Édouard Billaux : « Le bâtonnat est un véritable sacerdoce » !

Publié le 13/09/2023

Élu bâtonnier du Val-de-Marne (94) pour les années 2022-2023, Maître Édouard Billaux est un avocat généraliste dont le cabinet est installé au Plessis-Trévise. À quelques mois de la fin de son bâtonnat, il dresse un premier bilan de son mandat.

Actu-Juridique : Quel type d’avocat êtes-vous en quelques mots ?

Édouard Billaux : Titulaire d’un DESS Juriste européen, j’ai prêté serment en 1996, sans contrat de collaboration, ce qui pour l’époque était accordé à titre dérogatoire. Après une période de stage, je me suis très vite installé en structure individuelle. Je suis un avocat-artisan, un avocat généraliste exerçant à l’ancienne. Il y a encore de la place pour les avocats qui font du sur-mesure. Il me paraît aussi important de pouvoir traiter un dossier en droit des affaires pour un client chef d’entreprise que de le défendre au pénal ou pour son divorce.

AJ : Vous avez été élu bâtonnier du Val-de-Marne pour les années 2022-2023. Quels sont les projets que vous avez pu mener à bien ?

Édouard Billaux : Pour n’en citer que quelques-uns, nous avons obtenu la certification Qualiopi pour le barreau du Val-de-Marne qui a été le premier barreau à l’obtenir en 2022 afin de continuer à assurer des formations de qualité et être éligible au financement par le FIFPL. Nous avons créé une permanence dédiée aux auditions libres. Quatre avocats de permanence par jour assistent les personnes entendues librement dans les commissariats et gendarmeries du Val-de-Marne (13 373 interventions dont 979 au titre des auditions libres pour l’année 2022).

Nous pouvons également citer la création d’une permanence isolement contention pour les personnes hospitalisées sous contrainte. Cette permanence est effective depuis le 1er juin 2022 avec un confrère par jour en charge des dossiers isolement contention.

Nous avons encore mis en place la désignation de référents locaux harcèlement et discrimination. Un binôme de référents appartenant à notre barreau est chargé des questions de harcèlement et de discrimination, composé d’une femme et d’un homme connus pour leur sens de l’écoute et leur bienveillance. Le contrôle a posteriori des conditions d’exécution des contrats de collaboration via un questionnaire sera diffusé aux avocats qui exercent en collaboration. Les réponses seront analysées par le service de l’Ordre et la commission collaboration. Si les réponses mettent en lumière des difficultés d’exécution du contrat de collaboration, les confrères pourront être reçus par le confrère de leur choix membre du conseil de l’Ordre afin de trouver une solution.

AJ : Vous avez instauré une audience de taxation et contestation d’honoraires. De quoi s’agit-il ?

Édouard Billaux : Lorsque j’ai pris mes fonctions, le service affichait un tel retard que je devais rédiger les ordonnances de taxation le soir après ma longue journée de travail pour respecter le délai maximum de huit mois. Cette situation n’était pas acceptable tant pour les confrères sollicitant la taxation de leurs honoraires que pour les justiciables les contestant. C’est pourquoi, j’ai mis en place une commission composée de 13 membres taxateurs siégeant à tour de rôle par binôme une fois par semaine. J’ai instauré un système d’audience avec une tentative de conciliation et un échange préalable des arguments et des pièces pour éviter les renvois. J’ai adapté et fait une synthèse des différents process qui se pratiquent dans d’autres barreaux. Les parties sont convoquées dès réception de leurs demandes et les décisions sont rendues de manière efficace et en moins de quatre mois, très souvent assorties de l’exécution provisoire. Le service est à jour.

AJ : Y a-t-il eu d’autres nouveautés ?

Édouard Billaux : Oui. Concernant le secteur assisté, une communication est faite sur les compteurs de désignation et les chiffres sont diffusés deux fois par an, permettant de connaître le nombre de désignations de chaque avocat volontaire. De même, les appels pour les désignations urgentes se font systématiquement via la plateforme dédiée Clipa pour que tous les confrères volontaires reçoivent la demande et que l’anonymat des réponses soit respecté. Autre nouveauté, la reprise de l’intervention du médecin en garde à vue. La carence du médecin en garde à vue s’est posée dès le début de l’année 2022 sur notre barreau. Nous avions alerté le procureur de la République de cette difficulté, ainsi que le procureur général et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Nous avons saisi la Défenseure des droits ainsi que la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté laquelle est intervenue auprès du procureur de la République. Une convention a été conclue en février dernier entre le parquet de Créteil et SOS médecins afin que l’intégralité des examens de compatibilité des gardés à vue soit effectuée. De plus, des réunions d’échange entre tous les avocats du groupe de défense pénale, les présidents de la chambre des comparutions immédiates et le représentant du parquet sont désormais organisées pour améliorer le fonctionnement de la permanence pénale. Enfin, nous avons participé au projet de création de la première Maison des femmes dans le département du Val-de-Marne qui sera inaugurée le 19 septembre prochain sur le site de l’hôpital Bicêtre. Elle proposera une prise en charge pluridisciplinaire à la fois psychologique, administrative, médicale, sociale et juridique aux femmes victimes de violences. Le barreau dispensera les consultations juridiques.

AJ : Votre mandat a été marqué par la motion du barreau contre les procédures CRPC « plaider coupable » sur déferrement avec mandat de dépôt, fin décembre 2022 et par un recours du parquet général près la cour d’appel de Paris. Pouvez-vous rappeler le contenu de cette motion ?

Édouard Billaux : S’agissant d’une question importante, j’ai souhaité obtenir l’avis du plus grand nombre aux fins de dégager une majorité représentative de la position de notre barreau. Pour la première fois dans notre barreau, j’ai organisé une consultation par courriel pour laquelle il fallait se positionner pour ou contre. La réponse a été négative, la majorité du barreau s’opposant par principe aux CRPC sur déferrement avec mandat de dépôt. Après une assemblée générale, le Conseil de l’ordre a pris la décision de ne plus désigner d’avocats dans le cadre de permanences pour les procédures de CRPC « plaider-coupable » lorsque le procureur propose une peine d’emprisonnement avec incarcération immédiate. Le Conseil a estimé qu’un mandat de dépôt à l’issue d’un déferrement ne devait pouvoir être prononcé que par une formation de jugement et au terme d’un débat contradictoire, seule procédure permettant d’assurer le respect des droits de la défense. Le procureur général près la cour d’appel a formé un recours en annulation contre cette décision. Le Conseil national des barreaux a pris le 7 avril 2023 une résolution pour apporter son soutien au barreau du Val-de-Marne, rappelant que l’indépendance et la conscience guident l’action des avocats, et que l’avocat n’est pas au service de la politique pénale du parquet. Le 8 juin 2023, la cour d’appel de Paris a débouté le procureur général de son recours en annulation au motif qu’il n’est pas démontré que le bâtonnier de l’ordre aurait refusé de désigner un avocat ni qu’un avocat aurait refusé une commission d’office dans le cadre d’une CRPC déferrement, la décision du Conseil de l’ordre ne contrevenant à aucune disposition législative ou réglementaire.

AJ : Où en est-on aujourd’hui ?

Édouard Billaux : Les relations furent quelque peu tendues avec le parquet, mais le dialogue a repris en bonne intelligence. Une réunion a été organisée début juillet avec les chefs de juridiction lesquels sont plus que jamais favorables au développement des CRPC avec mandat de dépôt pour alléger l’audience de comparutions immédiates. Le procureur de la République demande l’application de la loi et entend me solliciter dès la rentrée pour que je désigne un avocat au titre de la commission d’office. J’entends associer mon successeur élu à la réponse que le barreau apportera.

AJ : Les bâtonniers ou leurs délégués sont désormais autorisés à se rendre dans les lieux de privation de liberté. Avez-vous effectué des visites ?

Édouard Billaux : Assurément. Le nouveau rôle sociétal du bâtonnier consacré par la loi du 22 décembre 2021 marque une avancée majeure dans la protection des garanties des droits des personnes et le barreau du Val-de-Marne a su s’en emparer. Le 2 septembre 2022, j’ai effectué avec mes délégataires désignés au sein du Conseil de l’ordre, la visite des commissariats de Créteil, Choisy-le-Roi, Vitry-sur-Seine et Villeneuve-Saint-Georges. La presse était présente. Des rapports ont été rédigés constatant des geôles sales portant atteinte aux droits des personnes gardées à vue et rendant les conditions de travail difficiles pour les policiers. Le 7 juin 2023, j’ai pris l’initiative de visiter la maison d’arrêt de Fresnes avec le député Guillaume Gouffier-Valente, membre de la commission des lois, en présence d’un journaliste. C’était une expérience intéressante associant la vision du parlementaire à celle du bâtonnier exerçant cette nouvelle mission de s’assurer que l’état des lieux de privation de liberté respecte notamment la dignité et les droits des personnes privées de liberté. Nous avons pu constater que les conditions d’accueil s’étaient améliorées depuis le dernier rapport accablant de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Néanmoins, la plus vieille prison de France, deuxième plus grande maison d’arrêt de France après celle de Fleury-Mérogis, reste vétuste et en surpopulation chronique. Ce sont des conditions d’un autre âge infligées à ceux qui y vivent et y travaillent. Le centre pénitentiaire de Fresnes comptait au moment de la visite 1 800 détenus pour 1 300 places, soit un taux d’occupation de 138 %. Les détenus sont deux par cellule et plus trois comme il y a quelques années où la sur-occupation avait atteint 200 %. Cette surpopulation entraîne des conditions de vie indignes, situation inacceptable au regard des droits de l’Homme, ce qui a valu à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2020. Elle a pour conséquence directe les difficultés d’accès aux activités, au travail, à la formation, toutes les demandes mettant plusieurs mois à aboutir.

AJ : Dans une tribune publiée le 7 juillet dernier, la Conférence des bâtonniers d’Île-de-France et le barreau de Paris réitèrent un « constat de faillite judiciaire des juridictions familiales » et une « dégradation sans précédent des conditions de la justice familiale dans les juridictions d’Île-de-France », quelle est votre opinion sur ce sujet ?

Édouard Billaux : Le constat est affligeant : plus d’une année pour obtenir une décision fixant la pension alimentaire, le droit de visite pour un enfant, les mesures provisoires ou un jugement de divorce, essentiels à l’intérêt des familles. Il est devenu quasiment impossible d’obtenir une date en urgence pour modifier une pension en cas de perte d’emploi, pour examiner la résidence d’un enfant en cas de déménagement d’un parent, pour obtenir une autorisation d’inscription scolaire ou d’établissement d’un passeport pour un enfant mineur. En 2022, les avocats du barreau du Val-de-Marne ont participé à une journée d’action commune à l’initiative de la Conférence régionale des barreaux d’Île-de-France visant à attirer l’attention du public sur les problèmes qui découlent pour les justiciables de ne pas pouvoir obtenir un jugement dans un délai raisonnable. Malheureusement, un an plus tard les délais sont toujours les mêmes au tribunal judiciaire de Créteil, 4e juridiction de France, et les juges aux affaires familiales qui ne sont que 9 avec un poste à temps partiel, font de leur mieux pour rendre la justice. L’augmentation du budget de la Chancellerie ne règlera pas tous les problèmes. Depuis longtemps, il n’y a plus assez de juges et de greffiers pour faire face à la demande de justice. Et paradoxalement, il n’y a jamais eu autant de demandes.

AJ : Comment vous sentez-vous à quelques mois de la fin de votre mandat ?

Édouard Billaux : Un peu fatigué mais comblé par le sentiment du travail accompli avec mon équipe que je remercie. Le bâtonnat est un véritable sacerdoce en raison du dévouement que cette fonction exige, ce qui m’a contraint à mettre mon cabinet entre parenthèses. C’est malgré tout une formidable expérience même si je me suis heurté à bon nombre de difficultés et à de fortes résistances. Je pense avoir été très présent à l’ordre, au service et à l’écoute de mes confrères, ma porte étant toujours ouverte. Mais mon mandat n’est pas encore terminé. Je m’attelle à mettre l’ordre en totale conformité avec le RGPD et à soumettre au Conseil de l’ordre un projet de vote électronique pour les élections ordinales.

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