Essonne (91)

« Avec la commission d’office, on ne s’enrichit pas, c’est une philosophie de vie »

Publié le 23/09/2020

Avocate au barreau de l’Essonne (91) depuis 2011, Déborah Meier-Mimran a été appelée à suivre son premier cas de commission d’office en 2016. Suivie par les caméras de la réalisatrice Olivia Barlier pour sa docu-série Commises d’office, produite par France TV, elle avait contribué à faire connaître cet aspect du monde judiciaire au plus grand nombre, loin des idées reçues. Déborah Meier-Mimran revient sur cet épisode et sur son métier, empreints de sa volonté de garantir une défense pour tous.

Les Petites Affiches : Vous avez été filmée durant deux saisons pour le documentaire Commises d’office. Comment avez-vous été choisie ?

Déborah Meier-Mimran : Au départ, la réalisatrice s’intéressait aux secrétaires de la Conférence des avocats du barreau de Paris. Elle a finalement fait marche arrière et a réorienté son sujet sur les avocats de la commission d’office en banlieue. Le barreau de l’Essonne l’a renvoyée vers moi. Olivia Barlier a compris les enjeux très rapidement.

LPA : Était-ce compliqué d’être suivie par des caméras ?

D.M.-M. : Au début c’était difficile. Ce n’est pas notre métier. Mon client a tout de suite été d’accord, puisqu’il était anonyme et flouté. Au fur et à mesure, il n’y avait plus de gêne.

LPA : Quel impact ce documentaire a-t-il eu sur votre carrière ?

D.M.-M. : Nous avons reçu pas mal de critiques de la part de certains confrères en disant que notre profession ne devait pas être un spectacle. Nous avons aussi reçu beaucoup de critiques positives, notamment de confrères pénalistes. Quant à l’apport de clientèle, à l’époque je venais de m’installer et mon activité s’est développée mais je ne peux pas établir de corrélation certaine entre les deux. D’un point de vue personnel, j’ai réalisé que je pouvais être un peu rude parfois. Cela fait maintenant quatre ans depuis le premier tournage, j’ai beaucoup évolué. Je suis peut-être plus calme dans ma façon de gérer les gens.

LPA : Tout au long des épisodes, on prend conscience de votre engagement fort pour votre profession.

D.M.-M. : Je suis devenue avocate pour faire du pénal. L’Essonne est sinistré, c’est l’un des départements les plus pauvres. Lorsqu’on choisit d’être commise d’office, on le fait aussi par conviction : on le fait pour des gens qui ne peuvent pas se payer une défense. C’est vraiment une question de choix de vie. Je ne fais plus la différence entre les dossiers de la commission d’office et les autres. Je les traite de la même façon. Avec la commission d’office, on ne s’enrichit pas, c’est une philosophie de vie.

LPA : Pourquoi avoir choisi l’Essonne pour vous installer ?

D.M.-M. : Quand je suis sortie de l’école, je ne voulais pas aller à Paris. Selon moi, pour faire du pénal, je devais aller en banlieue. J’ai eu la chance d’être prise en charge assez tôt par deux pénalistes à Ivry. Ma mère est aussi avocate dans l’Essonne depuis 35 ans. Je suis arrivée en milieu assez conquis.

LPA : Le département a-t-il une spécificité particulière en matière pénale ?

D.M.-M. : L’Essonne est originale parce qu’on y retrouve des violences urbaines, des quartiers difficiles, mais aussi une zone rurale importante qui amène une délinquance particulière. Quand j’ai commencé, j’ai pu avoir des accidents de chasse, ce qui est assez improbable à côté de Paris. Nous avons également beaucoup de mœurs et de délinquance sexuelle.

LPA : L’état d’urgence sanitaire, suite à la pandémie de Covid-19, a-t-il impacté votre travail en commission d’office ?

D.M.-M. : L’activité a été très dure pour l’ensemble des confrères. J’ai dû totalement stopper mon activité même si j’ai assuré quelques urgences de remise en liberté les 15 premiers jours. J’ai deux enfants en bas âge donc je n’ai pas pu poursuivre. Ça a été compliqué aussi de la reprendre. Tout a été audiencé en même temps. Nous nous sommes retrouvés débordés par l’ensemble des dossiers. Les dernières semaines ont été vraiment difficiles.

LPA : Quelles étaient les difficultés ?

D.M.-M. : Nous nous sommes retrouvés sans masques pendant les gardes à vue. Les vitres au dépôt ont été mises très tardivement, après le déconfinement. Dès le 11 mai, nous avons repris totalement, j’avais des audiences dans tous les sens pour le juge des enfants. Toutes les procédures que j’ai traitées étaient mises en pause depuis janvier et février. Tout est retombé d’un coup.

LPA : Vous faites partie de la commission pénale et la commission mineur du conseil de l’Ordre du barreau de l’Essonne. Sur quoi travaillez-vous ?

D.M.-M. : La commission mineur est celle pour laquelle je suis le plus investie. Nous intervenons autant pour les mineurs victimes ou auteurs, au pénal comme au civil. C’est une commission intéressante parce que j’adore travailler avec les mineurs, les liens avec les magistrats sont autres. Nous réfléchissons à l’éducatif et pas seulement la répression. Nous avons un principe dans l’Essonne : nous intervenons dans la commission mineur, au titre de la commission d’office, quoi qu’il en soit. Les parents ne sont pas nos clients, nous avons un secret absolu même vis-à-vis des parents. C’est une décision qui appartient à l’enfant, ce qui garantit notre indépendance. Nous suivons aussi ce principe : un mineur, un avocat ; et non pas cinq procédures, cinq avocats.

LPA : Malgré une couverture médiatique importante, l’avocat commis d’office souffre encore d’un déficit d’image. Qu’y répondez-vous ?

D.M.-M. : À chaque fois, les gens estiment que c’est honteux d’être avocat commis d’office. Or il n’y a pas Éric Dupont-Moretti et les avocats commis d’office… Nous travaillons tous de la même façon. Nous ne sommes pas des avocats au rabais. Les gens ne comprennent pas que la commission d’office est faite pour eux. Nous sommes à un moment leur seul allié et leur rempart contre la machine judiciaire, surtout en sortie de garde à vue. Nous sommes quelqu’un qui ne jugera pas, qui sera là coûte que coûte, pour les aider à un instant très compliqué de leur vie. J’ai des consœurs qui essuient des « Je veux un vrai avocat, pas un commis d’office ». Ils vont préférer un homme qui n’est pas pénaliste, à une femme pénaliste. Or ce métier ne s’improvise pas.

LPA : Qu’attendez-vous comme changement pour votre métier ?

D.M.-M. : La commission d’office française est l’une des moins bien rémunérées d’Europe. L’unité de valeur est à 32 euros, ce qui est très peu par rapport au service que nous rendons à l’État. On peut être jeune, mais nous ne sommes pas débutants quand on arrive en permanence. Nous avons des formations importantes, et notre profil doit être validé par le bâtonnier. Nous le faisons par conviction mais j’estime que nous sommes payés de façon honteuse.

LPA : Le barreau de l’Essonne a été l’un des plus mobilisés pendant les grèves, de décembre à mars derniers. Doit-on s’attendre à une nouvelle mobilisation ?

D.M.-M. : La grève a été levée à cause du confinement. On se remobilisera mais là on est déjà tous au bord de la rupture financière…

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