« Comment accompagner les enfants nés de PMA et de GPA ? »

Publié le 25/04/2019

Chaque année, les avocats d’enfants tiennent des Assises nationales pour réfléchir aux nouveaux enjeux de leur profession. Les 7 et 8 décembre derniers, c’est le barreau des Hauts-de-Seine qui accueillait ce rassemblement à la Grande Arche de la Défense. Réunis autour du thème : « De qui suis-je ? », une trentaine d’intervenants ont échangé sur la situation des enfants nés grâce aux technologies de procréation assistée. Isabelle Clanet Dit Lamanit, présidente du groupe des avocats de mineurs du barreau des Hauts-de-Seine, nous explique pourquoi la situation de ces enfants, en perpétuelle évolution jurisprudentielle, invite à repenser les questions de parentalité et de filiation.

Les Petites Affiches

Quel bilan faites-vous de ces dix-neuvième Assises des avocats d’enfants ?

Isabelle Clanet Dit Lamanit

Elles se sont très bien passées. Nous avons eu 310 congressistes le vendredi, et encore 230, le samedi. Malgré la manifestation des Gilets jaunes qui nous avait inquiétés, tous les intervenants étaient là. Jacques Toubon, le Défenseur des droits, s’est montré très intéressé par les motions que nous avons proposées à l’issue des débats. Sur la page Facebook du groupe, qui réunit 650 avocats de mineurs, les remerciements continuent d’affluer. C’est une grande satisfaction, car nous avons beaucoup travaillé pour organiser ces rencontres.

LPA

Comment se prépare un tel rassemblement ?

I. C. D. L.

Ces assises se tiennent dans un lieu différent chaque année. Le barreau des Hauts-de-Seine a été désigné l’année dernière lors des assises de Liège, qui étaient consacrées aux blessures de l’enfant. Je préside le groupe des mineurs du 92, qui réunit 80 avocats. J’en avais, parmi eux, mobilisé une vingtaine qui se sont passionnés pour le sujet. Nous avions également pu compter sur l’aide de trois salariés de l’Ordre. Toutes ces personnes se sont mobilisées pour dresser la liste des intervenants, et, une fois cette étape franchie, pour modérer les débats.

LPA

Qui étaient les intervenants présents ?

I. C. D. L.

Il y avait plus de 30 intervenants. Les enfants ne sont pas des clients comme les autres !

Il faut certes être un bon juriste pour les accompagner, mais cela ne suffit pas. Il convient également de savoir mener un entretien avec un enfant, et il faut pour cela différents niveaux de lecture. En plus des juristes, nous avions donc convié des sociologues, des anthropologues, des philosophes, des enseignants chercheurs, des psychanalystes. Ce sont ces regards, croisés, qui permettent d’appréhender correctement les problématiques liées à l’enfance. En marge des ateliers et réunions en plénière, nous avions pensé un village des exposants qui réunissait des éditeurs jeunesse, mais également des éditeurs juridiques, un lieu où les intervenants pouvaient dédicacer leurs ouvrages. Les cafés étaient des pauses participatives, l’argent dépensé revient à des associations oeuvrant pour la jeunesse.

LPA

À qui s’adressent ces Assises ?

I. C. D. L.

Ce sont des rencontres professionnelles, qui s’adressent principalement aux avocats d’enfants. Elles fédèrent cependant au-delà du barreau. Nous avons reçu des personnes travaillant au tribunal pour enfants de Nanterre, des travailleurs associatifs, des magistrats du pôle civil de Nanterre…

LPA

Comment a été choisi ce thème, « De qui suis-je ? »

I. C. D. L.

Ce thème s’est imposé de lui-même, ces assises ayant lieu l’année de la révision de la loi de bioéthique. Nous avons décomposé ce vaste sujet en deux assemblées plénières. La première avait pour titre : « Mes parents, la loi et moi », et était pensée comme un état des lieux. La seconde s’intitulait : « L’avenir, le droit et moi » et portait plutôt sur les perspectives… Ces plénières étaient suivis d’ateliers, qui avaient lieu l’après-midi. Dans ces ateliers, nous avons voulu que les intervenants soient pour moitié des experts – professeurs de droit, avocats ou juristes – et pour moitié des témoins, issus du monde associatif. Ces personnes sont venues nous raconter leurs parcours. Sur la thématique transidentité, nous avons par exemple reçu l’athlète transgenre, Sandra Forgues, qui sous le nom de Wilfrid Forgues, avait été champion olympique et médaillé de nombreuses compétitions de canoë. Nous avons également eu la présidente de l’association Hetre, venue témoigner en tant que mère d’un enfant transgenre. Ou encore Clotilde Garnier, jeune avocate venue nous parler de son enfance entre une mère lesbienne et un père homosexuel, chacun en couple de son côté… Ces assises furent très riches en témoignages.

LPA

A-t-il été facile d’organiser un colloque sur un tel thème ?

I. C. D. L.

Nous avons pu constater que le sujet était clivant. Pour l’organisation de ces assises, nous avions tenté, entre autres, de mettre en place des partenariats avec l’établissement public territorial de Paris-Ouest La Défense, ou encore avec les mairies de Nanterre et de Puteaux. Tous ont décliné, car le sujet leur paraissait trop dangereux politiquement. Nous avons également un sponsor qui nous a donné de l’argent, mais qui, en voyant l’affiche des Assises, nous a demandé que son nom n’apparaisse pas sur nos documents.

LPA

Sur ce sujet clivant, les débats ont-ils pu se dérouler de manière apaisée ?

I. C. D. L.

Dans la programmation, nous avons tenté d’être le plus ouverts possible et de donner lieu à des prises de paroles qui n’iraient pas toutes dans le même sens. Il n’a pas toujours été simple de modérer les débats et de gérer les partis pris des différents intervenants… Nous avions cependant été prudents, et avions par exemple renoncé à inviter le mouvement Sens commun, après avoir eu des retours disant que le débat était impossible lorsqu’ils étaient présents sur ce genre d’événements.

LPA

Pourquoi avoir choisi de vous emparer d’un thème aussi polémique ?

I. C. D. L.

Notre sujet n’est pas de prendre position pour ou contre la gestation pour autrui (GPA), ou pour ou contre la procréation médicalement assistée (PMA) entre femmes. Notre sujet, c’est en revanche de faire face à une réalité. Des enfants nés de ces méthodes existent. On ne sait pas les quantifier, mais on sait qu’ils sont nombreux. Ces enfants n’arrivent pas à établir leur filiation à égalité avec leurs deux parents. Dès lors, il faut se poser la question suivante : comment nous, avocats, pouvons-nous être aux côtés de ces enfants nés de PMA pour toutes, de GPA ?

LPA

Quelles sont les conséquences, pour ces enfants, de l’absence de mode de filiation ?

I. C. D. L.

Les circonstances de la vie peuvent faire que ces enfants n’ont plus qu’un parent. Lorsqu’un des parents décède sans avoir eu le temps d’aller au bout de la procédure d’adoption, la filiation avec lui ne pourra pas être établie. Dans les cas de séparation sanglante, le père reconnu comme tel, dans le cadre d’une GPA, ou la mère biologique, dans le cadre d’une PMA entre femmes, va tout faire pour couper l’enfant de l’autre parent. Des enfants élevés pendant des années par deux parents se retrouvent ainsi brutalement privés de l’un d’entre eux.

LPA

Quel est le contenu des motions que vous avez prises ?

I. C. D. L.

Concernant les transidentités, nous avons pris acte que les enfants intersexes – nés avec des caractéristiques relevant à la fois du masculin et du féminin – ou transgenres – qui se sentent en déphasage avec leur sexe de naissance – sont dans une situation de désarroi. Nous rappelons aussi que les traitements médicaux ou hormonaux que subissent les personnes intersexes pour les faire correspondre, à peine nées, à l’un ou l’autre genre, sont des atteintes à leur intérêt. Nous avons par ailleurs pris position pour que la nouvelle loi de bioéthique permette aux enfants nés de PMA de connaître l’identité de leur donneur. Concernant enfin la GPA et la PMA entre deux femmes, nous avons demandé que les enfants conçus de cette manière voient leur filiation avec leurs deux parents d’intention sécurisés.

LPA

Vous avez également pris des motions qui concernaient d’autres sujets que ceux liés à la bioéthique…

I. C. D. L.

Prenant acte que le gouvernement s’apprête à réformer sans concertation la justice des mineurs, nous avons en effet rappelé notre attachement à l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante. Cette ordonnance fait primer l’éducatif dans la justice des mineurs. Elle établit une excuse de minorité, prévoit que les mineurs soient jugés par une cour spécialisée et par un juge qui statue à la fois sur l’enfance en danger et sur l’enfance délinquante. Nous, avocats d’enfants, demandons à être consultés pour nous assurer que la réforme tienne compte de ces principes. Nous nous sommes également prononcés contre le fichage des mineurs isolés que projette le gouvernement, qui envisage de saisir leurs empreintes digitales, des images numérisées de leur visage, leurs coordonnées ou documents d’identité et de voyage. Nous considérons qu’il s’agit d’une atteinte aux droits des enfants.

LPA

Quel fut le temps fort de ces Assises ?

I. C. D. L.

C’est difficile de n’en retenir qu’un. Mais les participants ont particulièrement aimé les témoignages des personnes qui ont eu le courage de venir nous livrer leurs histoires de vie. Les assemblées plénières furent également riches d’enseignements. Les interventions de Florence Roques et de Caroline Mécary, deux avocates qui livrent bataille pour faire avancer les droits des enfants nés par PMA ou par GPA, furent très forts. De même que l’intervention de Laurence Brunet, juriste et membre du CCNE, qui au moment de la clôture des débats a fait des propositions concrètes pour faire évoluer les modes de filiation en France. Enfin, le fait d’entendre que le Défenseur des droits Jacques Toubon, présent le dernier jour, était intéressé et envisageait de s’appuyer sur certains de nos travaux, fut évidemment un moment très fort.

LPA

À la fin de votre congrès, une manifestation de défense des mineurs non accompagnés avait lieu sur le parvis de La Défense… les participants aux Assises s’y sont-ils joint ?

I. C. D. L.

La prise en charge des mineurs non accompagnés dans les Hauts-de-Seine est désastreuse, alors même que nous sommes le deuxième département le plus riche de France. Le bâtonnier des Hauts-de-Seine avait donc appelé à manifester pour alerter l’opinion sur leur sort. Une centaine d’avocats y ont participé, aux côtés du maire de Nanterre, d’associations comme le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), le Groupe d’information et de soutien aux immigrés (GISTI), et de nombreux mineurs accompagnés et anciens mineurs non accompagnés. Il était logique que cette manifestation ait lieu dans la continuité de notre rassemblement. Ces jeunes ne sont pas protégés comme ils devraient l’être.

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