Expertise-comptable : les jeunes bûchent sur l’avenir
Désireux de peser sur l’avenir de leur profession, l’Association nationale des experts-comptables mémorialistes, des commissaires aux comptes stagiaires et des étudiants en comptabilité supérieure (ANECS) et le Club des jeunes experts-comptables et commissaires aux comptes (CJEC) ont décidé d’unir leur force pour initier une réflexion sur l’avenir de l’expert-comptable. Nommé « Impulsion », ce projet s’articulera autour de trois sujets : la Data, le monopole de l’expertise comptable, et le management dans la profession. « Aucun sujet ne doit être tabou », affirment Matthieu Dintras et Wahib Dahmani, respectivement présidents de l’ANECS et du CJEC. Entretien.
Actu-Juridique : Pour quelles raisons vos associations ont-elles décidé de lancer ce projet d’idées intitulé : « Impulsion » ?
Wahib Dahmani : En pensant à ce projet nous avons voulu d’abord « bousculer » la profession. Non pas qu’elle soit endormie ou peu active mais il nous est paru essentiel de nous investir sur des sujets qui vont bouleverser à l’avenir nos métiers. Qui seront aux responsabilités demain dans les cabinets ? Les membres de l’ANECS et du CJEC. Or tout le monde sait que nous connaissons actuellement des transformations importantes qui changeront notre exercice de la profession. Je pense naturellement à la numérisation d’un grand nombre de tâches, à l’impact de l’intelligence artificielle, les mutations du monde du travail ou encore les enjeux éthiques et environnementaux. Avec le projet Impulsion nous avons donc décidé de prendre les choses en main pour être acteurs de ces transformations et forces de propositions. Pour cela nous avons sollicité l’ensemble de nos membres pour qu’ils puissent se positionner sur les enjeux qu’ils estimaient les plus importants. Sur la base des deux cents retours reçus, nous avons décidé de mettre en place trois commissions pour travailler sur les thématiques suivantes : la Data, le monopole de l’expertise comptable, et le management dans la profession. Les membres de l’ANECS seront notamment chargés de réfléchir aux questions liées à la Data, ceux du CJEC sur le monopole de l’expertise comptable, quant au management dans la profession le travail sera réalisé en commun entre les deux associations.
C’est évidemment une occasion unique pour tous les jeunes professionnels et futurs professionnels que nous représentons de s’investir dans des questions qui les concerneront au premier plan. Concrètement, l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 fixant le cadre d’exercice de l’expert-comptable doit-elle être révisée ? Pourquoi la profession n’arrive-t-elle pas à répondre aux besoins de recrutements ? Voilà des questions sur lesquelles nous allons phosphorer pour aider la profession à s’adapter aux enjeux qui la traversent. Nous porterons nos propositions lors du prochain congrès des experts-comptables qui se tiendra à Marseille, au mois d’octobre prochain.
Matthieu Dintras : L’ANECS et le CJEC sont évidemment des associations sœurs, et il nous est paru tout à fait naturel de travailler en commun sur le devenir de notre métier. Comme le disait Wahib, notre objectif n’est pas de critiquer qui que ce soit ou de nous montrer prétentieux, mais bien de porter une vision pour notre profession.
AJ : Concrètement, comment les membres impliqués vont-ils travailler sur les thématiques choisies ?
Matthieu Dintras : Tout d’abord, nous avons lancé un appel à propositions auprès de nos adhérents début décembre. Parmi les deux cents personnes qui ont manifesté leur intérêt pour le projet, nous avons sélectionné 25 à 30 personnes pour composer chacun des groupes de travail. Ceux-ci se rassemblent une fois par mois environ et à cela s’ajoutent des réunions en sous-groupe pour travailler le fond des sujets toutes les deux semaines. À partir du printemps, le fond laissera en quelque sorte la place à la forme puisque nous devrions réunir l’ensemble des participants pour qu’ils se positionnent sur les propositions qui auront été faites. C’est à ce moment-là aussi que nous concrétiserons, sous plusieurs formes, le contenu de nos propositions.
AJ : Pourquoi n’avez-vous pas choisi l’intelligence artificielle (IA) comme sujet de réflexion ? L’IA impacte, et continuera d’impacter, votre profession…
Matthieu Dintras : Oui, c’est juste. Et à titre personnel, je suis de très près tous les enjeux liés au numérique. Nous avions pensé un temps faire un groupe de travail Data/IA, mais cela ne nous semblait pas opportun tant la thématique est vaste. Par ailleurs, nous savons que le sujet de l’intelligence artificielle est l’un des sujets structurants de ces prochaines années, nous pourrons donc tout à fait le traiter une prochaine fois. Aussi, l’IA, par son importance inonde de nombreuses autres thématiques donc si nous n’en parlons pas directement, le sujet sera évidemment évoqué.
AJ : L’une de vos réflexions portera sur le « management ». Estimez-vous que le monde de l’expertise comptable doit dépoussiérer ses modes de fonctionnement pour attirer plus de jeunes ?
Wahib Dahmani : Nous savons que la profession a besoin, à court terme, de recruter 30 000 collaborateurs. Néanmoins il serait faux d’en déduire que le métier n’est pas attirant. Nos cabinets sont au cœur de l’économie. Ils portent, avec les auditeurs et les contrôleurs de gestion, l’information financière nécessaire pour assurer la confiance dans l’économie. Toutefois, il est évident que les envies de chacun et la façon d’envisager le métier ont évolué. Les attentes des jeunes experts-comptables d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que celles des années quatre-vingt ou 90. Or que constatons-nous ? Un turn-over important au sein de nos cabinets. Il y a donc, il nous semble, une dissonance entre les techniques de management appliquées aujourd’hui et les désirs des jeunes professionnels. Le travail, l’économie, le monde, ont changé. Et tout va toujours plus vite, nous le savons. Il faut donc adapter le fonctionnement des cabinets à cette réalité. Faut-il dès lors tout revoir ? Non bien sûr. Néanmoins faut-il attendre d’avoir 20 ans d’expérience pour devenir associé ? Nous pourrions, par exemple, sur ce point-là, envisager les choses autrement.
Aussi, il nous paraît essentiel d’ouvrir nos cabinets à de nouveaux profils. Les enjeux, nous les avons cités, sont nombreux. Ils ne concernent pas seulement la matière comptable en tant que telle, mais aussi les aspects environnementaux, juridiques, communicationnels ou encore cybers. De la même manière, les reconversions professionnelles aujourd’hui sont plus nombreuses. Il faut que nous puissions accueillir, grâce à des formations adaptées, des collaborateurs dotés d’une expérience différente et qui se détachent par-là du schéma classique de formation.
Matthieu Dintras : Il y a aussi, il me semble, une méconnaissance de notre activité. Très peu de personnes savent finalement que nous sommes les interlocuteurs privilégiés des chefs d’entreprise et que de ce fait nous occupons une place particulière au sein des sociétés. Nous ne sommes plus des opérateurs chargés de faire de la seule saisie. La facture électronique va dans ce sens encore accélérer un processus de transformation de notre métier. Et cela interroge la question du monopole de l’expert-comptable conféré par l’ordonnance de 1945. Comme nous l’évoquions, faut-il rester dans le cadre ancien ou le faire évoluer pour faire face aux défis présents ? De fait, des éditeurs de logiciels proposent déjà leurs services pour de la saisie comptable automatique.
Sur ce point-là, comme sur les autres, nous ne prétendons pas détenir la bonne réponse, nous voulons simplement ouvrir le débat et porter de nouvelles propositions.
AJ : Aborderez-vous tous les sujets auprès notamment du Conseil de l’ordre des experts-comptables ?
Wahib Dahmani : Oui aucun sujet ne doit être tabou selon nous. C’est pour cette raison d’ailleurs que nous posons clairement la question du monopole. Néanmoins nos réflexions ne s’inscriront que dans un cadre constructif et utile à la profession.
Matthieu Dintras : Notre objectif est de participer au débat d’idées, rien d’autre. Pour cela nous assumerons nos positions et nous les soumettrons à tous les acteurs de la profession. Seront-elles reprises ou étudiées ? Nous l’espérons et nous ferons tout pour.
Référence : AJU012p5