Chambre nationale des commissaires de justice : des vœux d’unité et d’efficacité pour 2023

Publié le 07/03/2023

Alors que la profession de commissaires de justice a vu le jour le 1er juillet 2022, le président de la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ). Benoît Santoire, a adressé les premiers vœux de la profession fin janvier. Entre résolutions, travaux en cours et projets à venir, le président, ex-huissier de justice, et sa vice-présidente, Agnès Carlier, commissaire-priseur de formation, font le point sur leurs objectifs.

Actu-Juridique : Dans vos vœux, vous évoquez le rôle des commissaires de justice sur des sujets de société. Cela signifie-t-il votre volonté de vous ancrer de plus en plus sur les évolutions de la société ?

Benoît Santoire : Oui ! J’ai le souhait d’ancrer davantage notre profession sur les sujets de société, ce qui participe à la restauration de l’image publique des commissaires de justice. Sur ces sujets et tant d’autres, nous avons des solutions à proposer. Je viens par exemple d’avoir une conversation avec les collectivités de l’AMRF (Association des maires ruraux de France) : nous avons discuté de la problématique du harcèlement scolaire qui laisse les élus complètement démunis. Nous avons donc lancé une plateforme dénommée Alertcys, destinée aux lanceurs d’alerte ou aux victimes de harcèlement, qui peuvent contacter la plateforme afin de réaliser un signalement. Derrière, les commissaires de justice peuvent jouer les relais auprès des pouvoirs publics, auprès des établissements et éventuellement aller plus loin en réalisant des constats à force probante, ce qui est assez fréquent dans le cas de messages de haine envoyés sur les réseaux sociaux.

Mais d’autres sujets nous intéressent, comme la transition écologique. Nous avons par exemple mis en place le constat de conformité locative, un outil à la fois pour les propriétaires désemparés qui ne savent plus quelles sont leurs obligations liées à un bail (lutte contre les passoires thermiques) mais aussi pour les locataires s’ils estiment que la déperdition énergétique est trop importante. Les constats de dommages environnementaux sont également en hausse.

Agnès Carlier : En tant que commissaires de justice, nous pouvons également nous positionner sur les violences intrafamiliales ou domestiques, par exemple, en réalisant des constats quand il y a des problèmes de couples ou des constats de SMS.

Par ailleurs, à travers la commission parité dont je suis la présidente qui se veut transversale (avocats de la Cour de cassation, notaires, greffiers des tribunaux de commerce et commissaires de justice), nous réfléchissons à trouver des moyens de renforcer les carrières des professionnels et professionnelles en favorisant un congé maternité ou paternité. Sur la question des remplacements, par exemple, qui doivent se faire par un professionnel assermenté, pourquoi ne pas envisager d’avoir recours aux services de jeunes diplômés pas encore installés et qui souhaitent bénéficier d’une expérience avant de rejoindre une étude ? Il est tout à fait bénéfique pour un diplômé qui cherche à s’installer d’avoir des expériences différentes dans plusieurs études.

Aussi, toutes les professions juridiques se féminisent et nous n’y échappons pas. Comment travailler en tenant compte des évolutions sociologiques ? Pourquoi les filles réussissent-elles mieux aux examens tout en préférant rester salariées davantage que les hommes ? Comment mettre en place les conditions qui rendent possible davantage l’engagement des jeunes femmes dans les instances régionales ou nationales ? Autant de questions sur lesquelles nous nous penchons.

Actu-Juridique : Dans ce cadre, votre proximité locale est-elle une carte à jouer ?

Benoît Santoire : Notre force est précisément notre maillage – nous sommes 3 700 sur tout le territoire. Je pense qu’il faut ancrer notre nouvelle profession dans ces sujets d’actualité. Certains estiment peut-être que les champs sont trop divers mais je crois que c’est une chance de repartir de zéro, sans préjugés liés à nos deux anciennes professions, souvent réduites, dans l’imaginaire collectif, aux saisies et aux constats d’adultère, qui sont devenus rares. Je suis résolument pour une image plus moderne et tournée vers l’avenir.

Actu-Juridique : Comment expliquer cette image désuète, justement ?

Benoît Santoire : Une image d’Épinal a longtemps véhiculé une représentation datée dans l’imaginaire collectif. Notre chance, avec le nom de cette nouvelle profession, est de pouvoir parler autrement de nos missions. Car j’en suis sûr, nos confrères et consœurs seront confrontés à ces sujets d’actualité comme le harcèlement scolaire.

Agnès Carlier : Je crois que l’image un peu désuète concerne moins les ex-commissaires-priseurs judiciaires qui n’ont pas une activité d’exécution ! Les émissions de télévision de ces dernières années ont en effet montré les coulisses des enchères. J’exerce depuis 32 ans et auparavant le monde des enchères était perçu comme un monde de connaisseurs, fermé. Internet et la télévision ont démocratisé cette discipline, qui n’apparaît plus comme exceptionnelle et est même devenue tout à fait populaire.

Actu-Juridique : Quel rôle pouvez-vous jouer dans la lutte contre l’occupation illicite des logements ?

Benoît Santoire : Un amendement a été déposé, et il est actuellement en deuxième lecture au Sénat, afin de faire rentrer les commissaires de justice dans le cadre de cette loi et de pouvoir constater une occupation illicite. Aujourd’hui, le recours aux officiers de police judiciaire n’est pas toujours adéquat. Ces derniers ne sont pas toujours qualifiés ou disposés à agir rapidement, sans oublier l’obligation de se doter d’un serrurier et la nécessité de constater l’état du logement (dresser un inventaire par exemple) puis le sécuriser. Bénéficier des services d’un commissaire de justice est un vrai plus, sans oublier qu’il peut aussi accompagner les propriétaires dans leurs démarches juridiques (qui vont jusqu’à l’expulsion physique des personnes).

Actu-Juridique : Vous êtes satisfait de l’écoute de la Chancellerie sur le projet de déjudiciarisation des saisies sur les rémunérations. Comment s’assurer qu’il n’y aura pas d’abus ?

Benoît Santoire : À nos yeux, déjudiciariser le sujet permettra de soulager les greffes. Afin d’éviter tout abus, plusieurs garde-fous sont mis en place. D’abord, il est évident qu’il n’y aura de saisie des rémunérations que dans le cadre de l’existence d’un acte exécutoire, donc d’une décision qui condamne la personne à payer. Ensuite, les mêmes garde-fous sont d’usage dans d’autres démarches de recouvrement forcé, c’est-à-dire que le débiteur peut saisir le juge de l’exécution pour contester le recouvrement.

Enfin, le but est d’instaurer une période de conciliation, pour tenter de trouver une solution afin d’éviter une saisine sur les rémunérations. Je rappelle que nos professions réglementées sont fondées sur une déontologie stricte, et que dans ce cadre, je souhaite que l’inspection des comptes annuels soit renforcée. De plus, les commissaires de justice répartiteurs ne pourront exercer qu’avec une formation, des outils et un contrôle spécifiques. Nous ne comptons pas trahir cette marque de confiance des pouvoirs publics.

Actu-Juridique : Sur l’installation et la cartographie que va réaliser prochainement l’Autorité de la concurrence que pouvez-vous nous dire ?

Benoît Santoire : Nous venons justement de recevoir la consultation publique de l’Autorité de la concurrence. Il nous faut des remontées fiables, des chiffres clairs, car la question sera examinée en mars et les recommandations rendues en juin 2023. Sans me substituer à l’autorité indépendante que représente l’Autorité de la concurrence, ce que j’espère, c’est qu’aucune création d’office n’aura lieu sur le territoire. Je l’ai évoqué dans mes vœux, de nombreux confrères et consœurs ont déjà du mal à se remettre de la crise du Covid. En juillet, les remontées étaient encore trop faibles (70 %) et les pouvoirs publics pouvaient penser que les 30 % restants étaient les plus riches, qui freinaient à déclarer… Mais en réalité, c’est tout le contraire. Aujourd’hui, avec 98 % de déclarations, nous sommes en mesure de dire que ce sont des commissaires de justice qui par pudeur ne déclarent pas leurs difficultés ou ne savent pas comment effectuer leur remontée.

Actu-Juridique : Quelles seraient les conséquences pour les jeunes ?

Benoît Santoire : La libre installation engendrerait des difficultés pour les jeunes diplômés et polluerait les offices déjà existants. Par ailleurs, les jeunes se dirigent de plus en plus vers le salariat, la tendance est en hausse, au détriment d’un rachat de droit de présentation. Nous comptons aujourd’hui 380 commissaires de justice salariés, contre environ une centaine il y a quelques années. L’entrée massive des femmes – elles forment plus de 80 % de la future première promotion du printemps – joue aussi sur la hausse du salariat. La crise du Covid pose aujourd’hui un souci sur la reprise des offices, qui peinent à trouver preneurs. Ce manque d’appétence est dû à la situation économique. Quand on voit que des jeunes de 30-35 ans veulent vendre leur office alors qu’ils l’ont acheté il y a 2 ou 3 ans, le constat est triste…

Avec la CNCJ, nous entendons également accompagner au mieux nos confrères. Nous avons créé une cellule d’accompagnement et d’écoute afin de recueillir des informations qui permettent d’engager une aide financière, de solliciter un prêt de restructuration ou de diligenter des démarches in situ. Dans ce sens, certaines avancées sont sur le pont, comme la revalorisation de nos tarifs, qui auront lieu courant 2023. Nous pouvons aussi réduire les coûts de service par le recours au numérique.

Actu-Juridique : La fusion des deux professions n’a pas été voulue ni simple pour tout le monde… Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Agnès Carlier : Nous sommes dans la 2e phase de mutation, puisque les commissaires de justice ont jusqu’à janvier 2026 pour suivre les formations passerelles. Pour le moment, nous comptons donc encore des huissiers, des commissaires-priseurs judiciaires et bientôt la future première promotion du printemps de commissaires de justice. On ne peut donc pas encore parler d’une même voix. Il faudra du temps pour qu’il soit naturel aux jeunes diplômés de faire les deux activités. Pour ma part, j’ai une formation d’histoire de l’art et il me serait difficile de faire une signification ou un constat. Les jeunes qui embrassent cette profession seront plus polyvalents. L’année 2023 va être pleine de défis, nous évoluons dans un climat anxiogène. Nous, commissaires de justice, nous réussirons notre objectif si nous parvenons à tenir compte de nos deux spécialités. Ce second temps doit nous permettre d’être attentif aux problématiques rencontrées par les deux composantes de notre profession. C’est une révolution pour nous, commissaires-priseurs judiciaires de formation. Certains de mes ex-confrères se sentent un peu perdus, avant concentrés dans 9 régions, et désormais répartis dans 35 cours d’appel. Je crois que notre crainte, c’est la perte d’identité, étant donné que les commissaires-priseurs judiciaires sont minoritaires. Je souhaite que les huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires, nous trouvions l’harmonie et marchions côte à côte pour donner corps à cette nouvelle profession de commissaire de justice !

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