, encadrées par des magistrats. Ce type d’audience a deux avantages : elles permettent de désengorger les tribunaux mais aussi que les justiciables soient leur propre vecteur de solution. Forcément, celle-ci est plus pérenne si les intéressés y ont participé. Ils prennent en main la suite de leur vie. Ils ne sont pas déresponsabilisés. Quand le juge tranche, c’est violent et ça peut tomber à côté. L’expression en elle-même le montre. De même que le terme de concessions, qui implique un renoncement. Là, les clients ne renoncent à rien, ils construisent l’après.

Valérie Martin : Le législateur s’est emparé des MARD, comprenant que si la solution était trouvée entre les parties, elle ne conduirait pas le tribunal à devoir trancher. Il y a aujourd’hui une volonté d’inviter les justiciables à être responsables et acteurs de la solution. Les avocats sont aussi invités à se saisir du calendrier de procédure lors d’un procès notamment par le recours à la procédure participative de mise en état. Dans une procédure classique, lorsque vous saisissez le tribunal, l’affaire va faire l’objet d’une succession d’audiences pour mettre en état le dossier avant qu’il soit plaidé. Ce temps judiciaire peut être long et dépend de l’encombrement des juridictions. Il existe des possibilités de résoudre un litige hors cadre judiciaire, c’est une possibilité offerte au justiciable qui peut décider d’avoir recours au processus collaboratif. Les personnes qui ont mis en place un tel processus en ont été satisfaits et nous ont faits d’excellents retours, mais cela reste encore trop confidentiel. Le jour où des clients viendront nous voir pour nous demander spontanément d’initier un processus collaboratif, la partie sera gagnée !

Plan