Cédric Dolain : « La relation humaine est au cœur de notre activité »
Lors d’une assemblée générale, l’organisation représentative des Généalogistes de France a élu Cédric Dolain président en octobre 2020. Titulaire d’une maîtrise en droit public, il a commencé sa carrière en 2000 comme chercheur au sein du cabinet ADD & Associés. C’est en 2013 qu’il ouvre son propre cabinet de généalogie successorale DNGS à Vincennes, dans le Val-de-Marne, avec son cofondateur Pol Naudin. Pour Actu-juridique, il revient sur son parcours et nous livre sa vision d’un métier qui sort peu à peu de l’ombre.
Actu-juridique : Pourquoi êtes-vous devenu généalogiste ?
Cédric Dolain : Je n’étais pas prédisposé à devenir généalogiste. Lorsque j’ai commencé mes études de droit, j’ignorais même qu’on pouvait effectuer des recherches dans le cadre d’une succession. J’ai eu connaissance de la profession durant mes études et elle m’a tout de suite beaucoup intriguée. J’ai sollicité un stage chez ADD & Associés et il faut croire que ça m’a plu puisque j’y suis resté une dizaine d’années.
A.-J. : Qu’est-ce qui vous a plu ?
C. D. : J’ai vu que le métier de généalogiste successoral regroupait plusieurs facettes et que ce n’était pas un métier de sédentaire, encore aujourd’hui même avec les sources numérisées. La généalogie fait appel à des connaissances en droit, à un certain pragmatisme, elle nous pousse à remettre toujours en cause des choses acquises. La relation humaine est aussi au cœur de notre activité. Nous traitons des sujets importants pour l’individu : la mort, la succession, l’héritage et l’argent. Les gens retrouvés peuvent en effet toucher une part parfois importante sur une succession grâce à notre intervention. Cela demande une certaine appétence pour toutes ces qualités mais aussi une certaine force de travail, parce que cela reste un métier complexe.
A.-J. : Mis à part ce stage, vous ne connaissiez donc pas grand-chose au métier ?
C. D. : C’était une terre complètement inconnue, mais ça avait l’air passionnant. À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de sources de documentation. Aujourd’hui, notamment grâce aux émissions de télévision récentes, on a une vision plus précise de la généalogie successorale. Ce n’était pas le cas il y a vingt ans. C’est une profession qui reste encore méconnue. Le but avec mon stage était donc de découvrir de manière pratique quelque chose que je n’avais en tête que de manière diffuse. Par la suite, j’ai aussi découvert la relation avec le notariat dans le cadre du règlement des dossiers. En effet, généralement mandataire des héritiers, nous les représentons à tous les rendez-vous et les assistons dans toutes les démarches. Dans ce cadre aussi, nous devons faire preuve de pragmatisme et parfois d’innovation.
A.-J. : France 3 vient de diffuser la saison 2 de l’émission Recherche héritiers. Que pensez-vous de ce coup projecteur sur les généalogistes ?
C. D. : Je ne vois que des choses positives, surtout dans la manière dont les choses sont amenées : on parle à la fois du contexte et du rôle du généalogiste dans sa globalité. Il y a dix ans, dans de précédentes émissions, on montrait la passion de la recherche et la surprise que constitue la révélation pour les héritiers retrouvés, mais pas forcément le reste. Or ce métier ne se résume pas à ça. Là, on voit que le généalogiste va chez le notaire pour prendre connaissance des éléments du dossier, il s’engage même si c’est toujours compliqué sur des délais, on le voit dans ses recherches, on constate la relation particulière qu’il noue avec les héritiers et tout notre rôle en tant que mandataire. Cela reflète parfaitement notre quotidien. J’ajouterais que ces émissions ont permis de voir la grande mobilité des généalogistes. Nous avons plus d’un tiers de nos dossiers qui renvoient à l’international. D’ici quinze ou vingt ans, nous prévoyons que plus de la moitié nous renverra à l’étranger, du fait notamment des mouvements de population.
A.-J. : Pour en revenir à votre parcours, vous êtes resté douze ans chez ADD & Associés avant de fonder votre cabinet. Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer ?
C. D. : J’ai pris cette décision pour faire vivre mes idées, même si je me sentais bien chez ADD. Je voulais proposer au notariat l’existence d’un interlocuteur unique qui puisse poser un diagnostic, effectuer les recherches et représenter les héritiers retrouvés chez le notaire pour faire perdurer le lien. Souvent il y a une dissociation entre ces postes, au prix parfois d’une perte d’information.
A.-J. : Pourquoi avoir choisi le Val-de-Marne ?
C. D. : C’est un choix du cœur, parce que j’y demeure depuis de nombreuses années. C’est aussi un choix de la raison. Nous sommes à l’est parisien, à mi-chemin entre deux aéroports, sur la ligne A du RER, ce qui nous permet d’être prêts et disponibles très rapidement. Le Val-de-Marne a été dicté par ce choix stratégique en termes de mobilité car il va être de plus en plus compliqué d’entrer dans Paris en voiture, ou d’en sortir. Or nous sommes amenés à nous déplacer régulièrement en province ou à l’étranger.
A.-J. : Est-il surprenant que vous soyez très peu nombreux sur ce territoire ?
C. D. : Nous sommes une profession qui délivre chaque année environ 500 cartes professionnelles pour 150 cabinets répartis sur l’ensemble du territoire national. L’ensemble de la profession traite plus de 16 000 dossiers par an, ce qui est relativement peu. Même s’il y a une bonne répartition sur le territoire national, il n’est pas inconcevable qu’il n’y ait pas de cabinets dans certains départements. Mais je peux affirmer qu’il y a un maillage territorial assez complet. Pour les recherches il est de toute façon important d’aller dans toutes les régions, dans tous les territoires et à l’international.
A.-J. : Vous êtes président des généalogistes de France (GF) depuis 2020. De quand date votre engagement syndical ?
C. D. : J’ai toujours eu une vision globale de la profession que j’exerce et j’ai toujours été désireux d’œuvrer pour la défense de cette profession méconnue. Dès que j’ai pu, je me suis engagé, deux ou trois ans après la création de mon cabinet. J’ai intégré le bureau de GF en 2016. Sur des actions concrètes, je n’ai pas hésité à être présent, notamment lors de recherches menées dans le cadre du partenariat noué entre GF et le ministère de la Culture à propos des œuvres spoliées lors de la Seconde Guerre mondiale.
A.-J. : Quels sont selon vous les combats à mener pour les généalogistes en France ?
C. D. : Les enjeux sont identifiés de longue date : principalement il s’agit de l’autorégulation de la profession avec des mesures fortes prises notamment en 2017, qui repose sur un socle de garantie envers nos clients, les notaires et les pouvoirs publics. L’autre enjeu est structurel et concerne notre déontologie. Dès la création de l’Union, nous nous sommes dotés de règles spécifiques pour nos membres et ce cadre a pris la forme en 2013 d’une charte déontologique, renouvelée depuis. Nous avons ressenti le besoin d’aller plus loin en construisant une culture éthique commune. C’est un vaste chantier ouvert il y a un an et demi qui a commencé par un état des lieux inédit, accompagné par la professeure Marie-Anne Frison-Roche, le professeur Michel Grimaldi, des avocats, des juristes, des notaires ou encore notre courtier en assurance LSN… À l’issue de ces six mois de travail, nous avons pris deux directions : le renouvellement de notre charte pour qu’elle soit plus lisible et la rédaction d’un code d’éthique, sorte de vade-mecum de la déontologie, qui donne l’application pratique des grands principes de la charte pour des situations données. Les prochains objectifs sont la création d’un comité d’éthique, avec des référents de professions extérieures, qui pourront apporter des éclairages sur des sujets spécifiques.
A.-J. : Est-il selon vous nécessaire de légiférer ? Certains députés ont déposé des propositions loi pour supprimer les contrats de révélation…
C. D. : Il y a assez peu de propositions de loi concernant la profession puisque comme le rappelle par exemple le médiateur de la consommation de la généalogie professionnelle, il y a assez peu de contentieux. Les relations sont globalement bonnes. Sur le modèle économique et le contrat de révélation, ce dernier est plutôt plébiscité parce qu’il a une vertu protectrice pour le client. Ce n’est pas quelque chose qui est imposé, il peut être discuté. C’est beaucoup plus juste et à l’avantage de l’héritier que nous retrouvons. Par principe, si on propose un contrat avec un tarif proportionnel au montant que la personne va recevoir, si la personne ne reçoit rien, vous n’êtes pas rémunéré, donc c’est vertueux. À l’occasion d’une question parlementaire [Question écrite n° 10514 de M. Jean-Marie Vanlerenberghe (Pas-de-Calais – UC) publiée dans le JO Sénat du 23 mai 2019, NDLR], les pouvoirs publics n’ont jamais remis en cause les contrats de révélation. Nous sommes néanmoins vigilants et soucieux de tout commentaire ou critique éventuels.
A.-J. : Comment se porte la profession ? A-t-elle été touchée par ces deux années de pandémie ?
C. D. : Le dernier contrôle annuel effectué par KPMG a permis de déterminer que la crise n’a pas eu un impact inquiétant sur la profession, grâce en grande partie à l’investissement de chacun. Concernant les recherches, un certain nombre de sources n’étaient plus accessibles, comme dans les mairies, les centres des impôts, les archives départementales ou nationales. Il a fallu faire preuve de beaucoup de souplesse et d’imagination.
Lors de la 2e phase de la crise sanitaire, le ministère de la Culture nous a soutenus et accompagnés dans nos démarches pour faciliter des accès dérogatoires. C’est pendant cette crise que nous avons imaginé la création d’un comité d’experts d’accès aux sources, composé de généalogistes qui vont être ambassadeurs de la profession pour faire un point sur l’accès aux sources et enrichir le dialogue entre les centres d’archives et les professionnels.
A.-J. : À 46 ans, vous avez plus de vingt ans de métier. Quelles affaires vous ont le plus marqué ?
C. D. : Quasiment tous les dossiers sont marquants. Il y a évidemment des anecdotes, des choses troublantes, comme avoir un défunt avec deux dates de décès dont l’une était évidemment fausse, relative à une erreur d’identité. Mais le dossier qui me marque le plus en ce moment est celui d’une dame décédée après avoir signé un compromis de vente pour un appartement. Sans enfants ni frères et sœurs, elle était en relation avec des cousins dans la ligne paternelle. Tout le monde pensait que l’ensemble des héritiers étaient déjà connus mais nous avons retrouvé dans un délai très court quinze héritiers supplémentaires dans la ligne maternelle. Dans ce dossier, nous avons toutes les difficultés qu’on peut rencontrer épisodiquement. Nous sommes fiers d’avoir par exemple retrouvé une héritière quasi centenaire qui vit dans la campagne thaïlandaise. Le notaire a pu faire une procuration à distance, grâce à sa petite-fille, et une connexion internet. Il était impensable qu’elle aille à la capitale pour faire authentifier sa signature. Un autre héritier se trouve aux États-Unis. C’est émouvant parce que des héritiers proches veulent que ça se passe rapidement en mémoire de cette cousine dont ils étaient proches et dont ils souhaitent récupérer des souvenirs liés à ses passions artistiques, et d’autres qui ne la connaissaient pas du tout découvrent à peine son histoire. Ce dossier résume assez bien notre expertise.
Un notaire se doit d’avoir une dévolution complète. Aucun héritier ne doit être oublié. Nous certifions et nous engageons notre responsabilité sur l’exhaustivité de la dévolution successorale. Dans chaque dossier nous devons conserver une attitude critique. Notre travail a par exemple été prépondérant dans le cadre de la succession d’une femme qui avait pourtant, quelques mois auparavant, juré au notaire n’avoir jamais eu d’enfant. Nous avons identifié puis contacté et représenté son fils. On mesure à cette occasion la difficulté d’appréhender notre profession, et l’importance des rencontres et des rapports humains.
Référence : AJU005c0