Benoît Santoire : « Les commissaires de justice peuvent garantir la sécurité juridique des élus locaux »

Publié le 09/01/2025

Les commissaires de justice se sont réunis le 12 décembre 2024 à Paris pour leur troisième congrès national. La principale thématique abordée lors de cet événement annuel : les relations de la profession avec les collectivités locales. Grâce aux commissaires de justice, les élus locaux peuvent obtenir une garantie juridique par rapport à leurs actions quotidiennes vis-à-vis de leurs administrés. Une activité qui n’est pas encore pleinement développée. Par ailleurs, cette profession, née en 2022 de la fusion entre les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires, poursuit sa transformation à travers plusieurs synergies. Un basculement soutenu par la nouvelle génération de professionnels tournée définitivement vers l’unique profession de commissaire de justice. Benoît Santoire, président de la Chambre nationale des commissaires de justice, s’est confié à Actu-Juridique sur ces différents enjeux.

Actu-Juridique : Quels étaient les enjeux de la troisième édition du Congrès national des commissaires de justice ?

Benoît Santoire : La proximité et les relations entre les commissaires de justice et les collectivités territoriales sont au cœur de cette troisième édition de notre Congrès national. En tant que président de la Chambre nationale des commissaires de justice, je suis très attaché à la défense du maillage territorial. Nous sommes des juristes de proximité qui travaillons assez régulièrement avec les institutions décentralisées. À travers ce congrès, nous souhaitions montrer le lien qui unit les commissaires de justice aux collectivités en présentant notamment un ouvrage. En effet, durant plusieurs mois, nous avons travaillé sur un livre intitulé : « Les commissaires de justice au service du droit public ». Nous avons rédigé 250 fiches pratiques à destination des élus locaux pour aider notamment les maires et les présidents d’intercommunalité dans leur quotidien. J’ai rencontré David Lisnard, président de l’Association des maires de France, qui est enthousiaste sur ce projet. Il sera d’ailleurs décliné à travers « Le Journal des maires » et grâce aux différentes associations locales des maires de France.

AJ : De quelles manières les commissaires de justice peuvent-ils travailler avec les collectivités locales ?

Benoît Santoire : L’objectif est d’expliquer la manière dont le commissaire de justice peut accompagner les élus locaux dans leur quotidien. Nous pouvons notamment les conseiller sur la police de l’eau, sur la signification de certains actes administratifs, sur les élections, sur le constat ou l’inventaire, sur le recouvrement ou encore sur la gestion en urgence d’une commande publique. Il y a de nombreux sujets du quotidien sur lesquels nous sommes utiles pour les maires. Quand la responsabilité des décideurs publics est de plus en plus mise en cause, il est important de garantir leur sécurité juridique. C’est un impératif rendu possible à travers la présence des 3 800 confrères répartis sur le territoire et présents notamment en zone rurale. Ensuite, nous avons aussi développé la gestion du patrimoine immobilier des communes. Depuis la loi du 20 décembre 2014 et son décret d’application de 2015, les collectivités sont en droit de confier la gestion de leur patrimoine immobilier à un organisme privé. Par rapport à cette évolution, nous accompagnons les collectivités pour rédiger un bail, constater l’état des lieux d’entrée et de sortie, vérifier la solvabilité d’un locataire ou encore procéder à l’encaissement des loyers.

AJ : Quelle est la situation actuelle concernant le travail des commissaires de justice avec les élus locaux ?

Benoît Santoire : Nous avons déjà des relations de travail avec les élus locaux. Mais ces relations sont encore sous-développées. Il y a un véritable questionnement de la part des élus par rapport à leur sécurité juridique et à la manière dont ils doivent l’appréhender. C’est une difficulté dans leur quotidien. Il y a un véritable sentiment d’appréhension vis-à-vis du droit et de la légalité de leurs actions. Le système juridique administratif est complexe. Le maillage territorial des commissaires de justice permet de faciliter aux maires l’accès à notre expertise. La demande est de plus en plus importante. Par exemple, au sein de mon office de taille moyenne composé d’une dizaine de professionnels, j’ai deux personnes qui travaillent à temps complet auprès des collectivités depuis 2019. À l’heure actuelle, chaque commissaire de justice est en capacité de développer cette activité dans son propre territoire.

AJ : Comment pouvez-vous rassurer les élus locaux qui subissent de plus en plus de défiance vis-à-vis des concitoyens ?

Benoît Santoire : Mon office est situé dans une zone semi-rurale dans le département de la Meuse. Un territoire sur lequel il est difficile d’avoir accès à certains professionnels comme les médecins, des spécialistes médicaux ou d’autres professions libérales au-delà de la santé. Grâce à notre maillage territorial, les commissaires de justice sont les derniers juristes en zone rurale qui peuvent accompagner les élus locaux qui ont besoin de cette aide juridique et qui peuvent se sentir moins seuls lorsqu’ils font face à une certaine défiance. Par ailleurs, par rapport aux concitoyens des zones rurales qui peuvent avoir un sentiment d’exclusion, nous proposons avec mes deux associés au sein de notre office des consultations gratuites. Tout au long de la semaine, nous recevons du public pour transmettre des informations juridiques gratuitement. Notre volonté est d’aider toute personne qui en fait la demande et qui pousse la porte de l’office.

AJ : Deux ans après la création de la profession de commissaire de justice suite à la fusion de deux professions existantes, les huissiers et les commissaires-priseurs judiciaires, quel bilan dressez-vous de cette profonde transformation ?

Benoît Santoire : Un travail très important a été fait par rapport à la défiance qui a pu exister suite à cette transformation. Quand je suis arrivé, nous avons ramené de la confiance entre ces deux professions et les pouvoirs publics. Dans la composition de mon bureau, il y a trois anciens commissaires-priseurs judiciaires. Cette confiance nous a permis de faire avancer un grand nombre de sujets propres aux deux anciennes professions avec la direction des affaires civiles et du Sceau. Nous avons notamment mis en place une déontologie et une discipline commune au commissaire de justice à partir des anciennes professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire. Il nous reste maintenant à mettre en place les réformes comptables au-delà des inspections qui seront propres à toutes les professions du droit à partir de 2025. Les ex-commissaires-priseurs judiciaires et ex-huissiers de justice devront avoir le même niveau sur le plan comptable notamment par rapport au logiciel métier.

AJ : L’Institut national de formation des commissaires de justice (INCJ) a diplômé les premiers commissaires de justice en 2023. De quelle manière ces nouveaux professionnels vont aider à l’aboutissement de la réforme ?

Benoît Santoire : Il y a encore beaucoup de travail à faire au niveau de la synergie entre les deux anciennes professions. Cependant, les jeunes ne se posent pas les mêmes questions par rapport aux professionnels de ma génération. Les nouveaux professionnels souhaitent juste exercer toutes les missions du commissaire de justice. Il n’y a aucune difficulté pour eux car ils sont ouverts à toutes les activités. C’est un véritable levier sur lequel il faut s’appuyer pour changer les mentalités. Effectivement, ma génération ou la précédente sont encore ancrées dans les anciennes professions. Nous devons faire évoluer les mentalités à travers les synergies. Elles arrivent progressivement sur le terrain à travers des associations d’anciens commissaires-priseurs judiciaires et huissiers de justice au sein d’un même office. Sur un total de 2 000 offices en France, elles sont moins d’une dizaine à avoir ce type d’association. Il n’y a pas encore suffisamment de regroupements de ce genre. Mais il y a aussi des synergies possibles en matière de tutelle par exemple. Nous avons un sujet important par rapport à la vérification des comptes des majeurs protégés, effectuée auparavant par les huissiers de justice, ou les inventaires réalisés par les commissaires-priseurs judiciaires. Il y a ici aussi un enjeu sur la synergie.

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