Exercice illégal de la profession d’expert-comptable sous couvert de sous-traitance
La sous-traitance d’actes relevant d’une profession réglementée peut amener à une condamnation du sous-traité pour exercice illégal de cette profession.
Cass. crim., 4 oct. 2022, no 21-85594
L’intérêt de cette décision est qu’elle intervient dans un domaine où le contentieux est rare1. Elle permet de rappeler les règles principales concernant l’exercice de la profession d’expert-comptable (I) dont le non-respect est sanctionné2, comme c’est le cas pour d’autres professions réglementées3 par un délit d’exercice illégal de la profession ; ici, le délit d’exercice illégal de la profession d’expert-comptable (II).
Un cabinet d’expertise comptable avait sous-traité à une société non inscrite au tableau de l’ordre des experts-comptables des tâches relevant de cette profession, ce qui a abouti à la condamnation du sous-traitant pour exercice illégal de la profession d’expert-comptable car les travaux définis comme relevant du monopole des experts-comptables4 doivent être exécutés par leur auteur en son nom propre et sous sa responsabilité, exigence qui s’attache, non pas au rapport entre ces travaux et le client au profit duquel ils sont effectués, mais à la qualité de leur auteur direct.
I – Obligations principales de l’expert-comptable
L’expert-comptable, dans le cadre de sa profession, doit respecter des obligations. Il doit se conformer à des règles définies par la loi5 mais aussi par l’ordre professionnel auquel il appartient.
L’expertise-comptable est une profession réglementée6 dans ses conditions d’accès et d’exercice (A), ce qui a des conséquences (B) pour les tiers et l’intéressé qui, pour l’exercer, doit remplir certaines conditions afin de garantir un niveau de compétences, de sérieux et de probité nécessaire à la bonne réalisation des missions confiées.
Parmi ces obligations, on peut citer le fait d’être titulaire d’un titre d’État, tel le diplôme d’expertise-comptable (ou DEL) de l’ordre des experts-comptables, et la réglementation du titre et de la profession d’expert-comptable.
A – Accès et exercice
Pour pouvoir prétendre à la qualité d’expert-comptable et exercer cette profession, certaines conditions doivent être réunies par l’impétrant.
1 – Les principales obligations de l’accès à la profession d’expert-comptable
Tous les experts-comptables doivent justifier :
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de l’obtention du diplôme d’expertise-comptable (le DEC) ;
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de la nationalité française ou être ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ;
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de ne pas avoir subi de condamnation criminelle, correctionnelle ou comportant une interdiction de gérer et d’administrer les sociétés ;
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être couvert par une assurance responsabilité civile ;
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être inscrit au tableau de l’ordre des experts-comptables de sa région (le CROEC), l’inscription au CROEC est facultative pour tout expert-comptable salarié d’un membre de l’ordre ou d’une société inscrite. L’expert-comptable qui exerce son activité au sein d’un cabinet d’expertise-comptable devra aussi respecter que la gérance et un certain pourcentage du capital soient détenus par des professionnels inscrits à l’ordre.
Tout ceci lui permet l’exercice de la profession, en respectant certaines obligations.
2 – Les principales obligations pour l’exercice de la profession d’expert-comptable
Hormis le respect de l’ordonnance relative au statut de l’expert-comptable7, dans l’exercice de la profession, celui-ci doit également se conformer à un Code de déontologie établi par le conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables et qui représente le code de bonne conduite de la profession.
Le Code de déontologie prévoit des devoirs généraux, envers les clients ou adhérents, des devoirs de confraternité et des devoirs envers l’ordre. Il en ressort des obligations à respecter :
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être et paraître indépendant : l’expert-comptable ne doit pas avoir de lien personnel, professionnel ou financier qui pourrait remettre en cause son indépendance ;
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le respect du secret professionnel, applicable à l’expert-comptable ainsi qu’aux collaborateurs auxquels il confie des travaux inhérents à l’une de ses missions ;
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l’établissement d’une lettre de mission entre le professionnel et son client, qui définit la mission et précise les droits et obligations de chacune des parties ;
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l’impossibilité de démarcher des clients qui ne l’auraient pas sollicité. Il est cependant possible pour l’expert-comptable de réaliser des actions de promotions, dans le respect de la profession et de ses confrères.
B – Conséquences
Le non-respect des différentes obligations par le professionnel engage sa responsabilité au niveau disciplinaire, fiscal, civil et pénal. Les obligations de l’expert se déclinent vis-à-vis des clients (1) et dans certaines circonstances (2).
1 – Obligations selon les clients
L’expert-comptable a des obligations vis-à-vis de ses clients. La réglementation de la profession offre un gage de sécurité, d’impartialité et d’honnêteté.
En cas de conflit entre les parties, elles doivent saisir, avant toute action en justice, le président du conseil régional de l’ordre des experts-comptables pour tenter une conciliation ou un arbitrage.
L’expert-comptable a un devoir de conseil. Toute personne physique exerçant cette profession est tenue de respecter son devoir de conseil et d’information avec l’ensemble de ses clients. Cela relève d’une obligation de la loi qui est présente dans le Code de déontologie des professionnels de l’expertise comptable. Elle impose à ce professionnel d’informer son client pour qu’il puisse prendre ses décisions en tout état de cause.
2 – Obligations selon les circonstances
L’expert-comptable doit observer une totale discrétion au sujet des affaires de ses clients8. Il est tenu par le secret professionnel. Il a aussi quelques autres devoirs.
Devoir d’alerte de l’expert-comptable. Si la situation économique de l’entreprise est préoccupante, l’expert-comptable doit aider son client chef d’entreprise à la mettre en lumière. Le conseil doit rappeler à son client de ne prendre aucune décision qui pourrait causer du tort à sa société ou à ses actifs.
Obligation d’information de l’expert-comptable. Le principe d’obligation d’information commande à l’expert-comptable de délivrer des informations justes sur leurs devoirs légaux à l’ensemble de ses clients. Ces dernières peuvent être de nature financière, sociale, juridique ou même environnementale. Le conseil doit identifier les risques économiques de l’entreprise grâce à sa mission d’examen et de tenue des comptes de son client. Il lui appartient de partager ces informations avec ce dernier afin qu’il puisse prendre toutes les mesures nécessaires.
Adoption d’une position diligente par l’expert-comptable. Les experts-comptables doivent faire preuve de diligence lorsque leurs tentatives pour convaincre leurs clients n’ont pas porté leurs fruits. Ils peuvent également être tenus de mettre fin à leur relation avec un client en cas de complaisance, s’il est prouvé que l’entreprise a volontairement manqué à ses obligations.
Les conflits d’intérêts ou de perte d’indépendance. Les experts-comptables ont l’obligation de dénoncer le contrat qui les lie à leur client ou dès la survenance d’un événement susceptible de les placer dans une situation de conflit d’intérêts ou pouvant porter atteinte à leur indépendance9.
Adoption d’un comportement engagé par l’expert-comptable. Si l’expert-comptable remarque que la décision prise par l’un de ses clients va à l’encontre de ses intérêts ou qu’elle n’est pas conforme à sa loyauté envers un tiers, il doit obligatoirement le lui signaler, de façon manuscrite, afin de pouvoir justifier de ses réserves ainsi que du fait qu’il ait encouragé son partenaire à se conformer à ses obligations.
Ainsi, l’expert-comptable est un professionnel qualifié, en situation de répondre à des attentes élevées, ce qui explique les sanctions contre ceux qui exercent illégalement cette profession.
II – Exercice illégal de la profession d’expert-comptable
L’exercice illégal d’une profession réglementée (A) expose à des sanctions pénales10. Ceci peut aussi s’appliquer à l’exercice illégal de la profession d’expert-comptable (B).
A – Exercice illégal d’une profession réglementée
L’usage, sans droit, d’un titre attaché à une profession réglementée par l’autorité publique ou d’une qualité dont les conditions d’attribution sont fixées par l’autorité publique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
Les personnes physiques ou morales coupables de ce délit encourent également la peine complémentaire d’interdiction de l’activité de prestataire de formation professionnelle continue11 pour une durée de cinq ans12.
Ceci est de nature à pouvoir s’appliquer aussi aux professions réglementées du droit : notaires, avocats, commissaires de justices, etc.13.
B – Exercice illégal de l’expertise-comptable
On a connu des exemples d’exercice illégal de cette profession14 pouvant entraîner la responsabilité pénale des dirigeants15.
L’exercice illégal d’une profession réglementée, y compris celle d’expert-comptable, peut faire encourir à son auteur une peine principale et, éventuellement, des peines complémentaires.
Commet le délit d’exercice illégal de la profession d’expert-comptable, ou de comptable agréé16, celui qui, radié du tableau de l’ordre, centralise et tient les livres comptables de ses clients et établit leurs bilans, exécutant habituellement ces travaux de comptabilité en son propre nom et sous sa responsabilité17.
L’exercice illégal d’une profession réglementée, y compris celle d’expert-comptable18, expose, en sus de la peine principale, la peine complémentaire de la diffusion de la décision19, qui en l’espèce n’a pas été prononcée. Il n’en reste pas moins que, dans le cadre de l’exercice de professions réglementées, le recours à la sous-traitance implique des précautions dictées par la nature de la profession et de ses conditions d’exercice.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. crim., 22 févr. 1996, n° 95-82506.
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2.
Cass. crim., 4 oct. 2022, n° 21-85594, F-B.
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3.
Haut conseil des professions du droit, Quelles professions réglementées pour demain ?, 2021, Dalloz.
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4.
Ord. n° 45-2138, 19 sept. 1945, art. 20.
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5.
Ord. n° 45-2138, 19 sept. 1945.
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6.
Ord. n° 45-2138, 19 sept. 1945.
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7.
Ord. n° 45-2138, 19 sept. 1945.
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8.
C. déont. expertise comptable, art. 15.
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9.
C. déont. expertise comptable, art. 17.
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10.
C. pén., art. 433-17.
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11.
C. trav., art. L. 6313-1.
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12.
C. pén., art. 433-17.
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13.
Cass. crim., 5 mai 2007, n° 06-43205, D : Rédaction Lextenso, « Demanderjustice.com vs avocats : jusqu’où ira le bras de fer ? », GPL 29 mars 2014, n° GPL172b7.
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14.
Cass. crim., 22 févr. 1996, n° 95-82506, X et Y – Cass. crim., 6 déc. 1983, D.
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15.
Cass. crim., 22 févr. 1996, n° 95-82506, X et Y : BJS sept. 1996, n° 250, p. 694, note J.-F. Barbièri.
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16.
Ord. n° 45-2138, 19 sept. 1945, art. 20, mod.
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17.
Cass. crim., 22 févr. 1996, n° 95-82506.
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18.
C. pén., art. 433-17.
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19.
C. pén., art. 433-22.
Référence : AJU007p0