La foi du palais est-elle un conte de Noël ?

Publié le 21/03/2025 à 8h15

Lors du concours d’éloquence organisé jeudi au Tribunal judiciaire de Paris, le magistrat Fabrice Vert a remporté le Prix Taittinger pour sa plaidoirie en faveur de la foi du palais. Le jury était présidé par le sénateur Francis Szpiner. Nous publions son texte à l’occasion de la 2e édition de la journée magistrat-avocat qui se déroule ce vendredi. Son objectif est de renforcer le dialogue entre ces deux professions. Or, la foi du palais, qui consiste pour un avocat et un magistrat à échanger de manière non officielle et confidentielle dans une confiance réciproque, constitue l’un des fondements d’une relation harmonieuse entre les professionnels de la justice.

La foi du palais est-elle un conte de Noël ?
Palais de justice de Paris (Photo : ©AdbeStock/neiezhmakov)

Monsieur le président, Madame, Messieurs du tribunal

C’est un grand honneur pour moi de plaider aujourd’hui, en 2025, cette grande cause qui devrait nous est si chère à tous : je veux parler de la foi du Palais.

Un double honneur de plaider devant votre composition d’éminents juristes mais aussi de grands humanistes (Car à quoi sert-il d’être un grand juriste sans être un humaniste ?) .

Mais au-delà de votre noble aréopage, pour qui, j’en suis sûr, la cause est déjà entendue, il me revient de convaincre aussi ce public, venu si nombreux aujourd’hui pour ce procès historique, et qui représente le peuple  français au nom duquel la justice est rendue, de ce qu’il n’ y a justement pas de justice sans foi du palais.

Once upon a time la foi du palais. Il était une fois la foi du palais !

Certains fossoyeurs de nos belles professions d’avocats, de juges, de greffiers voudraient en faire une belle au bois dormant à jamais endormie, une sirène perdue au fin fond du Mississippi, un petit chaperon rouge mangé tout cru par le grand méchant loup  et,  pour couronner le tout, un conte de Noël.

Mais que peuvent y comprendre, ma foi, à la foi du palais, tous ceux qui sont biberonnés depuis des années aux réseaux sociaux, à Twitter, et autres X, qui confondent prétoire et TikTok, tribunal et Instagram, amicus curiae et  influenceurs ?

Non, il ne s’agit pas du foie de veau persillé que nous dégustons au comptoir des Deux Palais ni de la crise de foie qui guette après   une plaidoirie de rupture où la mauvaise foi côtoie le mensonge, ou l’argumentaire s’efface devant l’invective, le syllogisme devant le pharisianisme.

La foi du palais, c’est le ciment qui scelle, qui réunit, nos belles professions essentielles dans l’œuvre de justice.

La foi du palais, c’est ce qui donne corps aux principes de loyauté et de confraternité qui sont les matrices d’une justice humaniste.

C’est peut-être un journaliste, Jean-Philippe Deniau, qui en a donné la plus belle définition. La foi du palais, c’est un peu comme la parole d’honneur dans les cours de récré ou le « off » en journalisme.

Ce sont des conversations privées entre plusieurs avocats d’un même dossier, ou entre un avocat et un magistrat, des conversations pour lesquelles les uns et les autres s’engagent à ne pas en dévoiler le contenu.

La foi du palais, c’est ce qui reste entre auxiliaires de justice, c’est un espace de confiance, le lieu immatériel d’un dialogue franc, sans être connivent.

Comme le secret professionnel ou celui des correspondances entre avocats, elle fait partie de ces sas qui rendent la justice humaine en faisant d’elle une œuvre collective, non le produit d’un pugilat.

Ce ne sont ni des arrangements, ni des messes basses.

Monsieur le Président, Madame, Messieurs du tribunal, puis-je vous faire une confidence, sous la foi du palais bien sûr ?

Par quel mystère, suis-je tombé, un peu comme Obélix, dans la marmite de la foi du palais ?

Tout jeune juge, je suis nommé au tribunal de la Châtre, perdu au milieu de nulle part.

La mare au diable, la petite fadette, les étangs de la Brenne, ça vous parle ?

Me sentant un peu esseulé, dans cet immense palais qui menaçait ruine, j’attendais avec une certaine impatience les audiences du mercredi où venaient les 25 avocats de Châteauroux.

La bâtonnière, Catherine Vilatte, quand elle venait plaider, avait pour habitude avant l’audience d’aller au marché de la Châtre et d’y acheter son poisson.

C‘est tout naturellement et bien volontiers que je lui prêtais le frigo du tribunal pour que son poisson restât frais.

Après l’audience, quand elle venait le chercher, nous discutions de tout et de rien, sur les vicissitudes, les joies, les déconvenues, les problématiques de nos professions.

Je puis vous jurer, Monsieur le Président, Madame, Messieurs, que je n’ai jamais trahi sa recette d’extrait de foi de carpe qui huilait si bien les relations avocats, magistrats, greffiers.

Mesdames et Messieurs du tribunal, que veut-on comme justice pour demain ?

Tout l’enjeu est là et qui repose entre vos mains.

Veut-on une justice bunkerisée, déshumanisée, lyophilisée, aseptisée, enfermée dans un immeuble de 50 étages, avec vue directe sur le périphérique, badgé et grillagé, où les rares rencontres se font dans l’ascenseur et encore faut-il y avoir accès ?

Veut-on une justice virtuelle avec des hologrammes ou des robots   animés par l’intelligence artificielle qui remplaceront le juge et le greffier et qui rendront une justice algorithmique ?

Ou veut-on une justice humaine, où le dialogue, la confrontation d’idées, la déontologie, la confiance, la bonne foi présideront aux relations entre acteurs judiciaires dans un tribunal ouvert sur la cité

Une justice où, à côté de règles procédurales d’application stricte, de l’adage dura lex sed lex, on insuffle un peu d’humanité, on autorise   des   conversations informelles, en off, entre avocats, mais aussi entre avocats et magistrats, où l’on peut échanger sur des situations particulières, où l’équité aura toute sa  place.

Par deux fois, déjà, on tenta d’assassiner la foi du palais.

Une première fois, on essaya de faire un bouc émissaire du juge Renaud Van Ruymbeke, ce juge courageux et intrépide. Alors qu’il instruisait un scandale d’État, avec de nombreuses morts suspectes, son instruction était paralysée par le secret défense. Il décida, après moult hésitations de se rendre dans un cabinet d’avocat pour entendre en off, hors procès-verbal, un témoin censé apporter d’importantes révélations pour faire avancer l’enquête.

On osa, pour cela, poursuivre ce juge devant le Conseil supérieur de la magistrature qui heureusement, in fine ne prit pas de sanctions à son encontre.

Un deuxième coup de boutoir fut asséné à la foi du Palais par un avocat.

Dans une affaire qui défrayait la chronique, un président de cour d’assises décida d’inviter les avocats de cette affaire à une réunion informelle, confidentielle pour évoquer la tenue des débats avec l’ambition de rendre une meilleure justice.

Un des avocats de cette affaire, brisa la foi du palais en révélant publiquement le contenu de cette conversation pour obtenir le renvoi.

Cet avocat fit par ailleurs une brillante carrière politique et théâtrale (le droit peut mener à tout comme le disait un de mes professeurs alors que j’étais sur les bancs de la fac), le regrette-t-il ? Car devenu ministre de la Justice, il fut l’un des fervents promoteurs de la médiation qui repose sur des principes identiques à ceux de la foi du palais : confidentialité, bonne foi, équité

Monsieur le Président, Madame, Messieurs, pour vous convaincre définitivement permettez-moi d’en appeler à notre maitre à tous : maitre Henri Leclerc qui, justement prenant la défense du juge Renaud Van Ruymbeke, dit ceci sur la foi du palais «  c’est un secret partagé, qu’il ne faut pas confondre avec la complaisance. Elle est fondée sur une confiance dans la confidence qui est parfois nécessaire à la justice. Lorsqu’un avocat dit à un juge : « il y a quelque chose que mon client ne peut pas vous dire, mais qu’il faut que vous sachiez », c’est peut-être l’information nécessaire à la manifestation de la vérité ». Nous sommes tous embarqués, magistrats et avocats, greffiers sur le bateau — voire la galère ou le radeau — de la justice. Sur ce bateau, il faut que les juges puissent faire confiance aux avocats et les avocats aux juges.

Monsieur le Président, Madame, Messieurs, si vous deviez considérer que la foi du palais est un conte de Noël, permettez-moi, même à mon âge, alors qu’il vient de partir depuis quelques jours, de croire encore un peu au père Noël.

J’en ai terminé, Monsieur le Président, Madame, Messieurs.

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