En Seine-Saint-Denis, la PJJ dans une situation délicate

Publié le 22/10/2024
En Seine-Saint-Denis, la PJJ dans une situation délicate
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En plein cœur de l’été, la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse a annoncé que des imprévus budgétaires allaient conduire à la perte de 240 à 480 postes. Une claque pour des structures déjà dans des situations compliquées. Un point sur la situation en Seine-Saint-Denis.

Le 18 avril dernier, après plusieurs faits divers concernant la violence des jeunes, le Premier ministre d’alors, Gabriel Attal, annonçait un plan concernant la délinquance des mineurs, « cette minorité d’adolescents que les Français ne comprennent plus ». L’objectif ? Aboutir à un projet de loi « justice des mineurs » (s’attaquant en particularité à la responsabilité parentale). Quelques mois après, c’est le choc. C’est ainsi qu’a été perçue l’annonce par la directrice de la PJJ, le 31 juillet dernier, à l’occasion d’une audience intersyndicale : suppression de 240 à 480 postes socio-éducatifs, pour faire l’économie de 1,6 à 1,8 million d’euros. En février, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, avait en effet raboté le budget de la PJJ de 780 000, au prétexte de lutter contre le déficit. Le 31 août, ce sont 500 contrats d’éducateurs, de psychologues et d’assistants sociaux qui ont finalement été non renouvelés.

En Île-de-France, 1 705 agents travaillent sur plus d’une centaine de structures – publiques ou associatives habilitées – en milieu ouvert ou en placement. Près de 28 458 jeunes sont suivis… et ils ne sont que le sommet de l’iceberg : des dizaines d’autres sont en liste d’attente et y resteront sans doute. Pour les organisations syndicales, ce « plan social » (comme ils l’appellent) est une catastrophe pour les structures accueillant les jeunes et pourrait creuser encore la crise des vocations en aboutissant à la contractualisation des emplois de la PJJ. Stéphane Viry, représentant du SNPES PJJ FSU en Île-de-France a accepté de répondre aux questions d’Actu-Juridique et fait le point sur la situation.

Actu-Juridique : Comment avez-vous perçu l’annonce, cet été, de la mesure d’économie qui impactera la PJJ ?

Stéphane Viry : Pour mes collègues en Île-de-France, cela a été un choc total. Certaines unités de milieu ouvert fonctionnaient dans des conditions normales d’exercice et viennent de découvrir qu’elles vont passer en mode dégradé. Dans les années 2010, nous avions déjà connu une crise de ce type avec la RGPP (révision générale des politiques publiques), beaucoup de structures avaient été fermées à ce moment-là. Dans le cas présent, ce sont des annonces totalement inattendues, malgré le Code de la justice pénale des mineurs mis en place en 2021 à la sortie du Covid. Le gouvernement nous avait vendu cette réforme comme la fin de la détention… Mais ces mesures budgétaires viennent confirmer que nous n’avons plus les moyens de nous occuper des jeunes. En Île-de-France, tous les départements avaient anticipé des restrictions dès le mois de février. Les recrutements de 129 postes cibles avaient été bloqués et nous nous étions bien évidemment opposés. Dans une unité comme la mienne, une unité type de Seine-Saint-Denis, nous avons en permanence une liste d’attente de 40 à 50 jeunes… Une annonce comme celle-ci est désastreuse pour ces jeunes.

AJ : Les annonces du 31 août, sur les contractuels, toucheront quels types de postes ?

Stéphane Viry : Il faut savoir que 26 % de nos effectifs sont des contractuels. Nous sommes 2 000 fonctionnaires en national. Les 169 postes gelés correspondent aux besoins et 232 professionnels contractuels se retrouvent sans emplois : des psys, des assistantes sociales, des éducateurs spécialisés, des professeurs techniques… tous les corps de métier sont touchés.

AJ : Quelles vont être les conséquences au niveau local ?

Stéphane Viry : Elles sont tout bonnement hallucinantes : rien qu’à Paris, 330 jeunes n’ont plus d’éducateur spécialisé depuis le 1er septembre. En Seine-Saint-Denis, entre 250 et 350 jeunes n’auront pas non plus ce suivi alors que le département a une particularité : les jeunes ne sont pris en charge, ne profitent d’un suivi éducatif, qu’à compter du deuxième déferrement. Quand l’audience de sanction arrive, six à neuf mois après les faits, lors de l’audience de sanction. Si entre-temps le jeune commet un deuxième délit, il est pris en charge tout de suite. Cela remet en question tout le travail de prévention, d’accompagnement qui pourrait être fait…

AJ : Jusqu’à combien d’enfants par éducateur est-il possible de suivre ?

Stéphane Viry : En Seine-Saint-Denis, nous refusons de dépasser 25 jeunes par éducateur, parfois j’ai la marge pour monter à 26 ou 27 (ce qui revient à une demi-heure trois quarts d’heure par jeune et par mois, ce qui est loin d’être suffisant). Il est évident que vu les mesures annoncées nous allons allonger la liste d’attente, ce qui enlève des chances pour ces jeunes. L’année dernière, nous avions commencé un travail avec l’intersyndicale (CGT, SNES PJJ FSU et FO PJJ). Nous étions dans une dynamique de propositions pour obtenir des postes supplémentaires tout en échangeant sur nos conditions d’exercice moins que satisfaisantes. Tout ce travail est caduc. La PJJ au niveau national va rester sous l’eau, en Seine-Saint-Denis, nous plongeons dans les abîmes comme dans d’autres endroits de Seine-et-Marne ou comme Vitry ou Villeneuve-la-Garenne.

AJ : Pourquoi la situation est-elle si particulière en Seine-Saint-Denis ?

Stéphane Viry : Le politiste et directeur de recherche au CNRS, Sébastien Roché, avait bien analysé les choses : en Seine-Saint-Denis, il y a un contrôle social plus important de la part de la police que sur le reste du territoire hexagonal. À cela s’ajoute une situation sociale particulière, la Seine-Saint-Denis étant l’un des départements les plus pauvres de France. Les jeunes, confrontés à des difficultés multiples et une absence de solutions, se retrouvent au milieu de tout cela. Dans le département, le niveau de décrochage scolaire est très important, les jeunes restent sur le carreau au niveau de la rentrée en seconde… et dans ce contexte, les activités illégales (trafic, prostitution) représentent pour ces jeunes plus que pour d’autres, une opportunité…

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