L’honoraire de l’avocat, un tragique malentendu ?

Publié le 30/04/2025 à 11h03

L’avocat et l’argent… Une relation si difficile que Me Jean-Pierre Maisonnas n’hésite pas à qualifier l’honoraire de « tragique malentendu » dans le titre de son très savant ouvrage sur le sujet, paru chez Legi-Tech* au début de cette année. L’auteur est remonté jusqu’à l’Antiquité pour mettre en lumière l’évolution de la rémunération de l’avocat au fil de l’histoire et les difficultés qu’elle n’a jamais cessé de soulever. Son objectif ? Que l’honoraire cesse enfin d’être considéré comme « importun ».  Rencontre. 

Honoraire – 1

Actu-Juridique : Pourquoi qualifier l’honoraire de l’avocat de « tragique malentendu »

Jean-Pierre Maisonnas : Le malentendu consiste en une incompréhension mutuelle. La tragédie relate, de manière générale, une histoire qui finit mal. Or, les honoraires présentent deux zones de mésentente : leur montant et leur fondement. D’une part, les honoraires ne seront jamais assez élevés pour l’avocat et toujours trop pour son client. Comment trouver un équilibre entre ces intérêts réciproques ? Voilà déjà une gageure. Mais, d’autre part, la France, torturée par son socialisme rampant et une histoire prégnante n’oublie pas que la justice constitue une dette du Prince parce qu’elle découle d’un droit naturel. Comme Robespierre le soutenait, pourquoi payer ce qui devrait – comme l’air – être gratuit ? De cette double confrontation (le malentendu) naissent des conflits (la tragédie).

Actu-Juridique : Que signifie le mot honoraire ? Est-ce la même chose que rémunérer ?

JPM. : Le problème sémantique provient de l’idée de base. Les Romains craignaient que l’avocat quittât son piédestal glorieux en réclamant de l’argent. Il acceptait le « don spontané » qui honorait le récipiendaire. On détestait l’éventualité d’un avocat « mercenaire » (du mot « prix ») payé avec un salaire (la part de sel consentie au légionnaire). Le Moyen Âge catholique a volontiers adopté ce point de vue. Les édiles des XVIIIe au XXe siècles ont prorogé le principe qui satisfaisait leur auto-proclamation de pureté, même s’ils se faisaient payer (aussi grassement que possible). Il a fallu attendre le 3e tiers du XXe siècle pour que toute différence disparût : l’honoraire désormais rémunère l’avocat.

Actu-Juridique : L’avocat a-t-il toujours été payé ?

JPM. : Bien entendu, l’avocat a toujours été payé malgré les interdictions ponctuelles (par exemple à Rome par intermittence depuis 249 avant J.-C., défense d’un ennemi au sortir de la 2e guerre mondiale). La raison tient à l’économie. Si l’avocat veut consacrer son temps (et son talent) à défendre il doit précisément pouvoir en vivre. C’est pourquoi, selon les époques, la charité privée (avocat des pauvres – gratuité pour la veuve, l’orphelin ou le prêtre) ou collective (aide juridictionnelle) ont permis l’accès à la justice pour tous, y compris ceux qui n’en avaient pas les moyens. Une autre question est celle de la rémunération de cette aide. Elle voisine l’obole en France (aussi en Italie ou en Espagne) tandis que les contrées plus protestantes adoptent une politique nettement plus favorable à l’avocat (Allemagne, Suisse). Pourquoi, sous couvert d’un État-providence, serait-ce finalement à l’avocat de supporter cette charge ? La difficulté provient alors des conditions d’éligibilité à cette aide.

Actu-Juridique : On a le sentiment que la rémunération de l’avocat ne cesse jamais de poser question tout au long de l’histoire : plafonnement, interdictions diverses et variées…Pourquoi ?

JPM : Bien sûr. Ce sont les abus qui ont contraint les législateurs de tout temps (CINCIUS en 249 avant J.-C., JUSTINIEN en 530 avant J.-C., les monarchies puis jusqu’à la loi de 1971) à prendre des mesures coercitives. La répétition de ces textes en démontre la vanité. Par abus, entendons ce qui brise l’équilibre minimal auquel j’ai fait référence.

Actu-Juridique : Quand l’avocat en France a-t-il commencé à être rémunéré comme  il l’est aujourd’hui ?

JPM : Sans doute faut-il remonter à la création des juridictions royales en 1297. S’est instauré un principe de non-exagération (le règlement intérieur de l’Ordre des avocats de Luxembourg évoque les « normes raisonnables »). La loi du 31 décembre 1971 a mis les mots du Digeste de Justinien sur les critères d’une fixation ordinaire (toute l’Europe utilise ces critères). Une difficulté naît aujourd’hui de l’insupportable massification du nombre d’avocats depuis les années 1990 qui, par son appauvrissement subséquent, suscite des attitudes discutables. Les autorités disciplinaires ne peuvent sanctionner que le « sommet de l’iceberg ».

Actu-Juridique : L’honoraire reste une question sensible aujourd’hui, la convention d’honoraires est-elle une solution au difficile rapport à l’argent de l’avocat ?  

JPM : En réalité, les grandes entreprises n’ont pas ce problème. Outre qu’elles négocient, elles savent en permanence mesurer la plus-value offerte par leur avocat. La convention relève de la forme. Elle assure une pseudo-transparence. Sur le fond subsiste la vraie question : quel est l’apport effectif de l’avocat ? La Cour de cassation de Luxembourg distingue les heures dites « de routine » de celles liées à l’imagination, au talent, au savoir du conseil. À cet égard, il est à craindre que l’IA ne génère encore plus de contentieux. Quand, en effet, la machine cesse-t-elle de répondre pour laisser la place à l’ingéniosité ? Quant à la convention, elle n’a guère atteint son but pourtant louable. Son contrôle relève de l’administration, ce qui rompt le lien congénital avec la justice. Mais, qui pis est, elle croule sous les attaques des juridictions. La CJUE n’a-t-elle pas dit que l’indication d’un taux horaire ne suffisait pas ? La Cour de cassation française ne manque pas d’arguments pour mettre à néant ou réduire ces conventions, notamment de résultat. Les conventions proposées s’étalent sur de très nombreuses pages alors qu’une seule suffirait. Là où devrait régner la clarté, chacun a donc apporté son lot d’obscurité. Si l’avocat est un commerçant, il doit bénéficier d’un droit de rétention, de l’injonction de payer, de l’interdiction de succéder à un confrère non payé (ou garanti), à l’exécution provisoire de droit etc. Cette situation médiane crée des sujétions inutiles pour les avocats et une incertitude peu stimulante.

 

 *Jean-Pierre Maisonnas, L’honoraire de l’avocat, ce tragique malentendu – Legi-Tech 2025.

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