DAC 6 : les avocats sauvent partiellement leur secret professionnel
Dans un arrêt du 14 avril 2023 (CE, 14 avril 2023, no 448486), le Conseil d’État juge que l’avocat n’est pas tenu, en tant qu’intermédiaire, de notifier l’obligation déclarative à un autre intermédiaire qui n’est pas son client, contrairement à ce que prévoyaient les dispositions transposant la directive DAC 6.
Les actions en justice menées par les avocats pour sauver leur secret professionnel dans le cadre du dispositif DAC 6 viennent de connaître une issue à demi favorable.
Ce que prévoit DAC 6
Codifié aux articles 1649 AD et suivants du Code général des impôts (CGI), le dispositif dit DAC 6 est issu de la Directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration (JOUE, 5 juin 2018, L 139/1).
Il impose aux professionnels (avocats, comptables, banquiers, conseillers en gestion de patrimoine) intervenant dans la conception, la commercialisation ou l’organisation d’un dispositif transfrontière (ou aux contribuables eux-mêmes) de déclarer aux autorités certains dispositifs transfrontières. Les dispositifs en question sont en effet suspectés de mettre en œuvre des opérations d’évasion fiscale. Pour les caractériser, la loi a dressé une liste de marqueurs, c’est-à-dire de caractéristiques de planification fiscale agressive (CGI, art. 1649 AH). Un dispositif transfrontière fait l’objet d’une déclaration s’il réunit un ou plusieurs marqueurs prévus par la loi (CGI, art. 1649 AH). Pour certaines catégories de marqueurs (A, B, C1bi, C1c et C1d), le dispositif transfrontière est déclaré si le critère de l’avantage fiscal principal est satisfait. Parmi les informations à déclarer : identité des intermédiaires et des contribuables concernés, éléments caractéristiques du dispositif (marqueurs, différences étapes du dispositif transfrontière, dispositions nationales sur lesquelles se fonde le dispositif, valeur du dispositif, etc.).
La décision de la CJUE
Soumis au secret professionnel, l’avocat doit recueillir l’accord de son client pour procéder à la déclaration. S’il ne l’obtient pas, l’avocat doit notifier à un autre intermédiaire l’obligation déclarative qui lui incombe, comme le prévoit l’article 8 bis ter § 5 de la Directive DAC6.
Les avocats belges ont été les premiers à contester cette obligation devant la CJUE, remettant en cause la compatibilité du secret professionnel de l’avocat avec le décret flamand du 26 juin 2020 transposant la directive dite DAC 6. La Cour Constitutionnelle belge a donc posé une question préjudicielle à la CJUE quant à la conformité au droit de l’Union européenne (UE) de l’obligation de notifier un autre intermédiaire qui n’est pas le client de l’avocat.
Deux textes du droit primaire étaient visés : l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE sur le secret professionnel (« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications »), et l’article 47 sur le droit au procès équitable (« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter »). Fin 2022, la CJUE a rendu sa décision invalidant l’obligation, qui pèse sur les avocats non déliés de leur secret professionnel par leurs clients et agissant en tant qu’intermédiaires, de notifier l’obligation déclarative à un autre intermédiaire sur le fondement de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux. (CJUE, 8 décembre 2022, no C-694/20, Orde van Vlaamse Balies e. a). La Cour a en effet jugé que cette obligation « ne saurait, toutefois, être considérée comme étant strictement nécessaire » dans le cadre de l’objectif d’intérêt général de la lutte contre l’évasion fiscale. Cette disposition constitue donc une ingérence non proportionnée dans le secret professionnel de l’avocat.
L’arrêt du Conseil d’État
En 2021, le Conseil d’État français avait été saisi notamment par le Conseil national des barreaux pour obtenir l’annulation, pour excès de pouvoir, des commentaires administratifs publiés le 25 novembre 2020 au BOFiP (BOI-CF-CPF-30-40, paragraphes 10 à 210) et dans ce cadre avait également transmis deux questions préjudicielles à la CJUE.
Estimant que la décision de la CJUE mettait fin aux débats, il avait retiré sa question préjudicielle et tiré les conséquences en droit français de cette décision (CE, 14 avril 2023, no 448486).
Sur la non-conformité de l’obligation qui pèse sur l’avocat de notifier à tout autre intermédiaire, le Conseil d’État a repris la position la CJUE. L’obligation prévue par l’article 1649, AE, I, 4°, al. 2 du CGI est bien contraire à l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE : « Les requérants sont fondés à soutenir que les deux premiers alinéas du paragraphe n° 180 et le paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 réitèrent des dispositions de l’article 1649 AE du Code général des impôts qui sont elles-mêmes identiques à des dispositions de l’article 8 bis ter de la directive du 15 février 2011 modifiée contraires aux dispositions de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à en demander, pour ce motif, l’annulation. Ils sont, pour les mêmes motifs, fondés à demander l’annulation des mots « ou de notification » et « à l’article 1649 AE du Code général des impôts et » du paragraphe n° 370 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-20, qui réitèrent les dispositions de l’article 1729 C ter du Code général des impôts contraires aux stipulations de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ».
En revanche, le Conseil d’État avait été interrogé sur un autre point de la transposition française de la directive DAC 6 : la faculté pour un client de lever le secret professionnel de son avocat afin qu’il procède à la déclaration des dispositifs transfrontières pour son compte. Bien que la CJUE ne se soit pas prononcée sur cette question, le Conseil d’État commence par affirmer qu’il n’est pas besoin de transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne une nouvelle question préjudicielle sur ce point et valide la conformité de cette possibilité prévue par la loi (CGI, art. 1649 quater AE, I, 4°, al. 1) vis-à-vis du droit communautaire (article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et article 8 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales).
Référence : AJU009g5