Gaspard Lundwall : « Ma culture civiliste me donne des idées de moyens en droit pénal des affaires »
Ancien élève d’HEC, Gaspard Lundwall a mis quelques années à se dire qu’il voulait devenir avocat. Ce qui ne l’a pas empêché, un peu plus d’une décennie plus tard, de devenir associé de certains des plus beaux cabinets d’affaires parisiens, au sein desquels il pratique le droit pénal des affaires et le contentieux commercial. Un parcours qui lui vaut d’être l’un des deux lauréats du prix du juriste HEC, remis en décembre dernier. Rencontre.
Actu-Juridique : Pourquoi vous êtes-vous tourné vers le droit ?
Gaspard Lundwall : À HEC, j’avais certes découvert le droit grâce au tronc commun, mais j’ai choisi en dernière année la bien peu juridique majeure « nouvelles technologies ». C’est seulement en quittant l’école, en 2009, que j’ai compris que c’était le droit qui correspondait le plus à mes goûts. Je m’en suis rendu compte en écrivant un mémoire de fin d’études – consacré aux causes du piratage en ligne – dont une synthèse a été publiée dans la revue Esprit. Le sujet me fascinait, et faisait plus qu’effleurer le droit. Je me suis dit aussi que j’aimais lire, écrire, argumenter… La rhétorique m’intéresse. Les professions du droit permettent de travailler tout cela.
AJ : Comment avez-vous rattrapé votre retard en droit ?
Gaspard Lundwall : Je me suis inscrit à Assas. En un an, j’ai dû rattraper trois années de licence tout en étudiant en master « droit privé général ». À la fin de cette année intense, j’ai obtenu l’examen du barreau. J’ai ensuite été embauché par le cabinet Cotty Vivant Marchisio et Lauzeral, où j’ai travaillé avec les fondateurs mais aussi avec Arthur Dethomas et Benoît Marpeau. Ce fut une première expérience très joyeuse et dynamique. Les collaborateurs y étaient formés à l’ancienne école, en faisant le grand écart : nous pratiquions en même temps les fusions-acquisitions et le contentieux des affaires. Je crois que cette approche très formatrice – déjà rare à l’époque – a aujourd’hui presque disparu.
AJ : Que vous a apporté cette première expérience ?
Gaspard Lundwall : Pratiquer à la fois les fusions-acquisitions et le contentieux m’a beaucoup apporté. Certes, du fait de l’hyperspécialisation et de la complexification du droit, il est devenu difficile de conjuguer les deux. Et certes, les agendas des deux matières se percutent : le temps de la concentration et de l’écriture du contentieux se marie difficilement avec le rythme effréné d’un deal de M&A. Mais c’est une formation unique. Avoir rédigé et négocié des « SPAs » ou des pactes d’associés me donne, je l’espère, un regard différent sur les contentieux d’actionnaires.
AJ : Vous avez ensuite rejoint le cabinet Veil Jourde…
Gaspard Lundwall : Exactement, et j’y ai notamment découvert le pénal, en travaillant aux côtés de grands confrères sur des dossiers magnifiques : Wildenstein, UBS, ou encore le mal nommé « dossier Karachi ». J’ai alors arrêté les fusions-acquisitions pour partager mon temps entre le pénal des affaires et les contentieux commerciaux complexes, souvent internationaux.
AJ : Vous dites avoir découvert la matière pénale par des « dossiers magnifiques ». Qu’entendez-vous par là ?
Gaspard Lundwall : C’est un lieu commun, mais comme souvent il est exact : il n’y a pas de petit dossier ! Tous les dossiers sont beaux quand on les regarde de près. Le moindre d’entre eux peut mener à déployer des trésors d’ingéniosité juridique ou stratégique dont on ne se savait pas capable. Il faut néanmoins reconnaître que certains dossiers exposés, particulièrement volumineux et complexes, offrent parfois à l’avocat l’opportunité de les envisager à la demande du client – encore plus qu’à l’accoutumée – sous toutes leurs facettes juridiques et stratégiques. Cela procure la joie d’aller au fin fond des choses.
AJ : Puis vous avez rejoint le cabinet Reinhart Marville Torre…
Gaspard Lundwall : Après une dizaine d’années inoubliables chez Veil Jourde, j’ai en effet rejoint le cabinet Reinhart Marville Torre, qui porte un projet très enthousiasmant. Je suis fier d’y être devenu le huitième associé en contentieux, au sein d’un cabinet d’excellence, regroupant une soixantaine d’avocats qui couvrent tous les domaines du droit des affaires.
AJ : Quel est l’intérêt de faire à la fois du pénal des affaires et du contentieux commercial ?
Gaspard Lundwall : Les confrères en contentieux que j’admire le plus sont des affairistes devenus aussi pénalistes. Pour moi, ces deux matières se nourrissent. Ma culture civiliste me donne des idées de moyens en droit pénal des affaires, et ma connaissance du droit pénal m’aide notamment dans les contentieux d’actionnaires : dans ces dossiers, la menace pénale est souvent brandie voire mise à exécution. Cette double pratique est intellectuellement excitante, et je pense que c’est une valeur ajoutée pour les clients.
AJ : S’agit-il toujours de dossiers distincts ?
Gaspard Lundwall : Non, au contraire : je gère souvent des dossiers entremêlant des dimensions pénales et commerciales. Dans nombre de cabinets d’affaires, ces compétences sont scindées. Mais il m’est souvent très utile de savoir jongler entre elles.
AJ : Que représente ce prix du juriste HEC ?
Gaspard Lundwall : C’est bien sûr une fierté d’être reconnu par les juristes d’HEC. Il s’agit d’une communauté soudée qui vit grâce à l’énergie d’excellents praticiens. Et pour l’anecdote, mes quatre enfants étaient enchantés de voir arriver un trophée à la maison !
AJ : Quelle a été la place d’HEC dans votre vie ?
Gaspard Lundwall : On dit souvent de cette école qu’elle formate les cerveaux. C’est faux. Certes, on n’y apprend pas à détester l’économie de marché. Mais c’est d’abord l’école dont la « prépa » permet de travailler de nombreuses disciplines. C’est l’école où j’ai suivi des cours brillants de comptabilité, de droit, d’économie ou de finance, mais aussi des cours tout aussi brillants sur Shakespeare ou le cinéma. C’est l’école où la sociologue Ève Chiapello – qui n’est pas exactement une disciple de Hayek – a longtemps enseigné. Aujourd’hui, j’espère que cet éclectisme nourrit ma pratique transversale en contentieux des affaires. Les notions d’économie et de finance qui me restent peuvent aussi être utiles : je tâche d’aborder les dossiers non seulement comme des objets juridiques, mais aussi économiques.
AJ : En quoi votre parcours diffère-t-il, à votre avis, d’un parcours classique d’ancien élève d’HEC ?
Gaspard Lundwall : Je suppose que les avocats issus d’HEC se tournent plutôt vers la fiscalité ou les fusions acquisitions. Nous sommes sans doute moins nombreux à rejoindre le contentieux, et encore moins à nous frotter au pénal.
AJ : Vous nourrissez également une passion pour la littérature, et avez notamment consacré deux articles à Balzac dans la revue littéraire L’Année balzacienne, et tout récemment un article sur Jean Carbonnier dans la revue Droit et Littérature. Qu’est-ce que cela vous apporte ?
Gaspard Lundwall : Ce n’est sans doute pas un hasard si tant d’avocats aiment la littérature : il y a un travail constant sur la langue, les mots et les arguments. J’ai écrit ces articles sur Balzac car je trouve que l’omniprésence du contrat dans son œuvre révèle quelque chose de l’omniprésence du contractuel dans nos vies, y compris là où on l’attend le moins. Quant à l’article récent sur le doyen Carbonnier, son titre, « Carbonnier cancellé ? », est certes un peu accrocheur. Mais c’est en réalité une esquisse de réflexion théorique sur les frontières du droit. Je cite des propos choquants de Carbonnier, par exemple sur les femmes qui auraient une « propension […] moindre à la règle de droit ». Mais je crois qu’au-delà des préjugés classiques de son époque, il en arrive à dire de telles absurdités en raison d’erreurs conceptuelles. Il vante à mon sens un « non-droit » qui n’est autre que du droit « projeté ». J’essaie d’expliquer pourquoi je pense que ce que Carbonnier désigne comme du « non-droit » est en réalité beaucoup plus juridique qu’il n’y paraît.
AJ : Ces réflexions d’ordre littéraire et philosophique nourrissent-elles votre pratique ?
Gaspard Lundwall : La fréquentation des grands textes peut sembler inutile alors que c’est elle qui nous apprend à réfléchir, à prendre du recul, à argumenter – ce qui est bien au cœur des professions juridiques. Antoine Compagnon vient de sortir un livre au titre parlant, La Littérature ça paye ! Mais la littérature va bien au-delà, elle nous aide à vivre et parfois elle nous sauve : c’est un magistrat qui écrit n’avoir « jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture ne [lui] ait ôté » (Montesquieu).
Référence : AJU016v3
