Économie : les administrateurs et mandataires judiciaires, au chevet des entreprises

Publié le 04/02/2025

10 000 de plus en un an. Le nombre d’ouvertures de procédures collectives s’établit, en 2024, à 65 000, tout type de procédure compris. Une hausse inquiétante et représentative de l’état de l’économie tricolore. Pour éviter un maximum de faillites et de pertes d’emplois, les administrateurs et mandataires judiciaires œuvrent au quotidien à l’ombre de l’actualité économique. François-Charles Desprat, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ), estime que grâce à l’action des professionnels qu’il représente « 60 % des emplois [menacés] seront sauvegardés. » Entretien.

Actu-Juridique : Quel est le rôle d’un mandataire ou d’un administrateur judiciaire lorsqu’une entreprise fait face à des difficultés financières ?

François-Charles Desprat : Les rôles de l’administrateur judiciaire et du mandataire judiciaire sont différents, quand bien même ils travaillent ensemble au bénéfice de l’entreprise, à la sauvegarde de l’emploi et s’assurent tous les deux de la bonne mise en œuvre des procédures qui leur sont confiées par la justice.

L’administrateur judiciaire assiste au quotidien le dirigeant quand son entreprise fait face à une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire. Il l’aide en quelque sorte à se réorganiser pour que l’activité et donc les emplois puissent être préservés : il établit notamment un bilan économique, social et environnemental de l’entreprise, il peut engager des négociations sur les délais de paiement avec ses créanciers ou encore la recherche de repreneurs si le redressement de l’entreprise passe par sa cession.

Le mandataire judiciaire, pour sa part, est désigné dans toutes les procédures collectives pour représenter l’intérêt collectif des créanciers. Son rôle principal sera notamment de déterminer le passif de l’entreprise qui servira de référence dans le cadre d’un plan de redressement. Il intervient aussi à l’égard de l’AGS (régime de garantie des salaires) pour indemniser les salariés notamment à l’ouverture de la procédure en cas de salaires impayés et dans le cadre d’éventuels licenciements survenant au cours de la période d’observation. Par ailleurs, en cas de liquidation judiciaire, le mandataire est désigné liquidateur, c’est donc lui qui gère la cessation définitive de l’activité de l’entreprise qui entraîne le licenciement des salariés et le règlement de leur indemnité de rupture via le relais financier de l’AGS, la vente des biens de l’entreprise, le recouvrement des créances, l’exercice d’éventuelles actions en responsabilité ou en sanction à l’égard des dirigeants ; tout en respectant, bien sûr, les règles de droit en vigueur.

Ces deux professions interviennent également dans les procédures de prévention (mandat ad hoc et conciliation) qui connaissent un succès certain puisqu’elles sont en augmentation constante depuis notamment la crise sanitaire. Elles permettent de gérer de manière anticipée et confidentielle les difficultés des entreprises.

AJ : Les mandataires et les administrateurs judiciaires exercent donc leurs métiers au carrefour du droit et de l’économie ?

François-Charles Desprat : Oui tout à fait, et de la comptabilité également. Nous sommes en réalité la seule profession juridique à allier ces trois compétences : le droit, le chiffre et l’économie. La maîtrise de la comptabilité est essentielle car les professionnels doivent être capables de comprendre, d’analyser, de critiquer les documents comptables qu’on leur remet, pour pouvoir élaborer par la suite une solution.

AJ : La justice seule est-elle en mesure de vous saisir ou les chefs d’entreprise peuvent-ils vous solliciter directement ?

François-Charles Desprat : Les dirigeants peuvent évidemment faire appel à nous dès qu’ils connaissent des difficultés dans la gestion de leur entreprise. C’est d’ailleurs une initiative essentielle qu’il faut encourager et sans cesse rappeler. Les administrateurs et mandataires judiciaires agissent en réalité comme des médecins. Plus un malade consulte rapidement un médecin, plus ses marges d’intervention seront importantes. Il est donc souhaitable de détecter un problème, quel qu’il soit, avant que celui-ci ne se développe et pénalise l’activité de l’entreprise. Par ailleurs, rappelons que la justice doit être saisie pour qu’une procédure collective puisse être ouverte. Or, dans la grande majorité des cas, ce sont les chefs d’entreprise qui entament cette démarche en déclarant leur entreprise en cessation de paiements et en déclenchant, de fait, l’action du tribunal. Enfin, en amont des procédures collectives, il est possible aussi de s’orienter vers des procédures dites amiables : mandat ad hoc et conciliation. Préventives, ces procédures confidentielles permettent de régler, si possible, les difficultés d’une entreprise avant que celle-ci ne soit déclarée en cessation de paiements, ou depuis moins de 45 jours. L’initiative de ces procédures repose uniquement sur le chef d’entreprise qui présente une demande en ce sens au président du tribunal.

AJ : Quelles sont les probabilités de sauver une entreprise lorsque celle-ci est soumise à une procédure de prévention ou collective ?

François-Charles Desprat : Comme je l’ai indiqué précédemment, les procédures de prévention sont de plus en plus utilisées ces dernières années et ce avec succès puisque, selon les statistiques du CNAJMJ, elles aboutissent à une solution positive dans 70 à 80 % des cas. Pour les procédures de sauvegarde, nous réussissons à établir un plan de sauvegarde dans environ 60 % d’entre elles. En cas de redressement judiciaire, ce chiffre tombe à 35 %. Et pour cause, comme je vous le disais, plus la situation de l’entreprise est dégradée, plus il sera compliqué de parvenir à un maintien de l’activité et des emplois.

AJ : Avez-vous été particulièrement sollicités cette année étant donné le contexte économique ?

François-Charles Desprat : Oui, 2024 a été une année très délicate au regard du nombre des procédures collectives qui ont été ouvertes. Nous avons atteint en 2024 le seuil de 65 000 défaillances d’entreprises tout type de procédure compris (sauvegarde, redressement et liquidation). À titre de comparaison, en 2023, près de 56 000 procédures collectives ont été ouvertes, soit une augmentation très significative. C’est un signe tangible évidemment d’une situation économique qui se dégrade. Les secteurs de la construction et du commerce sont les plus concernés par l’ouverture d’une procédure collective (respectivement 11 444 et 11 100 procédures fin novembre 2024), suivis par l’hébergement et la restauration (6 760 procédures). Géographiquement, l’Île-de-France est largement en tête des zones concernées suivie de la région Auvergne-Rhône-Alpes, PACA, la Nouvelle-Aquitaine, puis de l’Occitanie. Par ailleurs, les procédures de prévention sont elles aussi en hausse, de l’ordre de 10 %, elles s’établissent à 9 000, ce qui peut être perçu comme une donnée positive puisque celles-ci permettent de parer plus facilement aux difficultés des entreprises.

AJ : Concrètement combien a-t-il été perdu d’emplois à cause de ces procédures collectives ?

François-Charles Desprat : Nous estimons que pour 65 000 procédures ouvertes sur un an, c’est près de 200 000 emplois menacés. Toutefois, nous estimons que grâce au travail effectué par les administrateurs et mandataires judiciaires, 60 % de ces emplois seront sauvegardés.

AJ : Qu’en sera-t-il, d’après vous, pour cette nouvelle année ? Faut-il craindre le pire et des défaillances en chaîne ?

François-Charles Desprat : Il est probable que le rythme actuel des défaillances se maintienne au cours des premiers mois de l’année 2025. Mais il est difficile de se projeter au-delà du deuxième semestre. Nous sommes particulièrement inquiets concernant les secteurs du bâtiment et de l’industrie automobile qui présentent actuellement des signes inquiétants. S’agissant particulièrement de l’automobile, la France a toujours été très impliquée dans la construction des véhicules, et de très nombreuses entreprises travaillent en sous-traitance de donneurs d’ordre d’envergure. Il est absolument indispensable que ce secteur d’activité soit soutenu afin que la transition écologique qui est en cours ne provoque pas de conséquences catastrophiques pour l’économie de notre pays.

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