Campagne de recrutement des greffiers : un pansement sur une hémorragie ?

Publié le 25/06/2024
Campagne de recrutement des greffiers : un pansement sur une hémorragie ?
Freedomz/AdobeStock

Une vaste campagne de recrutement des greffiers a été lancée par le ministère de la Justice au printemps. Des efforts invisibles pour des juridictions sous l’eau, comme à Bobigny où la situation est catastrophique.

« Le greffier a un rôle majeur dans le fonctionnement de la justice. Technicien de la procédure, il enregistre les affaires, prévient les parties des échéances importantes, effectue des recherches juridiques, prend note du déroulement des débats, rédige les procès-verbaux et met en forme les décisions. Spécialiste de la procédure, le greffier est garant de l’authenticité des actes juridictionnels. Il est aussi chargé de renseigner, d’orienter et d’accompagner les usagers dans l’accomplissement des formalités ou procédures judiciaires ». Si ce poste vous intéresse, vous avez jusqu’au 15 juillet pour vous inscrire au concours d’octobre, dans le cadre du « plan massif » de recrutement du ministère de la Justice. Une vague de 400 greffiers est attendue pour remplir dès 2025 les places vides dans les salles d’audience et les bureaux des juges.

Dans son communiqué de presse, le ministère multiplie les arguments pour attirer le chaland. Formation rémunérée, évolution de carrière et visibilité sur les salaires… des arguments qui feraient presque oublier que 2023 fut marquée par un mouvement des greffiers sans précédent avec des opérations Justice morte, des manifestations qui avaient abouti à la signature le 26 octobre 2023 d’un protocole d’accord sur la revalorisation des métiers de greffe entre le garde des Sceaux et trois des quatre organisations syndicales représentatives des fonctionnaires des juridictions (l’Unsa Services Judiciaires, la CFDT Interco et FO Justice). Dans le cadre du plan massif de recrutement, qui permettra à l’horizon 2027 d’embaucher 1 500 magistrats (dont 150 seront répartis ultérieurement en fonction de différents facteurs, des retours du terrain et des priorités de politique publique) et 1 800 greffiers (dont 300 seront également répartis ultérieurement), dont fait partie ce concours, le ministère a mis les bouchées doubles en lançant une plateforme conversationnelle pour « découvrir les métiers de la justice », pour aller au-devant des inquiétudes des candidats. Le 7 juin dernier, un live chat a été consacré au métier de greffier : six professionnels ont répondu aux questions des internautes.

« On est très très loin du compte »

Sur le papier, cette campagne devrait rassurer les acteurs de la justice qui, sur le terrain, ressentent cruellement l’épuisement ou l’absence des greffiers. Myrtis Vinas-Roudières, juge des enfants à Bobigny et codéléguée de section du Syndicat de la magistrature regrette que l’information de cette campagne spécifique de recrutement massif ne soit pas arrivée jusqu’à ses oreilles. Selon elle, la deuxième juridiction de France n’accueillerait presque que des sorties d’écoles et serait affectée par de nombreux départs volontaires. « Les personnes quittent le métier pour devenir secrétaires juridiques, passent les concours pour être conseiller de probation… Un tiers des greffiers sont depuis moins d’un an chez nous, beaucoup sont greffiers stagiaires. Si nous avions les sept ou huit postes dont nous avons besoin et qui nous ont été promis, on serait quand même en sous-effectif à cause des périodes de formation. Les postes vacants sont si nombreux que cette campagne ne parviendra sans doute pas à combler les manques… on est très très loin du compte », souligne celle qui concède qu’il « faut bien commencer quelque part ».

Le dernier rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), publié en octobre 2022, est en effet limpide : avec 35 greffiers pour 100 000 habitants (en augmentation, 32 en 2010), la France se situe bien en-deçà de la médiane du Conseil de l’Europe, à plus de 56. « Pour donner une idée, moi je suis juge des enfants à Bobigny, il y a 16 cabinets de juges des enfants et actuellement nous faisons des demandes de 7 à 8 fonctionnaires greffiers et adjoints rien que dans mon service. Ce trou entraîne au quotidien de très lourdes conséquences pour les justiciables : dans mon service, les greffiers ne se déplacent pas en assistance éducative. Donc toutes les décisions que l’on rend dans ce cadre-là, où l’on est censé prendre une décision pour protéger un mineur en danger, sont nulles. Au-delà de l’absence de valeur authentique d’un témoignage, le manque de greffiers peut aussi impacter le rapport de confiance avec les personnes de l’autre côté du bureau : quand on reçoit un enfant de 8 ans qui raconte les maltraitances qu’il subit et que l’on prend des notes, il voit bien que l’on n’a pas la même attention, ce n’est pas sans incidence », explicite la juge qui se retrouve très régulièrement à distribuer la parole des audiences avec des dizaines de personnes, parents, tout en prenant des notes. « Tout cela avec des enjeux qui changent une vie : on place un enfant ou non ? »

30 % des juges des enfants tiennent leurs audiences sans greffier

En 2018, les juges des enfants de Bobigny publiaient dans Le Monde un appel au secours : « Nous sommes devenus les juges de mesures fictives, alors que les enjeux sont cruciaux pour la société de demain : des enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables, de drames humains, de personnes sans abri et dans l’incapacité de travailler. » En mai 2024, le Syndicat de la magistrature publiait les résultats d’une enquête menée auprès des juges pour enfants : plus de 30 % des juges des enfants tiennent leurs audiences sans greffier et, parmi les 70 % qui bénéficient d’un greffier lors des audiences, la plupart tiennent eux aussi des audiences sans leur greffier, afin de leur libérer du temps pour d’autres tâches. « Si nous avions deux fois plus de greffiers la question de rendre la justice dans de bonnes conditions ou non ne se présenterait plus », souligne Myrtis Vinas-Roudières qui regrette surtout le travail d’équipe : « Le regard de quelqu’un avec soi, cela oblige encore plus à la rigueur, le travail d’un juge avec le greffier c’est une discussion, une aide à la réflexion, ils posent des questions sur l’audience, sur ce qu’ils ont pensé. Un greffier, c’est un partenaire qui nous permet d’arriver préparé à une audience, son regard se sent sur la qualité de la décision. Quand un greffier a du temps devant lui, c’est un technicien de la procédure. » La codéléguée du Syndicat de la magistrature à Bobigny espère que le concours aura pour intérêt d’amener de nombreuses personnes vers cette profession : « Le sens du métier, c’est l’utilité sociale. C’est un métier au plus proche des gens, on accompagne la prise de décisions dans des moments très particuliers dans une vie. Le greffier répond au téléphone, oriente, etc. L’institution ne va pas très bien mais j’aimerais que les greffiers soient mieux pris en compte et, malgré les accords de 2023, je pense qu’un effort supplémentaire devrait être fait. Les heures supplémentaires, par exemple, restent souvent non payées. »

Les lauréats de ce concours 2024 devraient rejoindre les juridictions en 2025.

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