Benoît Santoire, président de la CNCJ : « Après la défiance est venu le temps de la confiance » !

Publié le 19/01/2023

Le 8 et le 9 décembre derniers avait lieu le premier congrès des commissaires de justice, six mois après la naissance officielle de cette nouvelle profession. Relations avec les autres professions du droit, nouveaux outils juridiques et ambitions pour l’avenir, Benoît Santoire, président de la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ) évoque les enjeux multiples de son mandat. Entretien.

Actu-Juridique : Au lendemain de ce premier congrès, quel bilan en dressez-vous ?

Benoît Santoire : J’ai eu beaucoup de retours positifs. L’objectif de ce congrès était de restaurer la confiance, tant avec les pouvoirs publics que dans la profession ou entre professionnels. Cela fait plus de deux ans que nous n’avions pas pu nous retrouver à cause du Covid. C’est d’autant plus nécessaire de bâtir sur la confiance au moment d’accueillir la naissance d’une nouvelle profession qui réunit les anciens huissiers et commissaires-priseurs judiciaires.

Cette confiance est au cœur des missions du bureau national de la Chambre nationale des commissaires de justice qui doit œuvrer pour un rapprochement – pas forcément voulu par les uns et les autres initialement. Dans notre bureau, nous comptons 3 commissaires-priseurs judiciaires et 8 huissiers de justice, à l’image de la profession, composée de 3 300 huissiers et 400 commissaires-priseurs judiciaires. Dans notre bureau, au niveau national, la concorde fonctionne. Il faut maintenant que cette fluidité influe dans les cours d’appel. Cela prendra peut-être un peu de temps mais je vois déjà les synergies qui commencent à se créer entre professionnels.

Actu-Juridique : À quoi voyez-vous ces synergies ?

Benoît Santoire : Je les vois quand j’apprends que des professionnels d’un même territoire comprennent l’intérêt de travailler ensemble et veulent constituer une société d’exercice libéral à plusieurs, en constatant que les uns peuvent réaliser des constats et d’autres des ventes. Il est notable d’ailleurs que les étudiants actuels – dont d’ailleurs beaucoup d’étudiantes – de la première promotion de 2023 (qui sortiront diplômés au printemps) ne se perçoivent que comme commissaires de justice ! Ils ne se posent même pas la question de la fusion des deux anciennes professions. L’une de mes missions est d’arriver à faire en sorte que les professionnels comme moi, de 50 ans ou plus, au milieu du guet, puissent se projeter aussi. C’est la raison pour laquelle lors du congrès, j’ai invité l’amiral Loïc Finaz. Un marin, c’est brut de décoffrage et terre-à-terre ! Pendant 40 minutes, il a parlé de l’esprit d’équipage. Exactement ce dont on a besoin…

Actu-Juridique : Cela faisait du bien de parler de complémentarité, de solidarité, surtout après les tensions du début…

Benoît Santoire : Cette nouvelle profession est née de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, portée par le ministre de l’Économie d’alors, Emmanuel Macron. Les mandataires judiciaires devaient initialement nous rejoindre, mais ont finalement été sortis du projet. S’il y a eu des incompréhensions, c’est que les commissaires-priseurs judiciaires ont eu le sentiment d’une fusion-absorption, ce que je peux comprendre, puisqu’ils étaient numériquement minoritaires. Je crois que dans les premiers temps, l’on n’a pas su leur donner des gages de confiance suffisants. Nous n’avons pas été à la hauteur. Aujourd’hui, j’essaie de montrer que les commissaires-priseurs judiciaires sont les bienvenus, que nous avons une vraie volonté de les recevoir. C’est peut-être symbolique, mais j’ai proposé à Agnès Carlier, la première vice-présidente de la CNCJ (et commissaire-priseur de formation, NDLR) le plus beau bureau. Elle en avait les larmes aux yeux. Le message était de dire : « Vous êtes ici chez vous ! ». Je souhaite une transparence totale sur tous les sujets, qu’ils concernent les huissiers ou les commissaires-priseurs. Mais je prône aussi l’exemplarité et le dialogue. C’est de cette manière que l’on peut avancer sur les sujets.

Nous venons par exemple de signer le premier bloc de la convention collective de la profession alors que nous étions à l’arrêt sur cette question. C’est un pas important. De la même façon, nous avons réussi à trouver un modèle économique sur l’assurantiel, afin de faire également cotiser les commissaires-priseurs.

Nous avons commencé dans la défiance, aujourd’hui, la dynamique est à l’opposé. À ce titre, la formation, d’ores et déjà très suivie (elle sera indispensable pour continuer à exercer au-delà du 31 décembre 2025, NDLR) illustre ce mouvement de synthèse.

Actu-Juridique : L’une de vos préoccupations est la paupérisation des commissaires de justice que vous constatez au quotidien. En quoi cela est-il une réalité ?

Benoît Santoire : Actuellement, 500 confrères sont en grandes difficultés à cause de la non-reprise de l’activité. Cette proportion est considérable par rapport aux 3 700 de la profession. Contrairement à ce que l’on croit, notre activité se base sur l’activité économique de la société. La fermeture des tribunaux, le Covid, l’arrêt du recouvrement de l’Urssaf, du RSI… nous ont donc beaucoup fragilisé. Ces difficultés concernent en premier lieu les jeunes, les moins de 35 ans, qui sont en plein remboursement de leur charge. On constate une baisse du chiffre d’affaires de 15 à 20 %, et des bénéfices jusqu’à 40 % ! Je discute régulièrement avec des confrères ou consœurs qui ne paient plus leurs prêts depuis plus de 6 mois… Parmi ces 500, 298 vivent même avec le RSA. Nous avons d’ailleurs ouvert, en partenariat avec l’APESA, une cellule de soutien psychologique car la situation est inédite. J’espère organiser un congrès l’année prochaine sur le rebond…

Cette paupérisation est la raison pour laquelle, lors du congrès, j’ai martelé au garde des Sceaux la nécessité de revaloriser les tarifs, qui ne l’ont pas été depuis 50 ans pour l’aide juridictionnelle et depuis 20 ans pour le pénal. Quand je constate qu’un acte pénal m’est payé que 4,50 € alors qu’une lettre recommandée en coûte 5,50 €, ce n’est plus acceptable !

Heureusement, l’aide juridictionnelle a été revalorisée – même si pas autant que nous l’aurions souhaité – et l’on travaille actuellement à la revalorisation du tarif pénal. Nous voudrions juste vivre dignement de notre métier.

Autre sujet sur lequel nous travaillons : la saisie des rémunérations, pour laquelle nous sommes obligés de retourner devant le tribunal. Afin de « déjudiciariser » la procédure et de ne pas monopoliser les greffes des juridictions, déjà surchargés de travail, nous aimerions que la saisie des salaires soit facilitée. Cela devrait d’ailleurs être inscrit dans le projet loi justice 2023.

Actu-Juridique : Que mettez-vous en place, à titre individuel ou en tant que président pour juguler la crise ?

Benoît Santoire : De mon côté, j’ai payé ma charge pendant 15 ans donc je n’ai pas été concerné par le remboursement d’un prêt. Mais avec mes associés, nous avons dû baisser violemment notre rémunération. D’autres ont éventuellement eu recours à un prêt garanti par l’État (PGE). J’ai dû aussi me séparer de mon clerc significateur car il n’y avait plus de travail pour lui. Mais quand un commissaire a un remboursement d’emprunt, il faut bien gagner quelque chose tous les mois.

En tant que président de la CNCJ j’ai décidé de diminuer mon indemnité présidentielle de 35 %. J’ai également vendu l’appartement de fonction du président. Cela a plus de sens d’avoir un 2 pièces qu’un 250 m² ! Au niveau du bureau national, nous avons réalisé des économies depuis 6 mois, en réattribuant des dépenses que je jugeais inutiles sur des besoins identifiés, comme concrétiser des embauches pour accompagner mon service juridique : nous recevons 800 questions par mois et avons besoin de personnel pour y répondre.

Étant donné les conditions actuelles, je suis aussi en discussion avec la Cavom qui possède de grosses réserves financières – plus d’un milliard d’euros – afin d’aider l’ensemble de la profession, soit par une remise de chèques, soit par l’abandon des cotisations. Cela aurait été possible en 2020 avec la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 : les chirurgiens-dentistes avaient ainsi pu bénéficier de 5 000 €.

Actu-Juridique : Est-ce tabou de dire que l’on rencontre des difficultés quand on est commissaire de justice ?

Benoît Santoire : Pendant longtemps, nous n’arrivions pas à remonter 100 % des données économiques de la profession. Que cela cachait-il ? Aujourd’hui, après avoir travaillé d’arrache-pied pour les obtenir, nous avons compris que ces 30 % recouvraient, non pas des situations stables mais des situations dramatiques, un mal-être, des difficultés passées sous les radars, tues par pudeur.

Actu-Juridique : Mais avez-vous aussi des raisons d’être optimiste ?

Benoît Santoire : Oui, tout d’abord, pour les synergies que j’ai évoquées. Et puis, on part d’une page blanche. Cela doit nous permettre de restaurer l’image publique de notre profession grâce à trois points : l’expertise en inventaires, prisées et ventes ; la sécurité juridique de nos actes et la force probante de nos constats. Ce dernier point se développe énormément, notamment sur la transition écologique. Déchetteries sauvages, pollution des rivières… Dans la Meuse où j’exerce, près de Verdun, je suis de plus en plus sollicité pour constater des dégâts causés par des débardages qui détruisent, par le passage de chenilles, des chemins forestiers.

Sur les destructions environnementales, qui sont un sujet très actuel, nos outils aussi évoluent, comme c’est le cas avec l’utilisation de drones. La formation permet d’aborder les points techniques mais aussi pratiques (comment faire voler un drone, dans quelles conditions, avec quelle réglementation…). Derrière, il y a aussi la question du constat immersif à 360°, méthode innovante et efficace pour réaliser des constats et montrer à un magistrat, comme s’il y était, des dégâts. Parfois même de nombreuses photos ou des vidéos ne sont pas assez probantes.

Actu-Juridique : Et sur le constat de conformité locative aussi, la profession a sa carte à jouer ?

Benoît Santoire : En effet. En France, il existe 3 millions de logements qui ne sont pas loués. Les propriétaires ressentent une vraie inquiétude en matière de normes, de diagnostic… Sur la conformité locative, nous pouvons confirmer aux propriétaires si oui ou non leur logement est aux normes, et si non, indiquer que faire pour y remédier.

Mais c’est aussi un outil pour les locataires : s’ils constatent que les fenêtres laissent passer l’air, ils peuvent appeler un commissaire de justice. Dans un contexte de crise énergétique (chauffage, gaz, électricité), la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, qui interdira dès 2025 la location de certains logements au mauvais diagnostic (F ou G) inquiète les propriétaires, tandis que dans certaines villes – c’est le cas à Verdun -, les municipalités font passer leurs services et instaurent des permis de louer.

Par ailleurs, nous avons créé un pôle activités accessoires d’administration d’immeubles à la Chambre nationale, car environ 1/4 de notre profession exerce l’activité de gestion d’immeuble et ils sont de plus en plus nombreux. Ce pôle permettra de les accompagner juridiquement.

Actu-Juridique : Vous parliez de votre image. Pensez-vous que vous n’êtes pas assez identifiés ?

Benoît Santoire : Commissaire de police, de justice… Les gens n’ont pas encore tout compris. D’où la nécessité de mieux communiquer, y compris sur les réseaux sociaux… Et faire comprendre l’importance de notre proximité pour les justiciables.

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