« Des adolescents de 16-17 ans sont à la rue » !

Publié le 20/07/2023
« Des adolescents de 16-17 ans sont à la rue » !
MoiraM/AdobeStock

Le 20 juin dernier, en fin de journée, des centaines de jeunes étrangers encadrés par des associations avaient installé leurs tentes devant le Conseil d’État. En les faisant venir au centre de la capitale, les associations qui les accompagnent espéraient ainsi les rendre visibles, et dénoncer l’absence de prise en charge de l’État. Me Pascale Poussin et Me Mélanie Manelphe, avocates du pôle mineur du barreau de Paris, étaient présentes parmi eux. Elles reviennent pour Actu-Juridique sur la situation de ces jeunes étrangers. Entretien.

Actu-Juridique : Qui sont ces jeunes que l’on a vus en juin dernier devant le Conseil d’État ?

Pascale Poussin : Ce sont des mineurs qui arrivent en France et sont sans ressources et sans domiciles. Des associations leur remettent des tentes ou cherchent des hébergements, qui demeurent précaires. Ces jeunes ont été évalués majeurs à Paris et sont en recours devant un juge des enfants. Ils ne sont pas mis à l’abri pendant le temps de leur recours. Depuis plusieurs semaines, certains avaient été installés dans la cour d’une école située rue Erlanger, dans le XVIe arrondissement. L’idée était de les mettre en sécurité, de permettre que leurs affaires ne soient pas volées. La mairie de Paris avait fait un recours pour les expulser.

AJ : Vous étiez présentes le soir où le campement s’est installé devant le Conseil d’État. Comment s’est passée la soirée ?

Pascale Poussin : Mardi 20 juin, les quatre associations qui les accompagnent ont décidé de les installer devant le Conseil d’État pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur leur situation. Cela s’est passé très vite. Ils se sont installés vers 20 heures. La préfecture a donné ordre à la police de les déloger. Un cordon de députés, d’avocats et de bénévoles s’est mis en place autour des tentes pour empêcher les forces de police d’agir. Les militants s’accrochaient aux tentes, ceux qui résistaient le plus ont été bousculés. J’ai vu des violences de résistance mais pas de coups. Peut-être y en a-t-il eu ailleurs. Nous surveillions la zone où les jeunes étaient placés par terre avant d’être embarqués au commissariat où devaient être vérifiés leurs papiers. Dès lors que l’ordre a été donné de déloger, la situation a été très tendue. À 3 heures du matin, c’était terminé.

AJ : Pourquoi vous, avocates, étiez-vous présentes ?

Pascale Poussin : Il y avait sur place des agents de la préfecture qui relevaient leurs identités. Les jeunes avaient leurs papiers sur eux, c’était la consigne. Nous étions présentes pour nous enquérir des identités des jeunes afin d’informer leurs avocats. Tous ces jeunes, s’ils sont en recours, sont suivis par un avocat de l’antenne des mineurs du barreau de Paris. Nous étions là pour nous assurer que leurs papiers leur soient rendus, et pour les rassurer, aussi.

AJ : Comment, en tant qu’avocates, voyez-vous la situation de ces jeunes ?

Pascale Poussin : C’est une situation insupportable pour ces jeunes qui ont déjà un parcours très difficile avant d’arriver. Certes, ils sont reconnus majeurs. Mais ils devraient être hébergés pendant le temps de leur recours. Cela permettrait de les prendre en charge, de les inscrire à l’école, de leur donner la possibilité de se reposer. Les personnels éducatifs, y compris ceux de la mairie de Paris, pourraient avoir à cette occasion un autre regard sur eux. Les voir interagir donnerait aussi la possibilité d’avoir un faisceau d’indices sur leur âge et d’établir de manière plus étayée leur minorité ou leur majorité.

Mélanie Manelphe : Le temps que dure le recours pourrait être mis à profit pour que les jeunes prennent contact avec leurs familles et obtiennent des documents pour établir leur âge. Les associations effectuent aujourd’hui ce travail. Si l’aide sociale à l’enfance suivait ces jeunes, elle pourrait s’occuper de faire ces demandes avec eux et cela serait plus efficient. Beaucoup de jeunes qui arrivent et se présentent aux associations en charge d’évaluer leur âge sont déclarés non mineurs. Mais ensuite, lorsqu’ils font un recours, ils sont nombreux à obtenir une décision de placement du juge des enfants. Cela prend entre 6 et 12 mois. Leur minorité finit par être établie, mais pendant tout ce temps, ils ont été à la rue dans des conditions exécrables. Ce cas de figure est très fréquent.

Pascale Poussin : Ils ne sont pas mis à l’abri, perdent du temps sur leur scolarité. Ce sont des adolescents, de 16-17 ans, qui sont dans la rue !

AJ : L’État a-t-il le devoir de protéger ces jeunes ?

Mélanie Manelphe : Les mineurs doivent être protégés. L’État estime qu’ils ne sont pas mineurs pendant leur recours puisqu’ils sont déclarés majeurs. L’État estime donc ne pas avoir d’obligation les concernant. Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, organe chargé de la bonne application de la Convention internationale des droits de l’enfant, ne voit pas les choses de cette manière et a condamné la France à plusieurs reprises pour l’absence de mise à l’abri d’un mineur pendant son recours. Le Défenseur des droits s’est également exprimé sur le sujet. Ces condamnations sont surtout symboliques et ne vont modifier ni le droit ni la jurisprudence. À Paris, nous n’arrivons pas à faire appliquer ces principes de mise à l’abri. Il y a quelques années, nous arrivions à convaincre les juges de prononcer des ordonnances de placement provisoire (OPP). Cela a changé, et, désormais, très peu de juges des enfants prononcent des OPP. Nous voyons donc des jeunes rester à la rue des mois et des mois.

Pascale Poussin : En mars, plusieurs contentieux ont été portés devant le tribunal administratif sur la mise à l’abri pendant le recours. Les juges ont rendu des décisions restrictives, en enjoignant l’État à placer les jeunes uniquement s’ils avaient des papiers d’identité très probants, avec des photos ou des actes qui peuvent difficilement être remis en question. Pour les autres, le Conseil d’État a malheureusement confirmé le non-placement pendant le temps du recours. Le barreau de Paris travaille actuellement à de nouveaux recours sur la base de nouveaux fondements.

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