Dentons se place en Uber du référencement juridique

Publié le 09/08/2016

En annonçant la création d’un réseau de référencement juridique gratuit dans un secteur dominé par des acteurs payants, le cabinet d’avocats international Dentons a créé une véritable secousse dans un marché d’ordinaire peu enclin aux bouleversements. Avec son nouveau réseau qui devrait être opérationnel dès cet été, Dentons espère bien changer les règles du jeu et se positionner rapidement en leader.

Créé il y a seulement trois ans, le cabinet d’avocats Dentons est devenu en 2015 (après sa fusion avec le chinois Dacheng), le plus important cabinet au monde en nombre d’avocats. La firme ne cache pas son ambition et sa volonté de croissance, qui se traduisent par des chiffres impressionnants : 136 bureaux à travers plus de 50 pays et environ 7 400 avocats sous leur bannière. Mais aujourd’hui, c’est un nouveau marché auquel s’attaque la firme mondiale, celui du référencement juridique et des réseaux qui permettent aux avocats et aux clients de se mettre en relation et suivre les dossiers en cours.

En mai 2016, Dentons annonçait le lancement de sa propre plate-forme intitulée : « Nextlaw Global Referral Network ». Avec une très grosse différence par rapport à ses concurrents dans l’industrie du référencement : sa gratuité. « Ce réseau est différent parce qu’il est gratuit. Ainsi, les clients bénéficient du soutien des meilleurs avocats en fonction de leurs besoins, sans exception », explique Joe Andrew, président monde de Dentons. Il n’hésite pas à clamer le « caractère disruptif » de sa plate-forme, et il est indéniable que dans un marché dominé par des acteurs payants, la stratégie du nouvel arrivant a créé un électrochoc. La firme espère que l’absence de frais d’inscription ou de cotisation lui donnera un avantage compétitif assez important pour dominer la concurrence.

En arrière-fond, elle souhaite être en mesure de provoquer le même bouleversement dans l’industrie qu’Uber avait pu créer au sein du marché des taxis : « Pour les clients confrontés aux réseaux de référencements juridiques actuels, la difficulté principale c’est qu’ils sont payants – vous ne bénéficiez donc pas du cabinet le plus adapté à votre demande, mais de celui qui est prêt à payer pour figurer au sein du réseau », soutient Joe Andrew. De cette façon, le principe d’exclusivité territoriale attribué à certains membres disparaît, supprimant ainsi la référence automatique vers un cabinet qui n’était, d’après Joe Andrew, pas toujours le plus à même de traiter un dossier spécifique.

L’autre rapprochement qui peut être effectué entre Nextlaw Global Referral Network et Uber, ce sont les métamorphoses du marché que pourrait engendrer un réseau gratuit. Cela permettrait notamment à des juristes freelances ou de petits cabinets d’être disponibles très rapidement pour des clients. Mécaniquement, le choix des clients est également multiplié, et ces derniers ont accès à un plus grand nombre de juristes, d’autant plus lorsqu’un dossier requiert des compétences ou une spécialisation particulière. C’est d’ailleurs là une des volontés de Dentons et un besoin auquel la firme souhaitait répondre : être capable de recommander le plus efficacement possible l’avocat idéal avec l’expertise adéquate dans toutes les régions où leurs clients peuvent opérer. Une prouesse qui n’était alors pas systématiquement réalisable, malgré l’étendue de la firme multinationale et les 7 400 avocats que comptent ses rangs.

Pour prendre la tête du réseau, c’est Jeff Modisett, avocat et entrepreneur spécialisé dans la technologie, qui a été choisi : « Nous offrons aux clients quelque chose qu’aucun autre cabinet au monde ne peut offrir : la capacité de poursuivre leur collaboration avec le cabinet en qui ils ont confiance tout en ayant accès à une expertise dans toutes les régions, pratiques ou secteurs à travers le monde, le tout gratuitement », affirme-t-il.

Logiquement, la stratégie particulièrement agressive de Nextlaw n’a pas tardé à faire réagir les acteurs historiques de l’industrie du référencement juridique. Stephen McGarry, fondateur de Lex Mundi en 1989 et de World Services Group en 2002, a adressé une lettre ouverte mi-juin à son nouveau concurrent. Il y explique que Dentons dévoie la nature des réseaux de référencement juridique et que son réseau n’est qu’un moyen de récupérer des nouveaux membres à rajouter à la marque du cabinet mondial. Le créateur de Lex Mundi rajoute que « l’expérience des réseaux existants, engrangés par des décennies de collaboration avec ses membres, ne peut être comparée avec les technologies en ligne qu’utilisent Nextlaw pour proposer des références », en ajoutant que les réseaux existants garderont leur avantage grâce à la confiance qu’ils ont construits avec leurs membres au fil des années.

D’autres vétérans de l’industrie du référencement se sont aussi levés pour contester les affirmations de Dentons. À l’image de Michael Siebold, président d’Interlaw (un réseau âgé d’une vingtaine d’années avec 7 000 avocats membres), qui publiait le 23 mai dans les colonnes de The Lawyer une diatribe adressée à Dentons intitulée : « Une pâle imitation d’un réseau ». Il y reproche notamment à la firme de ne créer rien de plus qu’un annuaire en ligne de cabinets d’avocats. Loin de chercher à apaiser les tensions, le président monde de Dentons a répondu une semaine plus tard par article interposé que son nouveau réseau « n’était pas une validation du modèle de réseaux que représente Interlaw, mais au contraire sa répudiation », avant d’enfoncer le clou expliquant que « Nextlaw représente le début de la fin pour ce modèle ».

L’objectif avoué du nouveau réseau est de grandir rapidement pour rassembler le plus grand nombre d’avocats à travers le monde. Dans la ligne de mire du géant juridique, les cabinets de petite ou de moyenne taille, ainsi que ceux spécialisés dans une pratique ou un secteur particulier.

Tout cabinet peut d’ailleurs déposer une candidature s’il le souhaite, peu importe sa localisation géographique. Les candidats sont examinés par un panel qui juge le cabinet sur des nombreux critères pour s’assurer de sa compétence et de son expertise : commentaires des clients, classements établis par des organismes tiers ou encore récompenses ou prix reçus. « Grâce à ce réseau fondé sur la qualité, les clients – et cabinets référents, notamment Dentons – ont l’assurance que les cabinets membres ont été acceptés par des praticiens et d’anciens directeurs juridiques », déclare Elliott Portnoy, président-directeur général monde de Dentons. L’avantage pour les cabinets qui souhaiteraient être membres du réseau, bien qu’il ne soit pas exclusif à Nextlaw, est de permettre aux cabinets de se focaliser sur ce qu’ils font de mieux, et de travailler avec de nouveaux clients qui viennent chercher les avocats avec la meilleure expertise pour traiter leur dossier.

Reste une difficulté importante à surmonter pour Nextlaw Global Referral Network : celle de gagner la confiance des futurs membres et de prouver l’efficacité de sa technologie. Le tout en faisant face à des réseaux très installés qui comptent parmi leurs membres les cabinets d’avocats les plus réputés du monde. Un défi à la hauteur de la très ambitieuse firme Dentons.

LPA 09 Août. 2016, n° 119x1, p.4

Référence : LPA 09 Août. 2016, n° 119x1, p.4

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