Sandrine Beressi : « J’ai envie que ce barreau soit reconnu pour d’autres domaines que le pénal »

Publié le 13/05/2025

Succédant à Stéphanie Chabauty, Sandrine Beressi, la nouvelle bâtonnière de l’ordre des avocats du Barreau de Seine-Saint-Denis pour 2025-2026, revient sur l’importance de son ancrage local, les ambitions qu’elle porte pour son barreau et les difficultés vécues au quotidien par les avocats du département. Rencontre.

Actu-Juridique : Dites-nous un mot de votre parcours et de votre ancrage local en Seine-Saint-Denis ?

Sandrine Beressi : Ce territoire, je le connais bien. J’ai fait tout une partie de mes études de droit à l’université Paris 8 Saint-Denis de ma première année à ma licence puis, comme Paris 8 n’avait pas d’IEJ à l’époque, je suis allée à Nanterre pour effectuer ma maîtrise et avoir accès à l’IEJ qui préparait à l’examen d’entrée de l’école de formation du barreau. Après avoir exercé dans la musique, j’ai repris mes études de droit à 25 ans et j’ai choisi de revenir à Paris 8, alors que je vivais déjà en Seine-Saint-Denis. D’ailleurs, c’est aussi une histoire familiale : mon père a travaillé dans le département pendant 40 ans comme médecin ; il s’était engagé à offrir une médecine de proximité et de qualité. J’ai donc toujours été témoin de son engagement politique dans ce territoire. Il se trouve que l’un de mes professeurs à Paris 8 était également avocat. Pendant toute mon année de licence et en maîtrise, j’ai fait mes stages auprès de lui, à Bagnolet. Je commençais à creuser mon sillon avec l’idée de rester dans le département. Puis, à l’école d’avocat, j’ai réalisé mon stage en juridiction au TGI (à l’époque) de Bobigny. Cela a achevé de me convaincre de rester en Seine-Saint-Denis. Si j’avais pris l’option droit international, j’aurais rejoint le barreau de Paris, mais au fur et à mesure de mes études je m’en suis écartée pour m’orienter sur le droit des particuliers. À mes yeux, la Seine-Saint-Denis était le lieu où les personnes avaient besoin de défense, d’intervention : un territoire paupérisé dans lequel il fallait s’engager. J’ai prêté serment en 1995. Cela va faire 30 ans et je n’ai jamais envisagé d’aller ailleurs.

AJ : Que dire de ce département en termes de vie quotidienne pour les avocats ?

Sandrine Beressi : Disons que l’engagement fait tenir le cap ! Il est vrai que c’est un département qui pose de nombreuses difficultés. Pour les habitants, c’est un territoire paupérisé. À part deux ou trois communes plus aisées, globalement ils ne sont pas dans la tranche des revenus supérieurs. Beaucoup ne survivent – je dis bien survivent – que grâce aux aides de l’État. L’accès au travail est doublement compliqué : l’offre des entreprises reste limitée et les entreprises sont en difficulté. Un cercle vicieux s’instaure. La mixité sociale se traduit aussi par beaucoup de discriminations, dans l’accès à l’emploi, le logement, l’école… Corrélativement en découlent aussi de nombreuses initiatives. C’est un département qui a les qualités de ses défauts ! Tout ce qui génère du manque, de la discrimination entraîne en réaction des initiatives qui essaient de rétablir l’équilibre. Il s’agit d’initiatives privées, venant d’associations, de bénévoles, des avocats, mais aussi publiques, notamment les acteurs sociaux, qui travaillent beaucoup avec des moyens limités. Les justiciables qui viennent dans nos cabinets sont majoritairement des personnes éligibles à l’aide juridictionnelle. J’estime qu’il y a des domaines sur lesquels je peux la refuser et d’autres non : cela fait partie de mon engagement que de permettre à des gens qui n’ont pas les moyens d’avoir l’avocat de leur choix d’accéder quand même à une défense de qualité. Il y a des thématiques aux besoins criants, notamment le logement. Ces populations peuvent s’avérer difficiles pour les avocats, mais cela se comprend : il y a chez elles une telle crainte de ne pas se voir traiter avec égalité que cela entraîne parfois une surenchère de demandes. Elles ne savent pas par quel bout prendre un dossier, nous devons les aiguiller, les accompagner davantage que pour des personnes qui ont un bagage juridique ou les moyens sociaux d’avoir accès à certaines informations. Parfois, ces clients parlent le français, mais ne savent pas le lire ou l’écrire car ils sont locuteurs d’une autre langue, d’un autre alphabet. Ce rôle d’accompagnement social n’est pas évident, mais nous n’avons pas le choix, car si nous ne le faisons pas, qui va le faire ?

AJ : Vous êtes parfois un phare dans la nuit ?

Sandrine Beressi : Oui ! Ces personnes ont beaucoup d’attentes, qui sont parfois irréalisables, qui sortent complètement de notre champ de compétence. Il y a un travail pédagogique à faire, la nécessité d’expliquer les limites de notre mission. Pour l’avocat, il existe toujours une charge liée aux relations avec les clients, mais elle me semble plus importante dans les départements où l’accès au droit est plus compliqué. Cela pèse sur le quotidien de l’avocat, sur sa charge de travail, sa responsabilité, sa fatigue, son stress.

AJ : Justement, votre barreau cherche à s’engager davantage sur les questions de souffrance au travail. De quelle manière ?

Sandrine Beressi : Quand un avocat est en difficulté, il peut tout d’abord s’en ouvrir à son bâtonnier, l’appeler, lui écrire et lui dire s’il n’y arrive plus, si avec tel client, c’est trop compliqué. Cette relation est importante et je suis aussi là pour cela. La deuxième chose encouragée par le barreau, ce sont des séances d’analyse de la pratique à l’aide d’une psychologue ou d’une coach formée. L’idée est que les avocats puissent se retrouver entre eux et parler des difficultés qu’ils rencontrent, qu’il s’agisse d’un dossier, d’un client difficile et aussi apprendre la bonne manière de réagir face à une agression. En effet, par le spectre du fait divers, on constate que les avocats sont de plus en plus victimes d’infractions, de menaces, de chantage, de violences à leurs cabinets. Et c’est un phénomène qui s’amplifie, car l’avocat est vecteur de toutes les frustrations que peut rencontrer une personne. Je rappelle volontiers aux magistrats que si nous n’étions pas là, vous vivriez un enfer ! Nous expliquons en effet ce qu’est la justice aux justiciables, pourquoi ce temps judiciaire est si long, pourquoi tel dossier a été jugé ainsi. Nous faisons l’interface. Il est plus facile de blâmer l’avocat car c’est celui que l’on a sous la main. Ce dispositif, mis en place par ma prédécesseure, est donc maintenu. J’étudie aussi les possibilités d’aller un peu plus loin, de manière que le bien-être de l’avocat soit véritablement pris en compte. Nous menons actuellement une réflexion autour du burn-out, de la souffrance au travail. Il faut trouver une solution pour que cela soit débattu en respectant la confidentialité des situations.

AJ : Quid du stress ?

Sandrine Beressi : L’avocat a une triple journée en réalité : il va en audience, il reçoit ses clients et il travaille ses dossiers au fond. Ses journées sont donc longues, il court d’un tribunal à l’autre, sans avoir le temps de manger. C’est toute une écologie de la santé qui en souffre. Par ailleurs, la charge mentale est énorme, sans compter que beaucoup de mesures relatives aux réformes en droit civil ou pénal sont mises en application par les avocats, qui sont les premiers à la manœuvre. Je ne connais pas un avocat qui ne se réveille pas la nuit en se demandant s’il a bien fait ceci dans tel dossier ou s’il n’a pas oublié de conclure dans un autre dossier. Et même s’il est très ordonné, très méthodique, ce quotidien est dur. Je n’ai pas de honte de dire qu’être avocat, ce n’est pas un métier de privilégié.

AJ : Est-il important de le rappeler ?

Sandrine Beressi : Oui, mais les clients ne l’entendent pas vraiment et, s’ils l’entendent, cela a tendance à discréditer l’image de l’avocat. Nous permettons l’accès au droit à certaines personnes – que ce soit par l’aide juridictionnelle ou des honoraires adaptés à leur situation financière – mais il reste toujours à l’esprit du justiciable que si un avocat n’est pas cher, c’est qu’il est moins bon. C’est malheureusement encore l’image qui colle aux avocats commis d’office, par exemple.

AJ : Sur la santé, les conditions de travail, quel autre sujet vous semble important ?

Sandrine Beressi : Cela faisait partie de mes engagements : j’aimerais mettre en place plus de solidarité quand les avocats sont malades, créer une chaîne solidaire, pour une audience, un dossier ou une démarche, et l’institutionnaliser. Aussi, sur la question du handicap, nous avons dans notre barreau des avocats souffrant de handicaps visibles ou invisibles, qui sont les plus difficiles à prendre en considération. Nous réfléchissons donc à faciliter leur quotidien, leur accès à la juridiction, pour que leur situation soit prise en compte sans qu’ils soient stigmatisés.

AJ : Sentez-vous un climat défavorable aux avocats, à l’instar des questions posées par la proposition de loi narcotrafic qui a beaucoup fait réagir la profession ?

Sandrine Beressi : La loi narcotrafic présente des dangers en termes de droits de la défense, donc des dangers démocratiques, ce que masque totalement l’argument tiré de l’efficacité. Cette loi fait croire que le remède au trafic de stupéfiants viendrait uniquement de la procédure dont, par exemple, ce « dossier-coffre » qui empêcherait de savoir quelles méthodes d’enquête sont ou ont été employées. Par ce biais, on fait peser sur l’avocat une accusation sous-jacente, alors que clairement, le problème du narcotrafic aujourd’hui dépend d’une question de moyens, ceux donnés aux enquêteurs et aux services de police. Avec cette loi, on insinue que, si les trafiquants ne sont pas arrêtés, c’est que leurs avocats leur communiquent des informations… C’est vraiment scandaleux. Et lorsque le garde des Sceaux a débuté son mandat en disant que les avocats embolisaient la justice pénale, je précise : nous ne rendons pas les décisions ! Le sentiment est que l’on nous en demande toujours plus sans la reconnaissance qui devrait aller avec. Le barreau et toute la profession sont quand même un peu agités… Heureusement à Bobigny, le dialogue avec la juridiction est bon et important. Nous essayons de pallier les manques de postes de juges et de procureurs.

AJ : Comment aimeriez-vous voir évoluer ce barreau ?

Sandrine Beressi : En Seine-Saint-Denis, il y a bien entendu le pénal de proximité, le droit des étrangers, qui assez classiquement attirent les avocats. Mais certains pans du droit restent trop confidentiels et je voudrais les voir évoluer. Nous venons juste de créer une commission discriminations, avec deux volets : l’un tourné vers les justiciables qui en souffrent, l’autre vers les discriminations subies par les avocats. Parmi elles, le handicap, la racisation des personnes et, dans une moindre mesure, les discriminations liées au genre, sur fond d’intersectionnalité. Jusqu’à présent cela n’existait pas. Les avocats qui vont piloter la commission vont pouvoir proposer des formations, travailler sur ces thématiques, mener des actions collectives mais aussi individuelles au quotidien, pour améliorer l’accessibilité au logement, la scolarisation (pour les enfants en situation de handicap), etc. La question du handicap est transversale. Il est aussi question d’institutionnaliser la défense des consommateurs, au quotidien. En tant qu’avocate, je me rends beaucoup dans des tribunaux de proximité. Je constate alors que, la plupart du temps, dès qu’il s’agit de crédits à la consommation, de ventes affectées, etc., les justiciables ne pensent pas à prendre un avocat. Je souhaite ainsi que le barreau se saisisse du droit de la consommation. On voit toujours ce barreau comme un barreau militant sur le droit pénal, et c’est vrai qu’il est à la pointe – il a été le premier à créer les permanences pénales –, mais il y a tout l’accès au droit derrière. Nous comptons des avocats compétents, y compris en ce qui concerne les entreprises qui, pour une part, vont chercher des avocats parisiens. Mais nous sommes là et nous savons faire ! J’aimerais que le barreau soit aussi connu pour ce qu’il fait en matière civile et dans des domaines où l’on ne l’attend pas forcément, comme le droit des entreprises, accompagner des artisans, les TPE dans leurs contentieux quotidiens (contraintes, cotisations, TVA, etc.)

Enfin, même si je suis une fervente partisane de l’amiable – je suis médiatrice depuis 2006, j’ai cofondé Médiation Barreau 93 – je crois qu’il ne faut que l’amiable soit un mode de déstockage des dossiers ; certains dossiers ou situations ne s’y prêtent pas. La déjudiciarisation, cela peut être une opportunité, mais il faut éviter le dévoiement de l’amiable en l’utilisant comme un instrument de la privatisation de la justice.

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