Affaire Depardieu : la sanction de la défense ou le retour du délit d’audience ?

Publié le 19/05/2025 à 11h11

Le tribunal correctionnel de Paris a condamné le comédien Gérard Depardieu, le 13 mai dernier, à dix-huit mois de prison avec sursis pour agression sexuelle à l’encontre de deux femmes en 2021. Surtout, il a fait application de la « victimisation secondaire » pour condamner le prévenu à 1 000 euros de dommages et intérêts, à raison du « dénigrement objectivable » auquel se serait livré son avocat, Me Jérémie Assous, à l’encontre des victimes. Une décision inédite qui inquiète la profession d’avocat. Me Michèle Bauer y voit une résurgence du délit d’audience. 

Affaire Depardieu : la sanction de la défense ou le retour du délit d’audience ?
Tribunal judiciaire de Paris. (Photo : ©P. Cluzeau)

« Si les droits de la défense et la liberté de parole de l’avocat à l’audience sont des principes fondamentaux du procès pénal, il n’en demeure pas moins qu’ils ne sauraient légitimer des propos outranciers ou humiliant portant atteinte à la dignité des personnes ou visant à les intimider. En l’espèce, il résulte des débats que les parties civiles ont été confrontées à une défense des plus offensive fondée sur l’utilisation répétée de propos visant à les heurter et qui n’était manifestement pas nécessaire à l’exercice des droits de la défense. (…). Ce dénigrement objectivable, constitutif d’une victimisation secondaire ouvrant droit à réparation, renforce leur préjudice initial et doit en conséquence faire l’objet d’une indemnisation spécifique. »

(Extrait du résumé du Délibéré dans l’affaire de Gérard Depardieu communiqué à la presse)

Le jugement n’est pas encore connu dans son intégralité. Toutefois, cet extrait de la motivation qui a amené à la condamnation de Gérard Depardieu pour « victimisation secondaire » et pour les propos tenus par son conseil, mon confrère Jérémie Assous, interroge.

Les débats ont été d’une grande violence et les propos sexistes du conseil de la star déchue, tenus à l’égard de ses consœurs, rapportés dans la presse, mais aussi dans le résumé du délibéré, sont inacceptables.

Je fais partie des signataires de la Tribune du Monde dénonçant ce comportement sexiste et l’absence de réaction du Président du Tribunal Correctionnel dans le cadre de la police de l’audience, ainsi que le silence de nos institutions*.

J’ai été choquée par le comportement sexiste de notre confrère à l’égard de mes consœurs, tout comme je suis surprise et inquiète de cette motivation qui me semble dangereuse en ce qu’elle nous renvoie plus de 50 ans en arrière, au temps du délit d’audience.

En 1972, le serment de l’avocat était le suivant : « Je jure comme avocat, d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité, dans le respect des Tribunaux, des autorités publiques et des règles de mon Ordre, ainsi que de ne rien dire ni publier qui soit contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’État et à la paix publique ».

Il existait donc une restriction à la liberté d’expression des avocats.

Peut-on condamner le client pour le comportement de son avocat ? 

Un délit d’audience existait. Il était inscrit dans le décret du 9 juin 1972, article 108 : les fautes et manquements à l’audience par un avocat pouvaient être réprimés, séance tenante, par la juridiction qui disposait de sanctions telles que l’avertissement, le blâme, la suspension qui ne pouvait pas excéder trois années, ainsi qu’une radiation du tableau des avocats.

Ces délits d’audience étaient notamment réprimés dans le cadre de la défense des avocats devant les tribunaux des forces armées qui étaient chargés de connaître des infractions liées, par exemple, à la désertion, dès lors que les plaidoiries étaient orientées contre l’État.

La condamnation des propos tenus par mon confrère dans cette affaire m’a immédiatement fait penser au délit d’audience. Par son comportement dans le cadre de sa défense qualifiée d’offensive par le tribunal correctionnel, il aurait donc commis une sorte de délit d’audience.

Alors que dans les années 70, c’est l’avocat qui était sanctionné pour ce délit, car il existait un texte, dans l’affaire Depardieu, c’est le client qui est sanctionné à raison du comportement de son avocat par une condamnation plutôt dérisoire (1000 euros de dommages et intérêts).

Cela pose bien entendu une difficulté, celle de la responsabilité civile qui est définie à l’article 2 du Code de procédure pénale et qui est une responsabilité personnelle : seul le comportement de Gérard Depardieu peut être sanctionné par la juridiction.

On me répondra que la stratégie de défense a été décidée avec le client qui a approuvé cette violence dans les propos de mon confrère, sans doute est-ce le cas.

Toutefois, je suis juriste et non chroniqueuse sur les plateaux TV : condamner à des dommages et intérêts un client pour le comportement de son avocat n’est pas rigoureux juridiquement et cela est même contraire à la loi.

Une application discutable de la victimisation secondaire

Par ailleurs, il a été jugé que le préjudice était lié à une victimisation secondaire.

La victimisation secondaire peut être définie comme un préjudice complémentaire dont souffrent les victimes de violences sexuelles ou sexistes du fait de leur traitement par les juridictions.

Cette victimisation secondaire tient son origine de la convention d’Istanbul du 11 mai 2011, les États signataires (dont la France) se sont engagés par cette convention à prendre des mesures visant à l’éviter.

La CEDH a condamné la France, par un arrêt du 24 avril 2025 pour ne pas avoir respecté l’article 14 de la convention et avoir exposé une des requérantes à une victimisation secondaire.

C’est l’Etat qui a été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme pour le traitement déplorable de la justice du dossier de cette victime. La Cour relève ainsi « les défaillances des autorités nationales relatives tant au manque de diligence et de célérité de la procédure qu’aux modalités  d’évaluation de la réalité de son consentement ont non seulement privé la requérante d’une protection appropriée mais l’ont aussi exposée à subir une victimisation secondaire caractérisant également une discrimination. »

Ce préjudice de victimisation secondaire a été, me semble-t-il, utilisé à mauvais escient par le Tribunal correctionnel.

En effet, ce préjudice est essentiellement lié au traitement institutionnel, à la violence systémique de la justice et non aux propos des avocats lors d’un procès pénal, propos sexistes tenus en outre principalement à l’égard de ses Consœurs.

Ce qui est particulièrement surprenant dans cette motivation, c’est que le Tribunal correctionnel déplore la longueur de l’audience alors que c’est lui-même qui a décidé d’allonger les débats !

Un procès est souvent éprouvant

Par ailleurs, un procès est, par définition, un moment très désagréable pour tout client. Devant un conseil de prud’hommes, les salariés victimes de harcèlement moral ou sexuel souffrent à l’écoute de la plaidoirie de l’avocat de l’employeur qui parfois les traite de menteurs ou de menteuses comme l’a fait mon confrère Jérémie Assous à l’égard des parties civiles, c’est souvent éprouvant mais, pour autant, ces propos sont tenus dans le cadre d’un procès où il est nécessaire qu’un contradictoire soit assuré et que les arguments de la défense soient développés.

Lorsque les propos de l’avocat dépassent les limites et s’attaquent à la dignité d’une partie au procès ou encore à son conseil en tenant des propos insultants à son égard, le confrère qui se comporte de la sorte ne respecte pas son serment. L’obligation de  délicatesse  fait partie de nos obligations déontologiques.

Ce non-respect du serment doit être sanctionné non pas par la juridiction devant laquelle il plaide, mais par le conseil de discipline, car nous sommes une profession réglementée.

Il n’en demeure pas moins que le rôle de la juridiction n’est pas « neutre », tout d’abord, le Président dirige l’audience et veille à son bon ordre, comme le prévoient les articles 401 du Code de procédure pénale («  le président a la police et la direction des débats ») et 438 du Code de procédure civile.

Par ailleurs, le recueil des obligations déontologiques des magistrats dans la partie « L’attention à autrui et à la collectivité de travail », précise : « La liberté des parties et de leurs conseils de choisir un mode de défense trouve toutefois sa limite dans l’obligation qui incombe au magistrat de veiller, avec impartialité, au respect des personnes et à la dignité du débat judiciaire. »

Le tribunal aurait dû intervenir 

Ainsi peut-on considérer que le Tribunal correctionnel aurait dû intervenir pour arrêter le Confrère dans sa défense provocatrice et offensive, quitte à ce que cela lui soit reproché.

Le Bâtonnier aurait dû être saisi d’un incident, le Président aurait pu élever l’incident.

Tout cela n’a pas été fait et on dirait que le Tribunal se rattrape en condamnant Gérard Depardieu sur le fondement de la victimisation secondaire, faute d’avoir réagi  « à chaud ».

La motivation est évidemment extrêmement fragile et ce jugement a de forts risques (ou chances) d’être réformé en appel (car un appel a été interjeté). Ce n’était pas le « bon dossier » pour faire droit à ce préjudice de victimisation secondaire. S’il y a réformation en appel, il y a fort à parier que cette victimisation secondaire deviendra un préjudice que les juges examineront avec précaution.

Le mieux aurait été, après avoir obtenu une décision définitive, de saisir le Tribunal judiciaire pour faire condamner l’État pour dysfonctionnement de la justice et pour avoir maltraité  les victimes en mettant en place de nombreux jours d’audience et en ne faisant pas la police de l’audience.

Cette défense de rupture du conseil de Gérard Depardieu, que pratiquait Jacques Verges, et avant lui son probable inventeur, l’avocat communiste Marcel Willard, interroge légitimement.

Vergès l’a utilisé lors du procès Barbie dans un total irrespect des victimes, mais en arguant de son immunité de parole consacrée par l’article 41 de la loi de 1881.

Ce type de défense n’était pas très payante, il se dit que Vergès, qui était un confrère très médiatique et médiatisé n’obtenait pas de très bons résultats.

Le conseil de Gérard Depardieu n’a pas obtenu un bon résultat non plus. Son client  a été condamné à 18 mois d’emprisonnement avec sursis, ce que demandait le Procureur de la République. C’est sans aucun doute la conséquence de la stratégie de défense mise en place avec son client, qui consistait, notamment, à dénigrer les victimes et  leurs conseils.

Le Tribunal aurait dû se contenter de condamner le comportement de ce Confrère par un mauvais résultat et par des sommes importantes au titre de l’ article 475-1 du Code de procédure pénale (frais de procédure). Ainsi, aurait-on évité cette décision dangereuse et, à mon avis, isolée, qui porte atteinte aux droits de la défense et à la liberté de choisir une stratégie de défense, même mauvaise.

 

NDLR : Voir également la réponse de Jérémie Assous.

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