Benoît Santoire : « Commissaire de justice, c’est une identité et une modernité nouvelles »

Publié le 29/01/2024

Dix-huit mois après la fusion des professions d’huissiers de justice et de commissaires-priseurs judiciaires, la nouvelle profession des commissaires de justice continue de se réinventer. Le nouveau nom de « commissaire de justice » est à la fois une contrainte et une chance, explique Benoît Santoire, président de la Chambre nationale des commissaires de justice qui espère profiter de cette refondation pour débarrasser la profession des clichés qui lui sont associés et créer de nouvelles vocations. Entretien.

Actu-Juridique : Où en est le rapprochement des « anciennes » professions d’huissiers et de commissaires-priseurs ? Que reste-t-il à faire ?

Benoît Santoire : En prenant mes fonctions le 1er juillet 2022, j’ai constaté que nos deux « anciennes » professions se regardaient mais ne se comprenaient pas encore ! Un certain nombre de textes prévoyant les conditions du rapprochement étaient publiés mais il manquait une culture commune, les conditions d’émergence d’une identité non seulement partagée mais surtout intégrée. Avec le Bureau national, une de nos priorités a donc consisté à rassurer ceux qui devaient l’être, à apaiser ce qui pouvait crisper et surtout à insuffler un véritable élan collectif. Nous avons travaillé à l’élaboration de nombreux textes qui posent justement l’absence de différenciation entre anciennes professions : déontologie, discipline, conformité, comptabilité, répertoire des actes, outils numériques, inspections, tarifs… Je me réjouis que se mettent ainsi en place les conditions d’une transformation acceptée donc mieux vécue et qui prépare l’avenir car, je le rappelle, la fusion sera complète en 2026 quand tout professionnel devra avoir acquis les compétences des deux anciennes professions pour exercer. Des rapprochements de structures existent déjà sur le terrain. Et la première promotion de diplômés de l’INCJ entièrement labellisée « commissaire de justice », sortie en 2023, est également un symbole fort que je veux saluer.

Actu-Juridique : Quel est le profil des commissaires de justice ? La profession d’origine influe-t-elle sur la manière d’exercer ?

Benoît Santoire : La profession d’origine n’a pas d’autres conséquences sur la façon d’exercer que de devoir s’adapter à des cadres nouveaux. Je pense, par exemple, à la phase d’apprentissage, si je puis dire, par les anciens commissaires-priseurs judiciaires des outils qui étaient propres aux anciens huissiers de justice comme le système de péréquation interne aux frais de transport qui assure une égalité entre professionnels quel que soit leur lieu d’exercice, le système assurantiel très différent ou l’ensemble des outils numériques utilisés dans nos procédures de voies d’exécution.

Le commissaire de justice est aujourd’hui un professionnel du droit très bien formé. L’âge moyen est de 45 ans. On relève une féminisation du métier avec une proportion de 43 % de femmes commissaires de justice, salariées comprises, et un taux qui atteint 70 % chez les nouveaux diplômés. J’ai d’ailleurs souhaité dès le début de mon mandat qu’un travail particulier soit fait pour favoriser la parité, l’égalité femmes-hommes et plus généralement l’effectivité de droits sociaux et familiaux (congé maternité et parental, remplacement pour maladie…). Nous avons en outre commencé la création d’une plateforme commune de réflexion sur ces sujets avec les autres professions : officiers publics et ministériels du droit (notaires, greffiers des tribunaux de commerce, avocats aux conseils).

Actu-Juridique : Sont-ils identifiés par les professionnels du droit, les pouvoirs publics et les justiciables ?

Benoît Santoire : Nos deux anciennes professions, ancrées dans le paysage juridique depuis des siècles, étaient parfaitement identifiées par tous, y compris au prix de clichés éculés d’ailleurs. Le nom de « commissaire de justice » est donc à la fois une contrainte et une chance. Une contrainte dès lors qu’il nous faut nous faire connaître et expliquer qui nous sommes et ce que nous faisons. Une chance, a fortiori, car nous avons une occasion unique de renforcer la reconnaissance de la réalité de nos métiers, de les dépoussiérer et de les défaire de certains préjugés. Commissaire de justice, c’est une identité et une modernité nouvelles. Nous sommes ainsi de mieux en mieux identifiés par tous nos partenaires et par le grand public. Nous avons également mené un important travail de communication qui va encore s’amplifier. Nous avons par exemple investi des terrains sur lesquels nos anciennes professions ne s’aventuraient guère, celui des réseaux sociaux à destination des jeunes. Nous menons aussi des campagnes de communication plus institutionnelles auprès des justiciables en général ou de façon plus ciblée, auprès des entreprises, pour rappeler que le commissaire de justice est là pour accompagner leur développement ou les protéger par le constat ou les inventaires. Quant aux pouvoirs publics, je crois pouvoir dire que nous sommes non seulement identifiés mais aussi reconnus comme des interlocuteurs de confiance. Je me réjouis du travail mené avec notre ministère de tutelle ou encore avec le Parlement, qui nous a permis, par exemple, d’aboutir à une réforme équilibrée de la procédure de saisie des rémunérations que le Conseil constitutionnel a intégralement validée.

Actu-Juridique : Quel était l’objectif du congrès qui s’est tenu en décembre ?

Benoît Santoire : Précisément à mettre en lumière le rôle social méconnu mais fondamental des commissaires de justice. Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Morreti, était présent pour clôturer ce Congrès comme il l’a fait l’année dernière mais il est intéressant de souligner que la ministre des Solidarités et des Familles, de l’époque, Aurore Bergé, a également ouvert notre congrès, ce qui était une grande première pour un membre du gouvernement en charge des sujets sociaux.

Notre objectif était de démontrer que nous constituons, par notre statut et nos missions, un amortisseur social incontournable, ce dont certains de mes confrères et consœurs n’ont pas toujours conscience. Le commissaire de justice est ainsi le seul professionnel du droit présent quotidiennement sur le terrain, au contact direct du justiciable et en se rendant à son domicile. Nous sommes des observateurs de premier plan des réalités sociales et des fractures de la société. La loi Kasbarian (L. n° 2023-668 du 27 juillet 2023) nous attribue par exemple la mission d’établir un rapport socio-économique sur la situation du locataire défaillant en vue de permettre un accompagnement social personnalisé et efficace et de tout faire pour éviter une expulsion. N’oublions pas non plus que ce rôle social se traduit concrètement par la résolution amiable de litiges lorsque nous trouvons une solution négociée à un impayé, ou encore par l’accompagnement d’un débiteur en grande difficulté vers une solution qui lui rend une perspective d’avenir en fixant un cadre financier pérenne. Oui, le commissaire de justice est aussi un véritable facilitateur au service des pouvoirs publics.

Actu-Juridique : Quelles sont les perspectives de la profession pour 2024 ? Quelles seront les priorités de la CNCJ ?

Benoît Santoire : L’année 2024 sera une année charnière après une année 2023 de mise en place de la nouvelle profession. J’ai souhaité que l’accent soit mis sur la formation car nous souffrons malheureusement d’un déficit d’attractivité auquel je ne peux me résoudre. Nous avons donc signé des conventions avec des universités pour mieux faire connaître notre métier. Nous développons également des actions de tutorat à destination des étudiants, pour les accompagner au plus tôt dans leur parcours universitaire, les aider et leur faire découvrir la richesse d’un métier qui est tout sauf routinier. Nous allons également accélérer en matière de modernisation de la formation initiale et continue. La nouvelle école de formation de nos salariés, l’EFSCO, est en train de prendre son envol. L’offre de formations continues est en train de s’élargir et je souhaite mettre l’accent sur la diversification du recrutement des élèves de l’INCJ.

Le numérique demeure bien sûr un autre axe fort de notre développement, au moment où l’intelligence artificielle prend une place croissante dans l’exercice des professions juridiques. Nous utilisons quotidiennement des plateformes métiers pour exercer nos missions et je souhaite que notre profession soit une force de proposition incontournable auprès de la Chancellerie comme nous l’avons par exemple été en matière de signification pénale dématérialisée.

Sur un plan plus institutionnel, je souhaite aussi que la CNCJ poursuive le travail de mise en conformité amorcé pour la profession comme dans son organisation depuis le début de mon mandat. La légitimité d’un officier public et ministériel est indissociable de son exemplarité comme de sa confraternité. C’est pourquoi, ont été initiées des réformes de nos inspections comptables et de notre déontologie en lien avec les présidents de chambres régionales. Nous allons en mesurer les premiers résultats cette année.

Actu-Juridique : Votre profession traverse une grave crise économique. Pour quelles raisons ?

Benoît Santoire : La crise Covid-19 a été catastrophique pour la profession. L’activité s’est totalement arrêtée et n’a repris que difficilement. En 2023, la profession n’avait toujours pas retrouvé son niveau de chiffre d’affaires antérieur à la pandémie avec une perte en résultats de plus de 300 millions d’euros. Le niveau d’endettement, quant à lui, dépasse les 600 millions d’euros. Ces chiffres sont considérables et ont conduit de nombreux confrères et consœurs dans des situations financières personnelles très compliquées pour lesquelles nous continuons de les accompagner. Cette crise conjoncturelle et séculaire s’est combinée aux obligations de transformation découlant de la création de la nouvelle profession avec des mises à niveau comptables, informatiques, en termes de formation, mais aussi de structurations capitalistiques. Autant de coûts nouveaux qui alourdissent le processus d’évolution.

Actu-Juridique : Quelles solutions pourraient être apportées ?

Benoît Santoire : Face à ce constat, les solutions sont multiples mais je pense évidemment que l’évolution à la hausse de nos tarifs serait un signe très encourageant de la part des pouvoirs publics. Pour mémoire, nos tarifs n’ont pas évolué depuis 2007 alors que dans le même temps le niveau d’inflation a été de 32 % et que le périmètre de nos monopoles s’est réduit. Nous plaidons donc pour une revalorisation raisonnée mais significative, en lien avec l’évolution de nos missions dans le cadre fixé par la loi. Ce qui n’empêche pas, parallèlement, de continuer à développer une offre de services qualitative et toujours adaptée aux besoins nouveaux, comme avec le constat par drone.

Actu-Juridique : Quelles nouvelles activités pourraient être dévolues aux commissaires de justice ?

Benoît Santoire : À côté des évolutions tarifaires, nous travaillons à développer les missions confiées à la profession pour étendre l’activité. Je défends ainsi auprès de la Chancellerie, de Bercy et du ministère du Logement l’idée d’autoriser les commissaires de justice à exercer l’activité d’entremise immobilière, dans le prolongement de l’activité accessoire d’administration d’immeuble qui existe déjà. D’autres professions réglementées du droit l’exercent déjà et il n’existe pas de raison objective de nous le refuser étant entendu que nous ne risquons pas de déséquilibrer le marché pour les professionnels en place mais au contraire d’introduire davantage de concurrence. L’année 2024 sera aussi consacrée à l’élaboration des mesures d’application de la réforme de la saisie des rémunérations qui entrera en vigueur au plus tard le 1er juillet 2025. Parmi les autres sujets en cours, je citerai également la simplification de la procédure d’injonction de payer, la réforme de la gestion des comptes de tutelle, le développement de l’amiable puisque notre profession fait partie des ambassadeurs de l’amiable désignés par le garde des Sceaux. Nous défendons par ailleurs l’idée d’un recouvrement simplifié des petites créances, en matière civile ou commerciale, en confiant au commissaire de justice une procédure recueillant l’accord des parties et accélérant le paiement de la somme en jeu. L’enjeu est ici de proposer un outil de lutte contre les retards de paiement ou les impayés et de réinjecter des fonds dans l’économie.

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